— Ser Brynden n’est pas assez fou pour accourir chez moi. J’ai de l’affection pour le personnage, je ne le nie point. Cela ne me retiendra pas de le coller aux fers s’il présente sa trogne près de moi ou des miens. Il sait que j’ai ployé le genou. Il aurait dû en faire autant, mais il a toujours été cabochard. Son frère aurait pu vous en dire autant.
— Tytos Nerbosc n’a pas ployé le genou, fit observer Jaime. Se pourrait-il que le Silure ait cherché refuge à Corneilla ?
— Il pourrait, mais pour le trouver, il devrait franchir mes lignes de siège et, aux dernières nouvelles, il ne lui était point poussé des ailes. Tytos aura lui-même bientôt besoin d’un refuge. Ils en sont réduits aux rats et aux racines, là-dedans. Il capitulera avant la prochaine pleine lune.
— Il capitulera avant que le soleil se couche. J’ai l’intention de lui présenter des conditions et de l’accepter de nouveau dans la paix du roi.
— Je vois. » Lord Jonos se tortilla pour enfiler une tunique de laine brune portant l’étalon rouge de Bracken brodé sur l’avant. « Voulez-vous prendre une corne de bière, messire ?
— Non, mais ne vous desséchez point à cause de moi. »
Bracken se remplit une corne, en but la moitié et s’essuya la bouche. « Vous parliez de conditions. De quel genre ?
— Les termes habituels. On exigera de lord Nerbosc qu’il confesse sa trahison et abjure ses allégeances aux Stark et aux Tully. Il prêtera solennellement serment devant les hommes et les dieux de demeurer dorénavant féal vassal d’Harrenhal et du Trône de Fer, et je lui accorderai le pardon au nom du roi. Nous prélèverons un ou deux pots d’or, bien entendu. Le prix de la rébellion. Je demanderai également un otage, afin de garantir que Corneilla ne se soulèvera plus.
— Sa fille, suggéra Bracken. Nerbosc a six fils, mais une seule fille. Il en raffole. Une morveuse petite drôlesse, elle ne doit pas avoir plus de sept ans.
— C’est jeune, mais elle pourrait convenir. »
Lord Jonos vida sa corne de bière et l’envoya promener. « Et qu’en est-il des terres et des châteaux qui nous ont été promis ?
— De quelles terres parlez-vous ?
— La rive orientale de la Veuve, de la crête de l’Arbalète jusqu’au Pacage au Rut, et toutes les îles de la rivière. Les moulins de Meuleblé et du Seigneur, les ruines de Fort d’Alluve, de la Ravissée, la vallée de la Bataille, Vieilleforge, les villages de Boucle, Nerboucle, Cairns et la Mare-argile, et le bourg de Tomballuve. Bois-aux-Vespes, le bois de Lorgen, Vertebutte et les Tétons de Barba. Chez les Nerbosc, on les appelle les Tétons de Missy, mais ce furent d’abord ceux de Barba. La Miélaie et toutes les ruches. Tenez, je vous les ai indiqués, si vous voulez jeter un coup d’œil, messire. » Il farfouilla sur une table et exhiba une carte tracée sur parchemin.
Jaime la prit de sa main valide, mais dut employer celle en or pour l’ouvrir et la maintenir à plat. « Voilà beaucoup de terres, observa-t-il. Vous allez accroître vos domaines d’un quart. »
La bouche de Bracken se figea dans un pli obstiné. « Toutes ces terres appartenaient autrefois à la Haye-Pierre. Les Nerbosc nous les ont volées.
— Et ce village ici, entre les Tétons ? » Jaime tapota la carte d’une phalange dorée.
« L’Arbre-sous. Celui-là nous appartenait aussi, jadis, mais c’est un fief royal depuis cent ans. Laissez cela en dehors. Nous ne demandons que les terres volées par les Nerbosc. Le seigneur votre père avait promis de nous les restituer, si nous réduisions lord Tytos pour lui.
— Et pourtant en arrivant à cheval, j’ai vu voler des bannières de Tully sur les murs du château, ainsi que le loup-garou de Stark. Cela semblerait indiquer que lord Tytos n’a pas été réduit.
— Nous l’avons chassé du champ de bataille, lui et les siens, et enfermés dans Corneilla. Donnez-moi assez d’hommes pour prendre les murailles d’assaut, messire, et je réduirai tout le lot à la tombe.
— Si je vous donnais assez d’hommes, c’est eux qui réduiraient, et non pas vous. Auquel cas, je devrais me récompenser moi-même. » Jaime laissa la carte s’enrouler de nouveau. « Je vais conserver ceci, si je puis.
— La carte est à vous. Les terres sont à nous. On dit qu’un Lannister paie toujours ses dettes. Nous avons combattu pour vous.
— Pas moitié tant que contre nous.
— Le roi nous a pardonné cela. J’ai perdu mon neveu sous vos épées, et mon fils naturel. Votre Montagne a volé ma récolte et brûlé tout ce qu’il ne pouvait point emporter. Il a passé mon château à la torche et violé une de mes filles. J’exige dédommagement.
— La Montagne n’est plus, ni mon père, lui répondit Jaime, et certains trouveraient votre tête un dédommagement suffisant. Vous vous êtes déclaré pour Stark, après tout, et lui avez été loyal jusqu’à ce que lord Walder le tue.
— L’assassine, lui et une douzaine de braves de mon propre sang. » Lord Jonos détourna la tête et cracha. « Certes, j’ai été loyal envers le Jeune Loup. Ainsi que je le serai envers vous, tant que vous me traiterez avec justice. J’ai ployé le genou, car je ne voyais pas de sens à mourir pour des morts, non plus qu’à verser le sang des Bracken pour une cause perdue.
— Un homme prudent. » Même si certains pourraient juger plus honorable la conduite de lord Nerbosc. « Vous aurez vos terres. Une partie, tout au moins. Puisque vous avez réduit les Nerbosc en partie. »
Cela parut satisfaire lord Jonos. « Nous serons contents de toute portion que vous jugerez équitable, messire. Si je puis offrir un conseil, cependant, il ne sert de rien d’agir avec trop de bonté avec ces Nerbosc. Ils ont la cautèle dans le sang. Avant l’arrivée des Andals à Westeros, la maison Bracken régnait sur cette rivière. Nous étions rois et les Nerbosc nos vassaux, mais ils nous ont trahis et ont usurpé la couronne. Chaque Nerbosc est né tourne-casaque. Vous feriez bien de vous en souvenir quand vous établirez vos conditions.
— Oh, je n’y manquerai pas », promit Jaime.
Quand il quitta Bracken et le camp des assiégeants pour les portes de Corneilla, Becq passa devant lui, porteur d’une bannière de paix. Avant qu’ils aient atteint le château, vingt paires d’yeux les observaient depuis les remparts de la porte de garde. Il fit arrêter Honneur au bord des douves, une profonde tranchée bordée de pierre, aux eaux vertes asphyxiées d’écume. Jaime allait ordonner à ser Kennos de sonner de la trompe de Sarocq quand le pont-levis commença à s’abaisser.
Lord Tytos Nerbosc vint à sa rencontre dans la large cour, monté sur un destrier aussi efflanqué que lui. Très grand et très maigre, le sire de Corneilla avait le nez busqué, les cheveux longs et une barbe éparse poivre et sel où le sel surpassait le poivre. Incrusté en argent sur la cuirasse de son armure écarlate polie figurait un arbre blanc nu et mort, entouré de corneilles en onyx qui prenaient leur essor. Une cape en plumes de corneilles frémissait à ses épaules.
« Lord Tytos, dit Jaime.
— Ser.
— Merci de me permettre d’entrer.
— Je ne dirai pas que vous êtes le bienvenu. Je ne nierai pas non plus que j’espérais votre arrivée. Vous êtes ici pour mon épée.
— Je suis ici pour mettre un terme à tout cela. Vos hommes ont vaillamment combattu, mais votre guerre est perdue. Êtes-vous prêt à capituler ?
— Devant le roi. Pas devant Jonos Bracken.
— Je comprends. »
Nerbosc hésita un moment. « Souhaitez-vous que je mette pied à terre et que je m’agenouille devant vous ici et maintenant ? »
Cent yeux les observaient. « Le vent est froid et la cour boueuse, décida Jaime. Vous pourrez vous agenouiller sur le tapis dans vos appartements, une fois que nous nous serons accordés sur les conditions.