— Maître de la Lumière, protège-nous », s’exclama la reine Selyse. D’autres voix reprirent le répons en écho. Les fidèles de Mélisandre : des dames pâles, des servantes grelottantes, ser Axell, ser Narbert et ser Lambert, des hommes d’armes en maille de fer et des Thenns couverts de bronze, et même quelques-uns des frères noirs de Jon. « Maître de la Lumière, bénis tes enfants. »
Mélisandre tournait le dos au Mur, sur un côté de la fosse profonde où flambait son feu. Le couple à unir lui faisait face de l’autre côté du fossé. Derrière eux se tenait la reine, avec sa fille et son bouffon tatoué. La princesse Shôren était bardée de tant de fourrures qu’elle paraissait toute ronde, respirant par bouffées blanches à travers l’écharpe qui couvrait la plus grande part de son visage. Ser Axell Florent et les gens de la reine entouraient le groupe royal.
Bien que peu de membres de la Garde de Nuit fussent réunis autour du feu de la fosse, d’autres regardaient depuis les toits et les fenêtres, et les degrés du grand escalier en Z. Jon prit bonne note de ceux qui se trouvaient là, et de ceux qui n’y étaient pas. Certains hommes étaient pris par leurs obligations ; beaucoup qui quittaient juste leur tour de garde dormaient profondément. Mais d’autres avaient choisi d’être absents pour manifester leur désapprobation. Othell Yarwyck et Bowen Marsh figuraient parmi les absents. Le septon Chayle avait émergé brièvement du septuaire, en tripotant son cristal à sept côtés sur la lanière autour de son cou, pour se retirer de nouveau à l’intérieur dès le début des prières.
Mélisandre éleva ses mains, et le feu dans la fosse bondit vers ses doigts, comme un grand chien rouge qui saute pour attraper une friandise ; un tourbillon d’étincelles s’éleva à la rencontre des flocons qui descendaient. « Oh, Maître de la Lumière, nous te remercions, chanta-t-elle pour les flammes voraces. Nous te remercions de Stannis le brave, par ta grâce notre roi. Guide-le et défends-le, R’hllor. Protège-le des fourberies des méchants hommes et accorde-lui la force d’écraser les serviteurs des ténèbres.
— Accorde-lui la force », répondirent la reine Selyse, ses chevaliers et ses dames. « Accorde-lui le courage. Accorde-lui la sagesse. »
Alys Karstark glissa son bras sous celui de Jon. « Combien de temps encore, lord Snow ? Si je dois périr ensevelie sous cette neige, j’aimerais mourir mariée.
— Bientôt, madame, bientôt, assura Jon Snow.
— Nous te rendons grâces pour le soleil qui nous réchauffe, entonna la reine. Nous te remercions pour les étoiles qui veillent sur nous dans le noir de la nuit. Nous te remercions pour nos âtres et pour nos torches qui tiennent en respect la sauvagerie des ténèbres. Nous te rendons grâces pour la clarté de nos esprits, le feu dans nos ventres et dans nos cœurs. »
Et Mélisandre dit : « Qu’ils approchent, ceux qui veulent s’unir. » Les flammes jetaient sa silhouette contre le Mur derrière elle, et son rubis luisait sur la pâleur de sa gorge.
Jon se tourna vers Alys Karstark. « Madame. Êtes-vous prête ?
— Oui. Oh oui.
— Vous n’avez pas peur ? »
La jeune fille sourit d’une façon qui rappela tellement à Jon sa petite sœur qu’il en eut presque le cœur brisé. « À lui d’avoir peur de moi. » Les flocons de neige fondaient sur ses joues, mais elle avait les cheveux enveloppés dans un toron de dentelle que Satin avait trouvé on ne savait où, et la neige avait commencé à s’y amasser, lui posant une couronne de givre. Elle avait les joues vivement rougies et ses yeux pétillaient.
« La dame d’Hiver. » Jon lui pressa la main.
Le Magnar de Thenn attendait debout auprès du feu, vêtu comme pour la bataille, de fourrures, de cuir et d’écailles de bronze, une épée de bronze à la hanche. Son front dégarni le faisait paraître plus vieux que son âge, mais quand il se tourna pour regarder sa promise approcher, Jon vit le jeune homme en lui. Il avait les yeux gros comme des noix, mais était-ce le feu, la prêtresse ou la femme qui avaient placé cette peur en lui, Jon n’aurait su le dire. Alys a dit plus vrai qu’elle ne le pensait.
« Qui amène cette femme pour la marier ? demanda Mélisandre.
— Moi, répondit Jon. Voici que se présente Alys de la maison Karstark, une femme adulte et fleurie, de noble sang et noble lignée. » Il donna une dernière pression à sa main et recula pour rejoindre les autres.
« Qui vient revendiquer cette femme ? poursuivit Mélisandre.
— Moi ! » Sigorn se frappa le torse. « Le Magnar de Thenn.
— Sigorn, demanda Mélisandre, veux-tu partager ton feu avec Alys, et la réchauffer quand la nuit sera sombre et pleine de terreurs ?
— Moi jure. » La promesse du Magnar formait dans l’air une nuée blanche. La neige mouchetait ses épaules. Il avait les oreilles rouges. « Par les flammes du dieu rouge, je réchauffe elle tous mes jours.
— Alys, jures-tu de partager ton feu avec Sigorn, et de le réchauffer quand la nuit sera sombre et pleine de terreurs ?
— Jusqu’à ce qu’il ait le sang bouillant. » Son manteau de vierge était la laine noire de la Garde de Nuit. Le soleil des Karstark cousu sur le dos était composé de la même fourrure blanche qui la doublait.
Les yeux de Mélisandre brillèrent aussi fort que le rubis à sa gorge. « Alors, venez à moi et ne faites qu’un. » Quand elle leur fit signe, un mur de flammes monta en rugissant, léchant les flocons de neige d’ardentes langues orange. Alys Karstark prit son Magnar par la main.
Côte à côte ils sautèrent le fossé.
« Deux sont entrés dans les flammes. » Une rafale souleva les robes écarlates de la femme rouge, jusqu’à ce qu’elle les rabatte. « Il en émerge un. » Ses cheveux cuivrés dansaient autour de sa tête. « Ce que le feu a uni, nul ne peut le disjoindre.
— Ce que le feu a uni, nul ne peut le disjoindre », répéta l’écho, venu des hommes de la reine, des Thenns, et même de quelques frères noirs.
Sauf les rois et les oncles, se dit Jon Snow.
Cregan Karstark était arrivé un jour plus tard que sa nièce. Avec lui s’en venaient quatre hommes d’armes à cheval, un pisteur et une meute de chiens, flairant la piste de lady Alys comme si elle était un cerf. Jon Snow les avait attendus sur la route Royale, à une demi-lieue au sud de La Mole, avant qu’ils puissent se présenter à Châteaunoir, se prévaloir des droits de l’hôte ou exiger des pourparlers. Un des hommes de Karstark avait tiré un carreau d’arbalète contre Ty, et l’avait payé de sa vie. Cela en laissait quatre, et Cregan lui-même.
Par chance, ils avaient une douzaine de cellules de glace. De la place pour tout le monde.
Comme tant d’autres sujets, l’héraldique s’arrêtait au Mur. Les Thenns n’avaient pas de blasons familiaux comme la coutume en demandait chez la noblesse des Sept Couronnes, aussi Jon avait-il demandé aux intendants d’improviser. Il estimait qu’ils avaient fait de la belle ouvrage. Le manteau d’épouse que Sigorn accrocha autour des épaules de lady Alys montrait un disque de bronze sur champ de laine blanche, entouré de flammes, composées de lambeaux de soie vermillon. L’écho du soleil des Karstark était présent pour ceux qui se donnaient la peine de le voir, mais différencié afin de rendre le blason adéquat pour la maison Thenn.
Le Magnar avait pratiquement arraché le manteau de pucelle des épaules d’Alys, mais en accrochant sur elle son manteau d’épouse, il se montra presque tendre. Comme il se penchait pour l’embrasser sur la joue, leurs souffles se mêlèrent. De nouveau les flammes rugirent. Les gens de la reine entonnèrent un chant de louanges. Jon entendit Satin chuchoter : « Est-ce fini ?