— Fini et bien fini, marmonna Mully, et tant mieux. Ils sont mariés et je suis à moitié gelé. » Il était emmitouflé dans ses plus beaux noirs, des vêtements de laine si neufs qu’ils avaient à peine eu l’occasion de faner, mais le vent avait rendu ses joues aussi rouges que ses cheveux. « Hobb a fait chauffer du vin avec de la cannelle et des clous de girofle. Ça nous réchauffera un peu.
— C’est quoi, la giroffe ? » voulut savoir Owen Ballot.
La neige avait commencé à descendre plus fort et le feu dans sa fosse s’éteignait. La foule se disloqua peu à peu pour s’écouler hors de la cour, gens de la reine, gens du roi et peuple libre également, tous pressés de quitter le vent et le froid. « Serez-vous au banquet avec nous, messire ? demanda Mully à Jon Snow.
— Brièvement. » Sigorn pourrait interpréter son absence comme un affront. Et ce mariage est mon œuvre, après tout. « J’ai d’abord d’autres affaires à régler, cependant. »
Jon traversa la cour jusqu’à la reine Selyse, Fantôme sur ses talons. Ses bottes crissaient à travers des piles de vieille neige. Dégager à la pelle les chemins entre les bâtiments devenait de plus en plus fastidieux ; de plus en plus, les hommes recouraient à ces passages souterrains qu’ils appelaient les tunnels de ver.
« … un si beau rituel, disait la reine. Je sentais sur nous le regard ardent de notre seigneur. Oh, vous n’imaginez pas combien de fois j’ai supplié Stannis de nous marier de nouveau, une véritable union de corps et d’esprits bénie par le Maître de la Lumière. Je sais que je pourrais donner plus d’enfants à Sa Grâce, si nous étions liés par le feu. »
Pour lui donner plus d’enfants, tu aurais d’abord besoin de le faire entrer dans ton lit. Même au Mur, il était de notoriété générale que Stannis Baratheon négligeait son épouse depuis des années. On ne pouvait qu’imaginer la réaction de Sa Grâce à l’idée d’un second mariage en plein milieu de sa guerre.
Jon s’inclina. « S’il plaît à Votre Grâce, le banquet attend. »
La reine jeta à Fantôme un coup d’œil soupçonneux, puis leva la tête vers Jon. « Certainement. Lady Mélisandre connaît le chemin. »
La prêtresse rouge intervint. « Je dois veiller à mes feux, Votre Grâce. Peut-être R’hllor m’accordera-t-il un aperçu de Sa Grâce le roi. Une vision d’une grande victoire, peut-être.
— Oh. » La reine Selyse parut dépitée. « Certainement… prions pour une vision de notre maître…
— Satin, conduis Sa Grâce à sa place », demanda Jon.
Ser Malegorn s’avança. « J’escorterai Sa Grâce au banquet. Nous n’avons pas besoin de votre… intendant. » La façon dont l’homme avait traîné sur le dernier mot apprit à Jon que le chevalier avait envisagé d’employer un autre terme. Mignon ? Favori ? Bardache ?
Jon s’inclina de nouveau. « Comme vous voudrez. Je vous rejoindrai sous peu. »
Ser Malegorn offrit son bras, et la reine Selyse le prit avec raideur. Son autre main se posa sur l’épaule de sa fille. Les canetons royaux se disposèrent derrière eux pour traverser la cour, marchant à la musique des clarines sur le couvre-chef du bouffon. « Sous la mer, les tritons s’empiffrent de soupe d’étoile de mer, et tous les serviteurs sont des crabes, proclama Bariol tandis qu’ils avançaient. Je le sais, je le sais, hé, hé, hé. »
Le visage de Mélisandre s’assombrit. « Cette créature est dangereuse. Plus d’une fois, je l’ai aperçue dans mes flammes. Parfois, il y a des crânes autour de lui, et ses lèvres sont rouges de sang. »
Étonnant que tu n’aies pas fait brûler ce malheureux. Il suffirait de glisser un mot à l’oreille de la reine, et Bariol irait alimenter ses feux. « Vous voyez des bouffons dans vos feux, mais pas une trace de Stannis ?
— Quand je le cherche, je ne vois que de la neige. »
La même réponse inutile. Clydas avait dépêché un corbeau à Motte-la-Forêt pour avertir le roi de la traîtrise d’Arnolf Karstark, mais l’oiseau avait-il atteint Sa Grâce à temps, Jon l’ignorait. Le banquier de Braavos était lui aussi parti à la recherche de Stannis, accompagné par les guides que lui avait fournis Jon, mais entre la guerre et le temps, ce serait un miracle qu’il le trouvât. « Le sauriez-vous, si le roi était mort ? demanda Jon à la prêtresse rouge.
— Il n’est pas mort. Stannis est l’élu du Maître, destiné à mener le combat contre les ténèbres. Je l’ai vu dans les flammes, lu dans d’anciennes prophéties. Quand saignera l’étoile rouge et que s’amasseront les ténèbres, Azor Ahaï renaîtra dans la fumée et le sel pour réveiller des dragons de pierre. Peyredragon est le lieu de fumée et de sel. »
Jon avait déjà entendu tout cela. « Stannis Baratheon était sire de Peyredragon, mais il n’y est pas né. Il est né à Accalmie, comme ses frères. » Il fronça les sourcils. « Et qu’en est-il de Mance ? S’est-il lui aussi perdu ? Que montrent vos feux ?
— La même chose, je le crains. Rien que de la neige. »
La neige. Il neigeait abondamment au sud, Jon le savait. À deux jours de cheval d’ici, on disait la route Royale impraticable. Mélisandre sait cela aussi. Et à l’est, une terrible tempête faisait rage sur la baie des Phoques. Au dernier rapport, la flotte disparate qu’ils avaient assemblée pour sauver le peuple libre de Durlieu était toujours blottie à Fort-Levant, bloquée au port par des mers démontées. « Vous voyez des cendres danser dans le courant d’air chaud.
— Je vois des crânes. Et vous. Je vois votre visage chaque fois que je regarde dans les flammes. Le danger dont je vous ai averti est tout proche, désormais.
— Des poignards dans le noir, je sais. Vous pardonnerez mes doutes, madame. Une fille grise sur un cheval qui crève, fuyant un mariage, voilà ce que vous disiez.
— Je ne me trompais pas.
— Vous n’avez pas vu juste. Alys n’est pas Arya.
— La vision était vraie. C’est ma lecture qui était erronée. Je suis aussi mortelle que vous, Jon Snow. Tous les mortels s’égarent.
— Même les lords Commandants. » Mance Rayder et ses piqueuses n’étaient pas rentrés, et Jon ne pouvait s’empêcher de se demander si la femme rouge avait menti délibérément. Joue-t-elle sa propre partie ?
« Vous feriez bien de garder votre loup près de vous, messire.
— Fantôme est rarement bien loin. » Le loup géant leva la tête au bruit de son nom. Jon le gratta derrière les oreilles. « Mais à présent, veuillez m’excuser. Fantôme, à moi. »
Creusées dans la base du Mur et fermées de lourdes portes de bois, les cellules de glace se déclinaient de petites à minuscules. Certaines étaient assez grandes pour permettre à un homme de faire les cent pas, d’autres si réduites que les prisonniers étaient contraints de s’asseoir ; la plus étroite était même trop exiguë pour permettre cela.
Jon avait attribué à son principal captif la plus grande cellule, un seau pour y chier, assez de fourrure pour l’empêcher de geler et une outre de vin. Il fallut aux gardes quelque temps pour ouvrir la cellule, car de la glace s’était formée à l’intérieur de la serrure. Des charnières rouillées hurlèrent comme des âmes damnées quand Wick Taillebois écarta suffisamment le battant pour permettre à Jon de se glisser à l’intérieur. Une odeur vaguement fécale l’accueillit, quoique moins suffocante qu’il ne s’y attendait. Même la merde gelait par un froid aussi rude. Jon Snow voyait confusément son propre reflet à l’intérieur des parois de glace.