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Toutefois, un certain je-ne-sais-quoi mettait Tyrion mal à l’aise. À l’ouest de la Rhoyne, il ne l’ignorait pas, les docks de Volantis grouillaient de marins, d’esclaves et de négociants, dont les boutiques de vins, les auberges et les bordels courtisaient la clientèle. À l’est, on voyait moins souvent des étrangers venus d’au-delà des mers. On ne veut pas de nous, ici, comprit-il.

La première fois qu’ils croisèrent un éléphant, Tyrion ne put s’empêcher de le fixer. La ménagerie de Port-Lannis avait compté une éléphante quand il était enfant, mais elle était morte lorsqu’il avait sept ans… et ce nouveau mastodonte gris paraissait deux fois plus grand qu’elle l’avait été.

Plus loin encore, ils suivirent un éléphant plus réduit, blanc comme un vieil os, qui tirait un char à bœufs décoré. « Est-ce qu’on dit toujours char à bœufs quand le char à bœufs n’a pas de bœufs ? » demanda Tyrion à son ravisseur. Quand ce trait d’esprit resta sans réponse, il retomba dans le silence en contemplant la croupe de l’éléphant blanc nain qui tanguait devant eux.

Volantis pullulait d’éléphants blancs nains. En approchant du Mur Noir et des quartiers surpeuplés voisins du Long Pont, ils en virent une douzaine. Les grands éléphants gris n’étaient pas rares, non plus – d’énormes bêtes portant sur leur dos des castelets. Et dans la pénombre du soir, les carrioles à crottin étaient de sortie, pilotées par des esclaves demi-nus qui avaient pour tâche de ramasser à la pelle les piles fumantes abandonnées par les éléphants petits et grands. Des nuées de mouches escortaient les carrioles, aussi les esclaves assignés à la corvée de crottin portaient-ils des mouches tatouées sur les joues, pour signifier leur rôle. Voilà l’emploi idéal pour ma tendre sœur, rumina Tyrion. Qu’elle serait charmante, avec sa petite pelle et des mouches tatouées sur ses jolies joues roses.

Désormais, ils n’avançaient plus qu’au pas. La route du fleuve était engorgée par la circulation, qui se faisait presque uniquement vers le sud. Le chevalier la suivit, une bûche prise dans le courant. Tyrion considéra les foules qu’ils croisaient. Neuf hommes sur dix portaient des marques d’esclave sur leurs joues. « Que d’esclaves… où vont-ils tous ?

— Les prêtres rouges allument leurs feux nocturnes au crépuscule. Le Grand Prêtre va parler. Je l’éviterais si je pouvais, mais, pour atteindre le Long Pont, nous devons passer devant le temple rouge. »

Trois pâtés de maisons plus loin, la rue s’ouvrit devant eux sur une immense plaza éclairée par des flambeaux, où il se dressait. Les Sept me préservent, il doit bien faire trois fois la taille du Grand Septuaire de Baelor. Énormité de colonnes, d’escaliers, d’arcs-boutants, de ponts, de dômes et de tours se fondant les uns dans les autres comme s’ils avaient tous été taillés dans un seul rocher colossal, le Temple du Maître de la Lumière les surplombait comme la grande colline d’Aegon. Cent nuances de rouge, de jaune, d’or et d’orange confluaient et se mêlaient sur les parois du temple, se dissolvant l’une en l’autre comme les nuages au couchant. Ses graciles tourelles se vrillaient toujours plus haut, comme des flammes figées dans leur danse en tentant d’atteindre le ciel. Un brasier pétrifié. Près du parvis du temple flambaient de gigantesques feux nocturnes et, entre eux, le Grand Prêtre avait commencé à parler.

Benerro. Le prêtre se tenait au sommet d’une colonne de roc rouge, reliée par un mince pont de pierre à une terrasse en hauteur qui regroupait les prêtres mineurs et les acolytes. Les acolytes portaient des robes jaune pâle et orange vif, les prêtres et prêtresses des rouges.

À leurs pieds, la grande plaza était pratiquement impénétrable. Tant et plus de fidèles arboraient un bout de tissu écarlate agrafé à leur manche ou noué sur le front. Tous les yeux, hormis ceux de Tyrion et du chevalier, fixaient le prêtre rouge. « Place », gronda le cavalier tandis que sa monture se frayait un chemin dans la presse. « Dégagez le passage. » Les Volantains s’écartaient de mauvais gré, avec des grommellements et des regards mauvais.

La voix haut perchée de Benerro portait loin. Grand, mince, il avait un visage aux traits tirés et une peau de la blancheur du lait. On lui avait tatoué des flammes sur les joues, le menton et son crâne rasé, pour composer un masque rouge vif qui crépitait autour de ses yeux et descendait cerner sa bouche sans lèvres. « C’est un tatouage d’esclave ? » voulut savoir Tyrion.

Le chevalier opina. « Le temple rouge les achète enfants pour en faire des prêtres, des prostituées sacrées ou des guerriers. Regarde là-bas. » Il indiqua du doigt le parvis, où une ligne d’hommes en armures ornementées et capes orange se tenaient devant les portes du temple, serrant des piques aux pointes ondulées comme des flammes. « La Main Ardente. Les soldats sacrés du Maître de la Lumière, défenseurs du temple. »

Des chevaliers de feu. « Et combien de doigts compte cette main, je vous prie ?

— Mille. Jamais plus, et jamais moins. Une nouvelle flamme s’allume à chacune qui s’éteint. »

Benerro pointa un doigt vers la lune, serra le poing, écarta largement les mains. Alors que sa voix allait crescendo, des flammes lui jaillirent des doigts en exhalant un grondement soudain, suscitant dans la foule un hoquet de surprise. Le prêtre savait également tracer dans l’air des lettres de feu. Des glyphes valyriens. Tyrion en reconnut peut-être deux sur dix ; l’un d’eux disait Fléau, l’autre Ténèbres.

Des cris jaillirent de la foule. Des femmes pleuraient, des hommes secouaient le poing. J’ai un mauvais pressentiment. Le nain se remémorait le jour où Myrcella avait pris la mer pour Dorne et l’émeute qui avait éclaté alors qu’ils rentraient au Donjon Rouge.

Haldon Demi-Mestre avait parlé d’utiliser le prêtre rouge au bénéfice de Griff le Jeune, se souvenait Tyrion. Maintenant qu’il avait personnellement vu et entendu l’individu, l’idée lui parut très mauvaise. Il espéra que Griff aurait plus de bon sens. Certains alliés sont plus dangereux que des ennemis. Mais lord Connington devra démêler ce problème tout seul. J’ai de bonnes chances de me retrouver à l’état de tête au bout d’une pique.

Le prêtre indiquait le Mur Noir derrière le temple, montrant du geste les parapets où une poignée de gardes en armure regardaient en contrebas. « Qu’est-ce qu’il raconte ? demanda Tyrion au chevalier.

— Que Daenerys est en danger. L’œil sombre s’est posé sur elle, et les sbires de la nuit complotent sa destruction, en priant leurs faux dieux dans des temples du mensonge… conspirant pour la trahir avec des étrangers sans dieux… »

Les petits cheveux sur la nuque de Tyrion commencèrent à se hérisser. Le prince Aegon ne trouvera pas d’amis ici. Le prêtre rouge parlait d’une antique prophétie, une prophétie qui annonçait la venue d’un héros pour délivrer le monde des ténèbres. Un héros. Pas deux. Daenerys a des dragons. Pas Aegon. Nul besoin pour le nain d’être lui-même prophète pour prévoir la réaction de Benerro et de ses fidèles face à un deuxième Targaryen. Griff s’en apercevra aussi, assurément, songea-t-il, surpris de constater combien il s’en inquiétait.