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Depuis l’autre extrémité du Long Pont, il y avait juste une courte marche à travers les grouillants quartiers du front de port de la rive ouest jusqu’aux rues éclairées de torches et encombrées de matelots, d’esclaves et de fêtards avinés. Une fois, un éléphant passa lourdement, chargé d’une demi-douzaine d’esclaves à demi nues qui saluaient du haut du castelet sur son dos en aguichant les passants par de fugaces aperçus de leurs seins, et en criant : « Malaquo, Malaquo. » Elles offraient un spectacle tellement fascinant que Tyrion manqua poser le pied en plein dans la pile de crottin fumant que l’éléphant avait laissée pour marquer son passage. Il fut sauvé au dernier moment quand le chevalier le tira de côté, si rudement que le nain pivota sur lui-même et tituba.

« C’est encore loin ? demanda-t-il.

— Nous y sommes. La place des Poissonniers. »

Leur destination se révéla être le Comptoir des Marchands, une monstruosité comptant trois étages, accroupie entre les entrepôts, les bordels et les tavernes du port comme un prodigieux obèse cerné d’enfants. Sa salle commune dépassait en superficie la grande salle de la moitié des châteaux de Westeros, un labyrinthe de pénombre, avec cent alcôves retirées et recoins cachés dont les solives noircies et les plafonds fissurés résonnaient du hourvari des marins, des négociants, des capitaines, des usuriers, des armateurs et des esclavagistes, qui mentaient, juraient, et se flouaient mutuellement dans une demi-centaine de langues différentes. Le choix de cette hostellerie reçut l’approbation de Tyrion. Tôt ou tard, la Farouche Pucelle atteindrait Volantis. On se trouvait ici dans la plus grande auberge de la ville, la première où descendaient commanditaires, capitaines et négociants. Nombre de marchés se concluaient dans l’énorme caverne de cette salle commune. Tyrion en connaissait assez long sur Volantis pour le savoir. Que Griff débarque ici avec Canard et Haldon, et le nain ne tarderait pas à se retrouver libre.

Dans l’intervalle, il saurait se montrer patient. Sa chance viendrait.

Toutefois, les chambres des étages se révélèrent rien moins que grandioses, en particulier les soupentes à bas prix, au troisième. Engoncé sous les combles à un coin du bâtiment, le galetas retenu par son ravisseur comportait un plafond bas, un lit de plume avachi aux déplaisants relents et un plancher incliné qui rappela à Tyrion son séjour aux Eyrié. Au moins, cette chambre a des murs. Et des fenêtres, aussi ; en cela résidait son attrait principal, en même temps qu’en un anneau de fer rivé au mur, si commode pour enchaîner les esclaves. Son ravisseur prit seulement le temps d’allumer une chandelle de suif avant d’arrimer les fers de Tyrion à l’anneau.

« Est-ce bien nécessaire ? protesta le nain en agitant vaguement ses entraves. Par où est-ce que je pourrais m’en aller ? Par la fenêtre ?

— Tu en serais capable.

— Nous sommes au troisième, et je ne sais pas voler.

— Tu pourrais tomber. Je te veux en vie. »

Certes, mais pourquoi ? Ce n’est pas comme si Cersei y tenait tant. Tyrion secoua ses chaînes. « Je sais qui vous êtes, ser. » L’énigme n’avait pas été difficile à percer. L’ours sur son surcot, les armes sur son bouclier, la seigneurie perdue qu’il avait évoquée. « Je sais ce que vous êtes. Et si vous savez qui je suis, vous savez par la même occasion que j’étais la Main du Roi et que je siégeais en conseil avec l’Araignée. Vous intéresserait-il de savoir que c’est l’eunuque qui m’a envoyé faire ce voyage ? » Lui et Jaime, mais je vais laisser mon frère en dehors de l’affaire. « Je suis sa créature autant que vous. Nous n’avons pas de raison d’être opposés. »

Cela ne plut guère au chevalier. « J’ai perçu l’argent de l’Araignée, je n’en disconviens point, mais jamais je n’ai été sa créature. Et ma loyauté s’attache désormais ailleurs.

— À Cersei ? Vous êtes bien sot. Tout ce que veut ma sœur, c’est ma tête, et vous avez une belle épée bien aiguisée. Pourquoi ne pas mettre tout de suite fin à cette farce et nous rendre tous deux service ? »

Le chevalier s’esclaffa. « Est-ce là une ruse de nain ? Implorer la mort dans l’espoir que je te laisserai vivre ? » Il alla à la porte. « Je te rapporterai quelque chose des cuisines.

— Comme c’est aimable de votre part. Je vais attendre ici.

— Je sais bien. » Cependant, en partant, le chevalier verrouilla la porte derrière lui avec une lourde clé en fer. Le Comptoir des Marchands était réputé pour ses serrures. Aussi sûr qu’une geôle, songea le nain avec amertume, mais au moins, il y a les fenêtres.

Tyrion le savait bien, il avait tant et moins de chances de s’extirper de ses chaînes, mais il se sentit néanmoins forcé d’essayer. Ses efforts pour faire glisser une main hors de la menotte ne réussirent qu’à meurtrir un peu plus sa peau et à lui laisser le poignet poissé de sang, et toutes ses tractions et ses torsions échouèrent à arracher l’anneau du mur. Et merde, conclut-il en s’affalant dans les limites qu’autorisaient ses chaînes. Des crampes commençaient à lui brûler les jambes. La nuit s’annonçait d’un inconfort infernal. La première d’une longue série, n’en doutons pas.

On étouffait, dans cette chambre, aussi le chevalier avait-il ouvert les volets pour laisser entrer un courant d’air. Rencognée sous les aîtres du bâtiment, la pièce avait la bonne fortune de posséder deux fenêtres. L’une donnait sur le Long Pont et le cœur de l’Antique Volantis, avec ses remparts noirs de l’autre côté du fleuve. L’autre s’ouvrait sur la plaza en contrebas. La place des Poissonniers, comme l’avait appelée Mormont. Si serrées que fussent les chaînes, Tyrion découvrit qu’en s’inclinant de côté et en laissant l’anneau de fer retenir son poids, il arrivait à regarder par cette seconde fenêtre. La chute n’est point si longue que depuis les cellules aériennes de Lysa Arryn, mais elle me laisserait tout aussi mort. Si j’étais ivre, peut-être…

Même à cette heure, la plaza était bondée, on y voyait des marins en goguette, des ribaudes qui cherchaient commerce et des marchands vaquant à leurs affaires. Une prêtresse rouge passa en se hâtant, escortée par une douzaine d’acolytes porteurs de torches, leurs robes leur fouettant les chevilles. Ailleurs, deux joueurs de cyvosse se faisaient la guerre devant une taverne. À côté de leur table, un esclave soutenait une lanterne au-dessus du tablier. Tyrion entendait une femme chanter. Les paroles lui étaient étranges, la mélodie douce et triste. Si je comprenais ce qu’elle chante, peut-être pleurerais-je. Plus près de lui, une foule se pressait autour de deux jongleurs qui s’entrelançaient des torches.

Son ravisseur ne tarda pas à revenir, chargé de deux chopes et d’un canard rôti. Il claqua la porte d’un coup de pied, rompit le canard en deux, et en jeta la moitié à Tyrion. Celui-ci l’aurait attrapée au vol, mais ses chaînes le retinrent quand il voulut lever les bras. Le volatile le heurta à la tempe et glissa, chaud et graisseux, contre son visage, et le nain dut s’accroupir et s’étirer afin de s’en saisir, dans des sonnailles de fers. Il l’atteignit à sa troisième tentative et se mit à le déchirer à belles dents, fort satisfait. « Une bière pour arroser tout ça ? »