Выбрать главу

— Quelle générosité. Mais j’ai porté le fer, en mon temps, et je m’aperçois désormais que je préfère l’or et l’argent. Et puis, c’est triste à dire, mais nous sommes à Volantis, où les fers et les chaînes coûtent moins cher que le pain rassis et où il est interdit d’aider un esclave à s’évader.

— Je ne suis pas un esclave.

— Tout homme capturé par des esclavagistes entonne le même lamentable refrain. Je ne puis me risquer à t’aider… ici. » Elle se pencha de nouveau en avant. « Dans deux jours, la cogue Selaesori Qhoran prendra la mer pour Qarth, via la Nouvelle-Ghis, chargée d’étain et de fer, de balles de laine et de dentelle, cinquante tapis myriens, un cadavre en saumure, vingt jarres de poivre dragon, et un prêtre rouge. Soyez à bord quand elle lèvera l’ancre.

— Nous y serons, dit Tyrion. Et merci. »

Ser Jorah se rembrunit. « Qarth n’est pas notre destination.

— Elle n’atteindra jamais Qarth. Benerro a vu cela dans ses feux. » La vieillarde eut un sourire de renard.

« Qu’il en soit comme vous dites. » Tyrion sourit largement. « Si j’étais volantain et libre, et que mon sang m’y autorisât, vous auriez mon vote comme triarque, madame.

— Je ne suis pas une dame, riposta la veuve, mais simplement la gueuse de Vogarro. Vous avez intérêt à être partis d’ici avant l’arrivée des Tigres. Si vous deviez atteindre votre reine, transmettez-lui un message de la part des esclaves de l’Antique Volantis. » Elle toucha la cicatrice effacée sur sa joue flétrie, où l’on avait retiré ses larmes. « Dites-lui que nous attendons. Dites-lui de ne pas tarder. »

Jon

Quand il reçut l’ordre, ser Alliser tordit la bouche en une apparence de sourire, mais ses yeux demeurèrent aussi froids et durs que du silex. « Ainsi donc, le bâtard m’envoie crever.

— Crever, s’égosilla le corbeau de Mormont. Crever, crever, crever. »

Tu n’aides vraiment pas. Jon chassa l’oiseau d’une taloche. « Le bâtard vous envoie en patrouille. Trouver nos ennemis et les tuer, si nécessaire. Vous êtes habile avec une lame. Vous étiez maître d’armes, ici et à Fort-Levant. »

Thorne toucha la poignée de son épée. « Certes. J’ai gaspillé le tiers de ma vie à vouloir enseigner les rudiments de l’escrime à des rustauds, des imbéciles et des sots. Grand bien cela me fera dans ces forêts.

— Vous aurez Dywen avec vous, ainsi qu’un autre patrouilleur aguerri.

— On v’ zapprendra c’ que zavez besoin d’ savoir, ser, promit Dywen à Thorne en ricanant. On v’ zapprendra à vous torcher vot’ nob’ cul avec des feuilles, pareil qu’un vrai patrouilleur. »

Cela fit s’esclaffer Kedge Œilblanc, et Jack Bulwer le Noir cracha par terre. Ser Alliser se borna à commenter : « Vous aimeriez me voir refuser. Vous pourriez alors me trancher le col, tout comme vous l’avez fait avec Slynt. Je ne vous offrirai pas ce plaisir, bâtard. Mais priez que ce soit une lame de sauvageon qui me tue, cependant. Ceux que tuent les Autres ne restent pas morts… et ils se souviennent. Je reviendrai, lord Snow.

— Je prie pour cela. » Jamais Jon ne compterait ser Alliser Thorne au nombre de ses amis, mais il demeurait un frère. Personne n’a jamais prétendu qu’on se devait d’aimer ses frères.

Il n’était point facile d’envoyer des hommes dans la nature, en sachant qu’il y avait de bonnes chances pour qu’ils ne reviennent jamais. Ce sont tous des soldats aguerris… se répétait Jon. Mais son oncle Benjen et ses patrouilleurs avaient été des hommes d’expérience, eux aussi, et la forêt hantée les avait avalés sans laisser de traces. Quand deux d’entre eux s’étaient finalement traînés au Mur, ils étaient des spectres. Ni pour la première, ni pour la dernière fois, Jon Snow se retrouvait à se demander ce qu’était devenu Benjen Stark. Peut-être les patrouilleurs découvriront-ils des indices, se répétait-il, sans jamais totalement y croire.

Dywen conduirait une patrouille, Jack le Noir et Kedge Œilblanc les deux autres. Eux au moins étaient impatients d’accomplir leur devoir. « Ça fait du bien d’ sentir à nouveau un cheval entre les jambes, déclara Dywen à la porte, en suçant ses dents de bois. Sauf vot’ respect, m’sire, mais tous tant qu’on est, on commençait à avoir le cul piqué d’échardes, à force d’ rester assis. » Aucun homme de Châteaunoir ne connaissait aussi bien que Dywen la forêt, ses arbres, ses rivières, les plantes comestibles, les mœurs des prédateurs et de leurs proies. Thorne est en meilleures mains qu’il ne le mérite.

Jon regarda du haut du Mur partir les cavaliers – trois groupes, chacun de trois hommes, chacun porteur d’une paire de corbeaux. D’en haut, leurs poneys n’étaient pas plus gros que des fourmis, et Jon ne distinguait pas les patrouilleurs l’un de l’autre. Mais il les connaissait. Chaque nom était gravé sur son cœur. Huit braves, songeait-il, et un… Ma foi, nous verrons bien.

Quand le dernier cavalier eut disparu dans les arbres, Jon Snow descendit par la cage sur poulie, en compagnie d’Edd-la-Douleur. Quelques flocons épars tombaient pendant qu’ils progressaient lentement, dansant sur les rafales. L’un d’eux suivit la cage vers le bas, flottant juste à l’extérieur des barreaux. Il tombait plus vite qu’ils ne descendaient et, de temps en temps, disparaissait au-dessous d’eux. Puis une reprise de vent le saisissait et le poussait de nouveau vers le haut. Jon aurait pu passer le bras par la grille pour l’attraper, s’il l’avait souhaité.

« J’ai fait un rêve affreux, la nuit dernière, m’sire, confessa Edd-la-Douleur. Zétiez mon intendant, zalliez me chercher à manger, débarrasser les restes. J’étais lord Commandant, sans jamais un moment de répit. »

Jon ne sourit pas. « Pour toi, un cauchemar ; pour moi, ma vie. »

Les galères de Cotter Pyke signalaient le peuple libre en nombre sans cesse croissant le long des côtes boisées, au nord-est du Mur. On avait noté des camps, des radeaux en construction, et même la coque d’une cogue fracassée que l’on avait commencé à réparer. Les sauvageons disparaissaient toujours dans la forêt lorsqu’on les repérait, sans doute pour émerger de nouveau dès que les navires de Cotter étaient passés. Dans l’intervalle, ser Denys Mallister continuait de voir des feux dans la nuit au nord de la Gorge. Les deux commandants réclamaient des renforts.

Et où vais-je trouver des hommes supplémentaires ? Jon leur avait envoyé à chacun dix des sauvageons de La Mole : des novices, des vieillards, certains blessés et infirmes, mais tous capables de travailler à l’une ou l’autre tâche. Loin de s’en réjouir, Pyke et Mallister avaient tous deux répondu par courrier pour se plaindre. « Quand j’ai demandé des hommes, j’avais en tête des hommes de la Garde de Nuit, entraînés et disciplinés, de la loyauté desquels je n’aurais nulle cause de douter », avait écrit ser Denys. Cotter Pyke avait été plus brutal. « Je pourrais les pendre au Mur pour avertir les autres sauvageons de tenir leurs distances, mais je ne leur vois pas d’autre utilité, avait noté pour lui mestre Harmune. Je ne me fierais pas à de telles gens pour nettoyer mon pot de chambre, et dix ne suffisent pas. »

La cage de fer descendait au bout de sa longue chaîne, en grinçant et en cahotant, jusqu’à s’arrêter enfin avec une secousse à la base du Mur, un pied au-dessus du sol. Edd-la-Douleur poussa la porte pour l’ouvrir et sauta à terre, ses bottes brisant la carapace de la dernière neige. Jon le suivit.