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Jon se hissa sur un genou, avec effort. Sa tête carillonnait et il avait la bouche remplie de sang. Il le cracha et dit : « Beau combat.

— Tu t’ flattes, corbac. Je transpirais même pas.

— La fois prochaine, tu sueras », répliqua Jon. Edd-la-Douleur l’aida à se remettre sur ses pieds et lui déboucla le casque. Il présentait plusieurs sérieuses bosselures qui n’étaient pas là lorsqu’il s’en était coiffé. « Lâchez-le. » Jon jeta le casque à Hop Robin, qui le laissa choir.

« Messire, protesta Emmett-en-Fer, il a prononcé des menaces contre votre vie, nous l’avons tous entendu. Il a dit que s’il avait un poignard…

— Il a bel et bien un poignard. Là, à sa ceinture. » Il y a toujours quelqu’un de plus rapide et de plus fort, avait dit un jour ser Rodrik à Jon et à Robb. C’est lui que vous devez affronter dans la cour avant de devoir affronter son pareil sur un champ de bataille.

« Lord Snow ? » intervint une voix douce.

Il se tourna pour voir Clydas debout sous l’arche brisée, un parchemin à la main. « De la part de Stannis ? » Jon espérait des nouvelles du roi. La Garde de Nuit ne prenait pas parti, il en avait conscience, et savoir quel roi triompherait n’aurait pas dû lui importer. Mais apparemment, si. « Est-ce de Motte ?

— Non, messire. » Clydas tendit le parchemin devant lui. Il était étroitement roulé et scellé, avec un bouton de cire rose et dure. Seul Fort-Terreur use de cire à cacheter rose. Jon arracha son gantelet, saisit la lettre, rompit le sceau. Lorsqu’il vit la signature, il oublia la correction que lui avait infligée Clinquefrac.

Ramsay Bolton, sire de Corbois, disait-elle, d’une ample écriture pointue. L’encre brune se détacha par écailles quand Jon la frôla du pouce. Sous la signature de Bolton, lord Dustin, lady Cerwyn et quatre Ryswell avaient apposé leurs propres marques et sceaux. Une main plus fruste avait tracé le géant de la maison Omble. « Pouvons-nous savoir ce que cela dit, messire ? » s’enquit Emmett-en-Fer.

Jon ne vit aucune raison de ne pas le lui révéler. « Moat Cailin est tombée. Les cadavres écorchés des Fer-nés ont été cloués à des poteaux le long de la route Royale. Roose Bolton convoque tous les seigneurs féaux à Tertre-bourg, afin d’affirmer leur loyauté au Trône de Fer, et de célébrer les noces de son fils avec… » Son cœur lui parut s’arrêter un instant. Non, ce n’est pas possible. Elle est morte à Port-Réal, avec Père.

« Lord Snow ? » Clydas le scruta de près avec ses yeux roses et troubles. « Êtes-vous… souffrant ? Vous semblez…

— Il doit épouser Arya Stark. Ma petite sœur. » À cet instant, Jon la voyait presque, toute en genoux cagneux et en coudes pointus, avec son visage allongé et sa maladresse, sa frimousse barbouillée et ses cheveux emmêlés. On laverait l’une et peignerait les autres, il n’en doutait pas, mais il ne pouvait imaginer Arya en robe de mariée, ni dans le lit de Ramsay Bolton. Aussi effrayée qu’elle puisse être, elle n’en montrera rien. S’il essaie de poser la main sur elle, elle résistera.

« Votre sœur, dit Emmett-en-Fer, quel âge… »

Elle doit désormais avoir onze ans, songea Jon. Encore une enfant. « Je n’ai pas de sœur. Rien que des frères. Rien que vous. » Lady Catelyn se serait réjouie d’entendre ces mots, il le savait. Cela ne les rendait pas plus faciles à prononcer. Ses doigts se refermèrent sur le parchemin. Si seulement ils avaient pu broyer aussi aisément la gorge de Ramsay Bolton.

Clydas s’éclaircit la gorge. « Y aura-t-il une réponse ? »

Jon secoua la tête et s’en fut.

À la tombée de la nuit, les bleus que Clinquefrac lui avait infligés avaient viré au mauve. « Ils passeront à l’ambre avant que de s’effacer, annonça-t-il au corbeau de Mormont. J’aurai le teint aussi jaune que le Seigneur des Os.

— Des os, approuva l’oiseau. Des os, des os. »

Il entendait au-dehors un léger brouhaha de voix, bien que le son fût trop faible pour distinguer les mots. On les croirait à mille lieues d’ici. C’était lady Mélisandre et ses fidèles devant leur feu nocturne. Chaque nuit au crépuscule la femme rouge conduisait la prière du crépuscule pour ses fidèles, afin de demander à leur dieu rouge de les guider au sein des ténèbres. Car la nuit est sombre, et pleine de terreurs. Avec le départ de Stannis et de la plupart des gens de la reine, ses ouailles avaient beaucoup diminué ; une cinquantaine pour le peuple libre venu de La Mole, la poignée de gardes que le roi lui avait laissés, peut-être une douzaine de frères noirs qui avaient fait leur le dieu rouge.

Jon se sentait courbaturé comme un homme de soixante ans. Des rêves noirs, se dit-il, et la culpabilité. Sans cesse ses pensées revenaient à Arya. Il n’y a aucun moyen pour moi de lui venir en aide. J’ai écarté tous les miens quand j’ai prononcé le serment. Si l’un de mes hommes me disait que sa sœur court un danger, je lui répondrais que ce n’est pas son affaire. Une fois qu’un homme avait prononcé le serment, son sang était noir. Noir comme un cœur de bâtard. Il avait un jour demandé à Mikken de forger pour Arya une épée, une lame de spadassin, de taille réduite pour loger dans sa main. Aiguille. Il se demanda si elle l’avait encore. Frappe-les avec le bout pointu, lui avait-il dit, mais qu’elle tente d’embrocher le Bâtard, et cela pourrait lui coûter la vie.

« Snow, murmura le corbeau de Mormont. Snow, Snow. »

Et soudain, il ne put plus supporter le volatile.

Il trouva Fantôme devant sa porte, en train de ronger un os de bœuf pour atteindre la moelle. « Quand es-tu revenu ? » Le loup géant se remit debout, abandonnant son os pour suivre Jon au petit trot.

Mully et Muids se tenaient dans l’encadrement des portes, appuyés sur leurs piques. « ’Fait un froid cruel, dehors, m’sire, le mit en garde Mully à travers sa barbe orange en broussaille. Vous partez longtemps ?

— Non. J’ai simplement besoin de respirer. » Jon sortit dans la nuit. Le ciel était rempli d’étoiles, et le vent soufflait en rafales le long du Mur. Même la lune paraissait froide ; elle avait le visage couvert de chair de poule. Puis le premier coup de vent le cueillit, transperçant toutes ses couches de laine et de cuir pour lui faire claquer des dents. Il traversa la cour à grands pas, dans les crocs de ce vent. Sa cape claquait bruyamment à ses épaules. Fantôme le suivait. Où est-ce que je vais ? Qu’est-ce que je fais ? Châteaunoir était immobile et silencieux, ses salles et ses tours obscures. Mon siège, se dit Jon Snow. Ma demeure, mon foyer, mon commandement. Une ruine.

Dans l’ombre du Mur, le loup géant se frotta à ses doigts. L’espace d’un demi-battement de cœur, la nuit s’anima d’un millier d’odeurs, et Jon Snow entendit craquer la carapace d’une vieille plaque de neige. Il y avait quelqu’un derrière lui, comprit-il soudain. Quelqu’un qui avait l’odeur chaude d’un jour d’été.