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En se tournant, il vit Ygrid.

Elle se tenait sous les pierres calcinées de la tour du lord Commandant, drapée d’obscurité et de souvenirs. La lumière de la lune jouait dans ses cheveux, ses cheveux roux qui avaient reçu le baiser du feu. Quand il vit cela, Jon sentit son cœur bondir dans sa poitrine. « Ygrid, dit-il.

— Lord Snow. » C’était la voix de Mélisandre.

La surprise fit reculer Jon devant elle. « Lady Mélisandre. » Il fit un pas en arrière. « Je vous ai prise pour quelqu’un d’autre. » La nuit, toutes les robes sont grises. Pourtant, subitement, les siennes étaient rouges. Il ne comprit pas comment il avait pu la confondre avec Ygrid. Elle était plus grande, plus mince, plus âgée, malgré le clair de lune qui lavait les années de son visage. De la buée montait de ses narines et de ses mains pâles nues dans la nuit. « Vous allez vous geler les doigts, la mit en garde Jon.

— Si telle est la volonté de R’hllor. Les puissances de la nuit ne peuvent toucher celle dont le cœur est baigné par le feu sacré du dieu.

— Ce n’est pas de votre cœur que je m’inquiète. Juste de vos mains.

— Seul le cœur importe. Ne désespérez pas, lord Snow. Le désespoir est une arme de cet ennemi dont on ne peut prononcer le nom. Votre sœur n’est pas perdue pour vous.

— Je n’ai pas de sœur. » Les mots étaient des couteaux. Que sais-tu de mon cœur, prêtresse ? Que sais-tu de ma sœur ?

Mélisandre parut amusée. « Comment s’appelle-t-elle, cette petite sœur que vous n’avez pas ?

— Arya. » Il parlait d’une voix enrouée. « Ma demi-sœur, en vérité…

— … car vous êtes né bâtard. Je n’avais pas oublié. J’ai vu votre sœur dans mes feux, fuyant ce mariage qu’ils ont conclu pour elle. S’en venant ici, vers vous. Une fille en gris, sur un cheval agonisant. Je l’ai vue, aussi clair que le jour. Ce n’est pas encore arrivé, mais cela se passera. » Elle jeta un coup d’œil à Fantôme. « Puis-je toucher votre… loup ? »

L’idée mit Jon mal à l’aise. « Mieux vaudrait éviter.

— Il ne me fera aucun mal. Vous l’appelez Fantôme, non ?

— Si, mais…

— Fantôme. » Mélisandre fit du nom une mélodie.

Le loup géant vint à elle. Méfiant, il l’approcha par un mouvement tournant, en humant. Quand elle tendit sa main, il la flaira aussi, puis fourra sa truffe contre les doigts.

Jon laissa échapper un souffle blanc. « Il n’est pas toujours si…

— … chaleureux ? La chaleur appelle la chaleur, Jon Snow. » Ses yeux étaient deux étoiles rouges, brillant dans le noir. À sa gorge, son rubis chatoyait, un troisième œil qui luisait plus fort que les autres. Jon avait vu les yeux de Fantôme flamboyer rouge de la même façon, quand ils reflétaient la lumière sous le bon angle. « Fantôme, appela-t-il. À moi. »

Le loup géant le regarda comme s’il était un étranger.

Jon fronça les sourcils, incrédule. « C’est… singulier.

— Vous trouvez ? » Elle s’agenouilla et gratta Fantôme derrière l’oreille. « Votre Mur est un lieu singulier, mais il y a de la puissance, ici, si vous en voulez user. De la puissance en vous et en cet animal. Vous lui résistez, et vous commettez une erreur. Embrassez-la. Employez-la. »

Je ne suis pas un loup, se dit-il. « Et comment le ferais-je ?

— Je peux vous montrer. » Mélisandre posa un bras mince sur Fantôme, et l’énorme loup lui lécha le visage. « Dans sa sagesse, le Maître de la Lumière nous a créés homme et femme, deux parties d’un plus grand tout. De notre union naît un pouvoir. Le pouvoir d’engendrer la vie. Le pouvoir d’engendrer la lumière. Le pouvoir de projeter des ombres.

— Des ombres. » Le monde parut plus obscur quand il prononça le mot.

« Tout homme qui foule cette terre projette une ombre sur le monde. Certaines sont pâles et faibles, d’autres longues et noires. Vous devriez regarder derrière vous, lord Snow. En vous donnant son baiser, la lune a gravé sur la glace une ombre de vingt pieds de haut. »

Jon regarda par-dessus son épaule. L’ombre se trouvait là, exactement comme elle l’avait décrite, ciselée contre le Mur par le clair de lune. Une fille en gris, sur un cheval agonisant, se répéta-t-il. S’en venant ici, vers vous. Arya. Jon se retourna vers la prêtresse rouge. Il percevait la chaleur qui émanait d’elle. Elle a du pouvoir. Cette pensée lui vint sans prévenir, le serrant dans des crocs de fer, mais ce n’était pas une femme envers qui il voulait contracter une dette, pas même pour sa petite sœur. « Della m’a dit quelque chose, un jour. La sœur de Val, l’épouse de Mance Rayder. Elle m’a dit que la sorcellerie était une épée dépourvue de poignée. Il n’y avait aucun moyen de la saisir sans risque.

— Une femme pleine de sagesse. » Mélisandre se leva, ses robes rouges s’agitant sous le vent. « Une épée dépourvue de poignée reste une épée, toutefois, et il est bon d’avoir une épée lorsque des ennemis vous cernent tous côtés. Entendez-moi à présent, Jon Snow. Neuf corbeaux se sont envolés dans le bois blanc afin de trouver vos ennemis pour vous. Trois d’entre eux sont morts. Ils n’ont pas encore péri, mais leur mort est là-bas qui les attend, et ils chevauchent à sa rencontre. Vous les avez envoyés pour être vos yeux dans les ténèbres, mais ils n’auront plus d’yeux quand ils vous reviendront. J’ai vu dans mes flammes leurs visages morts et blafards. Des orbites creuses, pleurant du sang. » Elle repoussa en arrière ses cheveux roux, et ses yeux rouges brillèrent. « Vous ne me croyez pas. Vous y viendrez. Cette confiance va vous coûter trois vies. Un prix modeste pour la sagesse, jugeront certains… Mais un prix que vous n’étiez pas obligé d’acquitter. Souvenez-vous-en quand vous contemplerez les visages aveugles et ravagés de vos morts. Et quand arrivera ce jour, prenez ma main. » Une vapeur montait de sa chair pâle et, un instant, il sembla que de blêmes flammes sorcières jouaient autour de ses doigts. « Prenez ma main, répéta-t-elle, et laissez-moi sauver votre sœur. »

Davos

Même dans la pénombre de l’Antre du Loup, Davos Mervault sentait quelque chose d’anormal, ce matin-là.

Il s’éveilla à un bruit de voix et alla à pas feutrés jusqu’à la porte de sa cellule, mais le bois trop épais l’empêcha de distinguer les mots. L’aube était venue, mais pas le gruau d’avoine que lui apportait chaque matin Garth pour son petit déjeuner. Il s’en inquiéta. Les jours se ressemblaient tous beaucoup à l’intérieur de l’Antre du Loup, et tout changement apportait en général une dégradation. C’est peut-être aujourd’hui que je vais mourir. Garth est sans doute assis en ce moment, à affûter Madame Lou sur sa pierre à aiguiser.

Le chevalier oignon n’avait pas oublié les dernières paroles que lui avait lancées Wyman Manderly. Emportez cette créature dans l’Antre du Loup, et tranchez-lui le chef et les mains, avait ordonné le gras seigneur. Je ne pourrai avaler une bouchée que je n’aie vu la tête de ce contrebandier au bout d’une pique, avec un oignon enfoncé entre ses dents de menteur. Chaque nuit, Davos s’endormait avec ces mots dans la tête, et chaque aube, il se réveillait à leur bruit. Et les eût-il oubliés que Garth prenait toujours plaisir à les lui remettre en mémoire. Il appelait Davos « le mort ». En passant le matin, il lançait toujours : « Tiens, du gruau pour le mort. » Le soir, il disait : « Souffle ta chandelle, le mort. »