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Une fois, Garth avait amené ses dames pour les présenter au mort. « L’a l’air de rien, la Garce, dit-il en caressant une barre de fer noir et froid, mais quand j’ la porterai au rouge et que j’ la laisserai te toucher la queue, tu vas réclamer ta mère. Et v’là Madame Lou. C’est elle qui t’ prendra la tête et les mains, quand lord Wyman en enverra l’ordre. » Davos n’avait jamais vu de hache plus grande que Madame Lou, ni aucune au fil plus tranchant. Garth passait ses journées à l’affûter, selon les autres gardiens. Je n’implorerai pas grâce, décida Davos. Il irait à la mort en chevalier, demandant seulement qu’on lui prît le chef avant les mains. Même Garth n’aurait pas assez de cruauté pour le lui refuser, espérait-il.

Les bruits qui parvenaient à travers la porte étaient faibles et étouffés. Davos se leva et arpenta sa cellule. En matière de geôles, elle était spacieuse et étrangement confortable. Il la soupçonnait d’avoir été la chambre à coucher de quelque nobliau. Elle avait trois fois la taille de sa cabine de capitaine sur la Botha Noire, et plus encore, par rapport à celle dont jouissait Sladhor Saan sur son Valyrien. Bien que son unique fenêtre eût été murée de briques des années plus tôt, un mur s’enorgueillissait encore d’un âtre assez grand pour accueillir une marmite, et il y avait bel et bien un cabinet d’aisances construit dans un recoin de la pièce. Le parquet était constitué de lattes gauchies et hérissées d’échardes, et sa couchette sentait le moisi, mais c’étaient des inconforts mineurs par rapport aux craintes de Davos.

La nourriture avait constitué une surprise, également. En lieu de gruau, de pain sec et de viande gâtée, régime coutumier des cachots, ses gardiens lui apportaient des poissons frais pêchés, du pain tout chaud sorti du four, du mouton aux épices, des navets, des carottes et même du crabe. Ce qui n’enchantait guère Garth. « Les morts ne devraient pas manger mieux que les vivants », s’était-il indigné plus d’une fois. Davos avaient des fourrures pour lui tenir chaud la nuit, du bois pour alimenter son feu, des vêtements propres, une chandelle de suif. Lorsqu’il avait demandé du papier, une plume et de l’encre, Therry les lui avait apportés le jour suivant. Quand il avait sollicité un livre, de façon à persévérer dans la lecture, Therry s’était présenté avec L’Étoile à sept branches.

En dépit de tout son confort, cependant, sa cellule demeurait une cellule. Elle avait des murs en pierre ferme, si épais qu’il n’entendait rien du monde extérieur. La porte était de chêne et de fer, et ses geôliers la maintenaient barrée. Quatre jeux de lourdes chaînes en fer pendaient du plafond, dans l’attente du jour où lord Manderly déciderait de l’entraver et de le confier à la Garce. Ce pourrait être aujourd’hui. La prochaine fois que Garth ouvrira ma porte, ce ne sera peut-être pas pour m’apporter du gruau d’avoine.

Son estomac grondait, indicateur infaillible que la matinée avançait, et toujours aucun signe de nourriture. Le pire n’est pas de mourir, c’est d’ignorer quand ou comment. Il avait vu l’intérieur de plus d’une geôle et de plus d’un cachot aux temps où il était contrebandier, mais il partageait ceux-là avec d’autres prisonniers, si bien qu’il y avait toujours un interlocuteur avec qui discuter, partager ses craintes et ses espoirs. Pas ici. Exception faite de ses gardiens, Davos Mervault avait l’Antre du Loup pour lui tout seul.

Il savait qu’existaient de véritables cachots dans les caves du château – des oubliettes et des chambres de torture, des fosses détrempées où d’énormes rats noirs furetaient dans les ténèbres. Ses geôliers affirmaient que tous étaient inoccupés à l’heure actuelle. « Y a qu’ nous, ici, l’Oignon », lui avait déclaré ser Bartimus. C’était le geôlier en chef, un chevalier cadavérique et unijambiste, avec un visage couvert de cicatrices et un œil aveugle. Lorsque ser Bartimus était pris de boisson (et il l’était quasiment tous les jours), il aimait à se vanter d’avoir sauvé la vie de lord Wyman à la bataille du Trident. L’Antre du Loup était sa récompense.

Pour le reste, ce « nous » se résumait à un cuisinier que ne voyait jamais Davos, six gardes dans le casernement du rez-de-chaussée, deux lavandières et les deux geôliers qui surveillaient le prisonnier. Le plus jeune était Therry, un gamin de quatorze ans, fils d’une des lavandières. Le plus vieux, Garth, énorme, chauve et taciturne, portait chaque jour le même justaucorps de cuir ensuifé et semblait afficher en permanence sur le visage un rictus goguenard.

Ses années de contrebande avaient donné à Davos la faculté de détecter si l’on pouvait se fier à un homme, et Garth n’était pas fiable. En sa présence, le chevalier oignon prenait garde à tenir sa langue. Face à Therry et ser Bartimus, il avait moins de réticence. Il les remerciait pour sa nourriture, les encourageait à évoquer leurs espoirs et leur passé, répondait avec courtoisie à leurs questions et n’insistait jamais trop avec les siennes. Lorsqu’il formulait des requêtes, elles étaient modestes : une cuvette d’eau et un bout de savon, un livre à lire, de nouvelles chandelles. La plupart lui étaient accordées, et Davos en éprouvait une juste reconnaissance.

Aucun des deux hommes ne parlait de lord Manderly, du roi Stannis ni des Frey, mais ils discutaient d’autres sujets. Therry voulait aller à la guerre quand il en aurait l’âge, pour livrer bataille et devenir chevalier. Il aimait aussi se plaindre de sa mère. Elle couchait avec deux des gardes, lui avait-il confié. Les deux hommes avaient des tours de service différents et aucun ne connaissait l’existence de l’autre, mais un de ces jours, l’un des deux découvrirait le pot aux roses, et le sang coulerait. Certaines nuits, le gamin apportait même dans la cellule une outre de vin et, tout en buvant avec lui, il interrogeait Davos sur la vie de contrebandier.

Ser Bartimus n’éprouvait aucun intérêt vis-à-vis du monde extérieur, ni de quoi que ce soit, d’ailleurs, depuis qu’il avait perdu sa jambe, à cause d’un cheval sans cavalier et de la scie d’un mestre. Il en était venu toutefois à vénérer l’Antre du Loup, et n’appréciait rien plus que de discuter de la longue et sanglante histoire du lieu. L’Antre était bien plus ancien que Blancport, avait révélé le chevalier à Davos. Il avait été édifié par le roi Jon Stark pour défendre l’embouchure de la Blanchedague contre les razzieurs venus de la mer. Plus d’un fils cadet du roi du Nord s’était établi ici, plus d’un frère, plus d’un oncle, plus d’un cousin. Certains avaient transmis le château à leurs propres fils et petits-fils, donnant naissance à des branches cadettes de la maison Stark ; la plus durable avait été celle des Greystark, maîtres de l’Antre du Loup cinq siècles durant, jusqu’à ce qu’ils aient l’audace de rejoindre Fort-Terreur dans sa rébellion contre les Stark de Winterfell.

Après leur chute, le château était passé dans bien d’autres mains. La maison Flint l’avait conservé un siècle, la maison Locke presque deux. Des Ardoise, des Long, des Holt et des Boisfrêne avaient gouverné ici, chargés par Winterfell d’assurer la sécurité du fleuve. Des razzieurs des Trois Sœurs avaient une fois pris le château, afin d’en faire un marchepied vers le Nord. Au cours des guerres entre Winterfell et le Val, Osgood Arryn, le Vieux Faucon, l’avait assiégé et son fils, celui qui était resté connu sous le nom de La Serre, l’avait incendié. Lorsque le vieux roi Edrick Stark était devenu trop faible pour défendre son royaume, des négriers des Degrés de Pierre s’étaient emparés de l’Antre du Loup. Ils marquaient leurs captifs au fer rouge et les brisaient à coups de fouet avant de les expédier sur l’autre rive du détroit, et ces mêmes murs de pierre noire en portaient témoignage.