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« Veuillez vous asseoir. » Lord Manderly était vêtu avec richesse. Son pourpoint de velours était d’un bleu vert tendre, brodé de fils d’or aux ourlets, sur les manches et au col. Son manteau d’hermine s’accrochait à l’épaule par un trident d’or. « Avez-vous faim ?

— Non, messire. Vos geôliers m’ont bien nourri.

— Il y a du vin, si vous avez soif.

— Je vais traiter avec vous, messire. Mon roi me l’a ordonné. Je n’ai point à trinquer avec vous. »

Lord Wyman poussa un soupir. « Je vous ai traité de la façon la plus honteuse, je le sais. J’avais mes raisons, mais… Je vous en prie, asseyez-vous et buvez, vous m’obligerez. Buvez au retour de mon fils sain et sauf. Wylis, mon aîné et héritier. Il est revenu. C’est le banquet de bienvenue que vous entendez. À la cour du Triton, on mange de la tourte de lamproie et de la venaison avec des marrons rôtis. Wynafryd danse avec le Frey qu’elle va épouser. Les autres Frey lèvent des coupes de vin à la santé de notre amitié. »

Par-dessous la musique, Davos distinguait un brouhaha de voix nombreuses, le tintement des coupes et des plateaux. Il ne dit rien.

« J’arrive tout juste du haut bout de la table, enchaîna lord Wyman. J’ai trop mangé, comme toujours, et tout Blancport sait que mes entrailles me jouent des tours. Mes amis Frey ne s’interrogeront pas sur une longue visite au cabinet d’aisances, nous l’espérons. » Il retourna sa coupe. « Tenez. Vous allez boire et pas moi. Asseyez-vous. Le temps presse et il y a beaucoup à dire. Robett, du vin pour la Main, si vous voulez bien. Lord Davos, vous n’en savez rien, mais vous êtes mort. »

Robett Glover remplit une coupe de vin et l’offrit à Davos. Il la prit, la renifla et but. « Comment suis-je mort, si je puis me permettre cette question ?

— Par la hache. Votre tête et vos mains ont été exposées au-dessus de la porte des Otaries, avec le visage ainsi tourné que vos yeux contemplent par-delà le port. Désormais, vous êtes fort décomposé, bien que nous ayons trempé votre tête dans le goudron avant que de la placer au bout de la pique. Les corbeaux charognards et les oiseaux de mer se sont disputé vos yeux, dit-on. »

Davos s’agita avec inconfort. C’était une étrange sensation, que d’être mort. « S’il plaît à Votre Seigneurie, qui est mort à ma place ?

— Quelle importance ? Vous avez un visage commun, lord Davos. J’espère que je ne vous offense point en le disant. L’homme avait votre complexion, un nez de même forme, deux oreilles point trop différentes, une longue barbe qu’on a pu retailler et conformer selon la vôtre. Vous pouvez être assuré que nous l’avons bien enduit de goudron, et que l’oignon enfoncé entre ses dents a servi à lui déformer les traits. Ser Bartimus a veillé à ce qu’il ait les doigts de la main gauche raccourcis à l’identique des vôtres. L’homme était un criminel, si cela peut vous consoler quelque peu. Sa mort pourrait accomplir plus de bien que tout ce qu’il a jamais fait durant sa vie. Messire, je n’ai nulle malveillance à votre encontre. La rancœur que je vous ai témoignée dans la cour du Triton était une farce de bateleur jouée pour le contentement de nos amis Frey.

— Votre Seigneurie devrait entamer une carrière de bateleur, commenta Davos. Vous et les vôtres étiez fort convaincants. Votre bru semblait bien sincèrement souhaiter ma mort, et la petite fille…

— Wylla. » Lord Wyman sourit. « Avez-vous vu combien elle était brave ? Alors que je la menaçais de lui trancher la langue, elle m’a rappelé la dette de Blancport envers les Stark de Winterfell, une dette qui ne pourra jamais être remboursée. Wylla a parlé avec le cœur, comme l’a fait lady Leona. Pardonnez-la si vous pouvez, messire. C’est une sotte, et elle a peur : Wylis est toute sa vie. Tous les hommes n’ont pas en leur cœur d’être le prince Aemon, Chevalier-Dragon, ou Symeon Prunelles étoilées, et toute femme ne peut être aussi brave que ma Wylla et sa sœur Wynafryd… qui savait, elle, et a pourtant tenu son rôle sans frémir.

» Quand il traite avec des menteurs, même l’honnête homme doit mentir. Je n’osais pas défier Port-Réal tant que mon dernier fils en vie demeurait en captivité. Lord Tywin Lannister m’avait personnellement écrit pour me dire qu’il détenait Wylis. Si je voulais le revoir sauf et libre, m’a-t-il dit, je devais me repentir de ma trahison, capituler, déclarer ma loyauté envers l’enfant sur le Trône de Fer… et ployer le genou devant Roose Bolton, son gouverneur du Nord. Si je refusais, Wylis connaîtrait la mort des traîtres. Blancport serait pris et mis à sac, et mon peuple subirait le sort des Reyne de Castamere.

» Je suis gras, et bien des gens s’imaginent que cela me rend faible et sot. Il se peut que Tywin Lannister ait été du nombre. Je lui ai renvoyé un corbeau pour lui dire que je plierais le genou et que j’ouvrirais mes portes après que mon fils serait revenu, mais pas avant. L’affaire en était restée là à la mort de Tywin. Par la suite, les Frey se sont présentés avec les os de Wendel… pour conclure la paix et la sceller par un pacte de mariage, prétendaient-ils, mais je n’allais pas leur donner ce qu’ils souhaitaient avant d’avoir Wylis, sain et sauf, et ils n’allaient pas me restituer Wylis tant que je n’aurais pas prouvé ma loyauté. Votre arrivée m’a fourni le moyen de le faire. Voilà les raisons de la discourtoisie que je vous ai témoignée à la cour du Triton, et de la tête et des mains qui pourrissent au-dessus de la porte des Otaries.

— Vous avez pris un grand risque, messire, commenta Davos. Si les Frey avaient percé à jour votre ruse…

— Je n’ai pris aucun risque. Si l’un des Frey s’était mêlé d’escalader ma porte pour regarder de près l’homme à l’oignon dans la bouche, j’aurai blâmé mes geôliers pour cette erreur et vous aurais produit pour les apaiser. »

Davos sentit un frisson lui parcourir l’échine. « Je vois.

— J’espère bien. Vous avez des fils, vous aussi, avez-vous dit. »

Trois, songea Davos, bien que j’en aie mis sept au monde.

« Je vais devoir sous peu rejoindre le banquet pour boire à la santé de mes amis Frey, enchaîna Manderly. Ils me surveillent, ser. Jour et nuit, leurs yeux sont posés sur moi, leurs narines cherchent un parfum de traîtrise. Vous les avez vus, l’arrogant ser Jared et son neveu Rhaegar, cette larve goguenarde qui porte un nom de dragon. Derrière eux deux se tient Symond, qui fait tinter des pièces. Celui-là a acheté et payé plusieurs de mes serviteurs et deux de mes chevaliers. Une des caméristes de son épouse s’est faufilée dans le lit de mon propre bouffon. Si Stannis s’étonne que mes lettres soient si peu disertes, c’est que je n’ose pas même me fier à mon mestre. Théomore est tout en tête, sans rien en cœur. Vous l’avez entendu, dans ma cour. Les mestres sont censés mettre leurs anciennes loyautés de côté quand ils ceignent leurs chaînes, mais je ne puis oublier que Théomore est né Lannister de Port-Lannis et qu’il revendique quelque parenté avec les Lannister de Castral Roc. Les ennemis et les faux amis me cernent de toutes parts, lord Davos. Ils infestent ma cité comme des cafards et, la nuit, je les sens me courir dessus. » Les doigts du gros homme se resserrèrent en un poing et tous ses mentons frémirent. « Mon fils Wendel est arrivé en invité aux Jumeaux. Il a partagé le pain et le sel de lord Walder et a accroché son épée au mur pour banqueter avec des amis. Et ils l’ont assassiné. Assassiné, je dis, et puissent les Frey s’étouffer sur leurs fables. Je bois avec Jared, je plaisante avec Symond, je promets à Rhaegar la main de ma propre petite-fille chérie… Mais ne vous figurez jamais que cela signifie que j’aie oublié. Le Nord se souvient, lord Davos. Le Nord se souvient et la farce du bateleur est presque arrivée à son terme. Mon fils est chez lui. »