Robett Glover reprit la narration. « Nous ne saurons peut-être jamais tout ce qui est advenu à Winterfell lorsque ser Rodrik Cassel a essayé de reprendre le castel aux Fer-nés de Theon Greyjoy. Le Bâtard de Bolton prétend que Greyjoy a assassiné ser Rodrik lors de pourparlers. Wex dit que non. Jusqu’à ce qu’il sache mieux écrire, nous ne saurons jamais qu’une mi-vérité… Mais il est venu à nous en sachant oui et non, et cela peut mener loin dès que l’on trouve les bonnes questions.
— C’est le Bâtard qui a assassiné ser Rodrik et les hommes de Winterfell, déclara lord Wyman. Il a également occis les Fer-nés de Greyjoy. Wex a vu abattre des hommes qui tentaient de se rendre. Lorsque nous avons demandé comment il y avait échappé, il a pris un morceau de craie et dessiné un arbre avec un visage. »
Davos y réfléchit. « Les anciens dieux l’ont sauvé ?
— D’une certaine façon. Il a escaladé l’arbre-cœur et s’est dissimulé dans son feuillage. Les hommes de Bolton ont fouillé à deux reprises le bois sacré, et tué les hommes qu’ils y trouvaient, mais personne n’a songé à grimper dans les arbres. Est-ce bien ce qui s’est passé, Wex ? »
Le gamin fit sauter en l’air le stylet de Glover, le rattrapa et hocha la tête.
« Il est longtemps resté dans l’arbre, reprit Glover. Il a dormi dans les branches, sans oser descendre. Finalement, il a entendu des voix au-dessous de lui.
— Les voix des morts », compléta Wyman Manderly.
Wex leva cinq doigts, tapota chacun d’eux avec le stylet, puis il en replia quatre et tapota à nouveau le dernier.
« Six, demanda Davos. Ils étaient six.
— Deux d’entre eux étaient les fils assassinés de Ned Stark.
— Comment un muet pourrait-il dire une telle chose ?
— Avec sa craie. Il a dessiné deux garçons… et deux loups.
— Le gamin est fer-né, aussi a-t-il jugé plus sage de ne pas se montrer, dit Glover. Il a écouté. Les six ne se sont guère attardés parmi les ruines de Winterfell. Quatre sont partis d’un côté, deux d’un autre. Wex s’en est allé à la suite des deux, une femme et un jeune garçon. Il a dû rester sous le vent, afin que le loup ne puisse flairer sa présence.
— Il sait où ils sont allés », assura lord Wyman.
Davos comprit. « Vous voulez l’enfant.
— Roose Bolton détient la fille de lord Eddard. Pour le contrer, Blancport doit avoir le fils du Ned… et le loup géant. Le loup prouvera que l’enfant est qui nous le prétendons être, si Fort-Terreur essayait de nier. Voilà mon prix, lord Davos. Ramenez-moi en contrebande mon suzerain, et je prendrai Stannis Baratheon pour roi. »
Un vieil instinct poussa Davos Mervault à amener la main à sa gorge. Les os de ses doigts lui avaient porté bonheur et il sentait confusément qu’il aurait besoin de chance pour accomplir ce que Wyman Manderly exigeait de lui. Mais les osselets avaient disparu, aussi dit-il : « Vous avez à votre service de meilleurs hommes que moi. Des chevaliers, des seigneurs et des mestres. Quel besoin avez-vous d’un contrebandier ? Vous avez des vaisseaux.
— Des vaisseaux, confirma lord Wyman, mais mes équipages sont des hommes du fleuve, ou des pêcheurs qui ne se sont jamais aventurés au-delà de la Morsure. Pour cette tâche, j’ai besoin d’un homme qui a navigué en des eaux plus noires, et qui sait esquiver les dangers, sans être vu ni saisi.
— Où est le petit ? » Instinctivement, Davos sut que la réponse n’allait pas lui plaire. « Où est-ce que vous voulez que j’aille, messire ?
— Wex, montre-lui », demanda Robett Glover.
Le muet fit sauter le stylet, l’attrapa, puis le lança en le faisant pivoter vers la carte en peau de mouton qui ornait le mur de lord Wyman. La lame se planta en vibrant. Puis Wex sourit.
L’espace d’un demi-battement de cœur, Davos songea à prier Wyman Manderly de le renvoyer dans l’Antre du Loup, à ser Bartimus et ses contes, et à Garth et ses dames fatales. Dans l’Antre, même les prisonniers mangeaient du gruau d’avoine le matin. Mais il existait en ce monde d’autres lieux, où l’on disait que les hommes déjeunaient de chair humaine.
Daenerys
Chaque matin, de ses remparts à l’ouest, la reine comptait les voiles sur la baie des Serfs.
Ce jour, elle en compta vingt et cinq, bien que certaines fussent lointaines et mobiles, si bien qu’il était difficile d’être catégorique. Parfois, elle en manquait une, ou en comptait une autre deux fois. Quelle importance ? Un étrangleur n’a besoin que de dix doigts. Tout commerce avait cessé, et ses pêcheurs n’osaient pas sortir sur la baie. Les plus hardis continuaient à plonger quelques lignes dans le fleuve, malgré les dangers que cela aussi présentait ; la plupart restaient à l’ancre sous les murailles de brique multicolore de Meereen.
Il y avait également des navires de Meereen sur la baie, des navires de guerre et des galères de commerce auxquelles leurs capitaines avaient fait prendre le large quand l’ost de Daenerys était venu assiéger la cité, désormais de retour afin d’augmenter les flottes de Qarth, de Tolos et de la Nouvelle-Ghis.
Les conseils de son amiral s’étaient révélés pires qu’inutiles. « Montrez-leur vos dragons, avait recommandé Groleo. Que les Yunkaïis goûtent au feu, et le flot du négoce reprendra.
— Ces navires nous étranglent, et tout ce que mon amiral sait faire, c’est de parler de dragons, commenta Daenerys. Vous êtes bien mon amiral, je ne me trompe pas ?
— Un amiral sans vaisseaux.
— Eh bien, construisez-en.
— On ne peut construire des vaisseaux de guerre avec des briques. Les esclavagistes ont brûlé toute source de bois à vingt lieues à la ronde.
— En ce cas, galopez à vingt-deux. Je vous donnerai des chariots, des ouvriers, des mules, tout ce dont vous aurez besoin.
— Je suis marin, et non architecte naval. On m’a envoyé pour ramener Votre Grâce à Pentos. Au lieu de quoi vous nous avez conduits ici et vous avez démembré mon Saduleon pour récupérer des clous et des pièces de bois. Jamais plus je ne reverrai son pareil. Je ne reverrai peut-être plus ma maison, ni ma vieille femme. Ce n’est pas moi qui ai refusé les navires qu’offrait ce Daxos. Je ne peux combattre les Qarthiens avec des bateaux de pêche. »
Son fiel décontenança Daenerys, à tel point qu’elle commença à se demander si le vieux Pentoshi pourrait être un de ses trois traîtres. Non, ce n’est qu’un vieil homme, loin de chez lui et nostalgique. « Il doit bien y avoir quelque chose que nous puissions faire.
— Certes, et je vous l’ai dit. Ces navires sont bâtis de haubans, de poix et de toile, de pin de Qohor et de teck de Sothoros, de vieux chêne de Norvos la Grande, d’if et de frêne et de sapin. De bois, Votre Grâce. Le bois brûle. Les dragons…
— Je ne veux plus entendre parler de mes dragons. Laissez-moi. Allez implorer auprès de vos dieux pentoshis une tempête qui coule nos ennemis.
— Aucun marin ne prie pour qu’éclate une tempête, Votre Grâce.
— Je suis lasse de vous entendre dire ce que vous ne voulez pas faire. Allez-vous-en. »
Ser Barristan resta. « Nous avons pour le moment d’amples provisions, lui rappela-t-il, et Votre Grâce a planté des haricots, de la vigne et du blé. Vos Dothrakis ont harcelé les esclavagistes des collines et brisé les fers de leurs esclaves. Ils plantent, eux aussi, et ils apporteront leurs récoltes à Meereen pour les vendre. Et vous aurez l’amitié de Lhazar. »
C’est Daario qui m’a gagné cela, pour ce que ça vaut. « Les Agnelets. Si seulement les agneaux avaient des crocs.