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La fille. Je dois retrouver la fille, la fille en gris, sur un cheval agonisant. Jon Snow attendrait cela d’elle, sous peu. Il ne suffirait pas de dire que la fille fuyait. Il en demanderait davantage, il voudrait connaître quand et où, et elle n’avait pas ces informations pour lui. Elle n’avait vu la fille qu’une fois. Une fille, aussi grise que cendre, et sous mes yeux elle s’est effritée pour s’envoler.

Un visage se forma dans l’âtre. Stannis ? s’interrogea-t-elle, l’espace d’un instant seulement… Mais non, ce n’étaient pas ses traits. Un visage de bois, blême comme les cadavres. Était-ce l’ennemi ? Mille prunelles rouges flottèrent dans la montée des flammes. Il me voit. À ses côtés, un garçon au visage de loup rejeta sa tête en arrière et hurla.

La prêtresse rouge frissonna. Un filet de sang courut le long de sa cuisse, noir et fumant. Le feu était en elle, souffrance, extase, il l’emplissait, la calcinait, la transformait. Des ondoiements de chaleur inscrivaient des motifs sur sa peau, aussi insistants que la main d’un amant. Des voix inconnues l’appelaient de temps depuis longtemps révolus. « Melony », entendit-elle crier une femme. Une voix masculine lança : « Lot sept ». Elle pleurait, et ses larmes étaient de flamme. Et toujours elle buvait tout cela.

Des tourbillons de neige descendirent d’un ciel obscur et des cendres montèrent à leur rencontre, gris et blanc tournoyant ensemble tandis que des flèches embrasées décrivaient des paraboles au-dessus d’un rempart de bois et que des créatures mortes avançaient en silence d’un pas lourd dans le froid, sous une immense falaise grise au sein de laquelle brûlaient des feux dans cent cavernes. Puis le vent se leva et le brouillard blanc déferla comme une vague d’un froid impossible, et, un par un, les feux s’éteignirent. Ensuite ne demeurèrent que les crânes.

La mort, décida Mélisandre. Les crânes sont la mort.

Les flammes crépitaient doucement et dans leurs craquements la prêtresse rouge entendit chuchoter le nom de Jon Snow. Son long visage flotta devant elle, souligné de langues rouges et orange, apparaissant et disparaissant, une ombre entrevue derrière un rideau qui oscillait. Tantôt il était homme, tantôt loup, puis de nouveau homme. Mais les crânes étaient là aussi, les crânes le cernaient tous. Mélisandre avait déjà vu le danger, avait tenté de mettre le jeune homme en garde. Des ennemis tout autour de lui, des poignards dans le noir. Il ne voulait pas écouter.

Les sceptiques n’écoutaient jamais jusqu’à ce qu’il soit trop tard.

« Que voyez-vous, madame ? » demanda le garçon, tout bas.

Des crânes. Un millier de crânes, et de nouveau le bâtard. Jon Snow. Chaque fois qu’on lui demandait ce qu’elle voyait dans ses feux, Mélisandre répondait : « Tant et plus », mais voir n’était jamais aussi simple que ces mots le suggéraient. C’était un art et, comme tous les arts, il exigeait de la maîtrise, de la discipline, de l’étude. De la douleur. Cela aussi. R’hllor parlait à ses élus à travers le feu béni, dans une langue de cendres, de charbons et de flammes torses que seul un dieu pouvait réellement appréhender. Mélisandre pratiquait son art depuis des années sans nombre, et elle en avait payé le prix. Il n’y avait personne, même au sein de son ordre, qui possédât son habileté à distinguer les secrets à demi révélés et à demi voilés au sein des flammes sacrées.

Et pourtant, voilà qu’elle ne semblait pas même pouvoir trouver son roi. Je prie pour entrevoir Azor Ahaï, et R’hllor ne me montre que Snow. « Devan, appela-t-elle, à boire. » Elle avait la gorge râpeuse et desséchée.

« Oui, madame. » Le gamin remplit d’eau un gobelet avec le pichet en grès près de la fenêtre, et le lui apporta.

« Merci. » Mélisandre but une gorgée, avala et adressa un sourire au garçon. Cela le fit rougir. Le gamin était à moitié amoureux d’elle, elle le savait. Il me craint, il me désire et il me révère.

Néanmoins, sa position ici ne plaisait pas à Devan. Le jeune garçon avait été très fier de servir le roi comme écuyer, et il avait été blessé que Stannis lui ordonnât de rester à Châteaunoir. Comme tous les garçons de son âge, il avait la tête farcie de rêves de gloire ; sans doute se représentait-il déjà les prouesses qu’il accomplirait à Motte-la-Forêt. D’autres jouvenceaux de son âge étaient partis au sud, pour être écuyers des chevaliers du roi et chevaucher auprès d’eux à la bataille. L’exclusion de Devan avait dû sonner comme un reproche, le châtiment de quelque manquement de sa part, ou d’une faute de son père, peut-être.

En vérité, s’il était ici, c’était que Mélisandre l’avait demandé. Les quatre fils aînés de Davos Mervault avaient péri au cours de la bataille sur la Néra, quand la flotte du roi avait été dévorée par un brasier vert. Devan était le cinquième né et plus en sécurité ici avec elle qu’aux côtés du roi. Lord Davos ne lui en saurait pas gré, non plus que l’enfant lui-même, mais il semblait à Mélisandre que Mervault avait connu assez de chagrins. Aussi mal avisé qu’il fût, on ne pouvait douter de sa loyauté envers Stannis. Elle avait lu cela dans ses flammes.

Devan était vif, intelligent et habile aussi, ce qui était plus qu’elle n’en aurait pu dire de la majorité de sa suite. Stannis avait laissé derrière lui une douzaine de ses hommes pour la servir tandis qu’il ferait route vers le sud, mais la plupart étaient des inutiles. Sa Grâce avait besoin de chaque épée, aussi Stannis n’avait-il pu se séparer que de vieillards et d’estropiés. Un homme avait été aveuglé par un coup à la tête au cours de la bataille sous le Mur, un autre rendu boiteux quand la chute de son cheval lui avait broyé les jambes. Son sergent avait perdu un bras sous la massue d’un géant. Trois de ses gardes étaient des hongres, castrés par Stannis pour avoir violé des sauvageonnes. Elle avait également deux ivrognes et un poltron. On aurait dû pendre ce dernier, comme le roi l’avait lui-même reconnu, mais il descendait d’une noble famille et son père et ses frères avaient été loyaux dès le début.

Avoir des gardes autour d’elle aiderait sans doute à maintenir le respect que lui devaient les frères noirs, la prêtresse rouge le savait, mais aucun de ceux que lui avait donnés Stannis n’avait beaucoup de chances d’être très utile si elle devait se trouver en péril. Peu importait. Mélisandre d’Asshaï ne craignait point pour elle-même. R’hllor la protégerait.

Elle but une autre gorgée d’eau, déposa son gobelet, battit des paupières, s’étira et se leva de son siège, les muscles douloureux et courbaturés. Après avoir contemplé si longtemps les flammes, il lui fallut quelques instants pour s’accommoder à la pénombre. Elle avait les yeux secs et fatigués, mais si elle les frottait, elle ne ferait qu’aggraver la situation.

Son foyer avait baissé, vit-elle. « Devan, apporte du bois. Quelle heure est-il ?

— Presque l’aube, madame. »

L’aube. Un autre jour nous est donné, R’hllor soit loué. Les terreurs de la nuit refluent. Mélisandre avait passé la nuit sur son siège devant le feu, comme elle en avait souvent coutume. Maintenant que Stannis était parti, son lit ne lui servait plus guère. Elle n’avait pas de temps à perdre à dormir, avec le poids du monde sur ses épaules. Et elle craignait de rêver. Le sommeil est une petite mort, les rêves les chuchotis de l’Autre, qui voudrait tous nous entraîner dans sa nuit éternelle. Elle préférait s’asseoir, baignée de la lueur rutilante des flammes sacrées de son rouge seigneur, ses joues avivées par la chaleur exhalée comme par les baisers d’un amant. Certaines nuits, elle somnolait, mais jamais plus d’une heure. Un jour, priait Mélisandre, elle ne dormirait plus du tout. Un jour, elle serait libérée des rêves. Melony, songea-t-elle. Lot sept.