Выбрать главу

Devan alimenta le feu de bûches fraîches jusqu’à ce que les flammes bondissent de nouveau, féroces et furieuses, rejetant les ombres dans les recoins de la pièce, dévorant tous les rêves honnis par Mélisandre. L’obscurité se retire à nouveau… pour un petit moment. Mais au-delà du Mur, l’ennemi se renforce, et s’il devait l’emporter, l’aube ne reviendrait plus jamais. Elle se demanda si elle avait vu son visage la fixer depuis les flammes. Non. Assurément non. Son visage devrait être plus effrayant que ça, froid, noir, trop terrible pour qu’un humain qui le contemple survive. L’homme de bois qu’elle avait aperçu, cependant, et le gamin au visage de loup… C’étaient ses serviteurs, certainement… ses champions, comme Stannis était celui de Mélisandre.

Elle se rendit à sa fenêtre, poussa les volets pour les ouvrir. Au-dehors, l’est s’éclairait tout juste, et les étoiles du matin étaient encore accrochées dans un ciel noir comme poix. Châteaunoir remuait déjà, des hommes en noir traversaient la cour pour aller déjeuner d’une écuelle de gruau d’avoine avant d’aller relever leurs frères au sommet du Mur. Quelques flocons de neige passèrent devant la fenêtre ouverte, flottant au gré du vent.

« Madame souhaite-t-elle déjeuner ? » s’enquit Devan.

De la nourriture. Oui, je devrais manger. Certains jours, elle oubliait. R’hllor lui fournissait toute la subsistance dont son corps avait besoin, mais c’était une chose qu’il valait mieux dissimuler aux mortels.

C’était de Jon Snow qu’elle avait besoin, et non point de pain frit et de bacon, mais envoyer Devan trouver le lord Commandant ne servirait à rien. Ce dernier ne répondrait pas aux convocations de la prêtresse rouge. Snow choisissait encore de loger derrière l’armurerie, dans deux modestes pièces qu’avait avant lui occupées le défunt forgeron de la Garde. Peut-être ne se jugeait-il pas digne de la tour du Roi, à moins qu’il n’en ait cure. En cela, il commettait une erreur, la fausse humilité de la jeunesse qui constitue en elle-même une variété d’orgueil. Jamais il n’était sage, pour un dirigeant, de dédaigner les attributs du pouvoir, car le pouvoir lui-même découle en une mesure non négligeable de tels attributs.

Le jeune homme n’était pas totalement naïf, cependant. Il avait assez de jugement pour ne pas venir visiter Mélisandre dans ses appartements, en pétitionnaire, et insister afin qu’elle vînt plutôt à lui si elle avait besoin de lui parler. Et plus souvent qu’à son tour, lorsqu’elle se déplaçait, il la faisait attendre ou refusait de la voir. En cela au moins, il était adroit.

« Je vais prendre un thé d’orties, un œuf à la coque et du pain beurré. Du pain frais, s’il te plaît, pas frit. Envoie-moi également le sauvageon, va. Dis-lui que je souhaite lui parler.

— Clinquefrac, madame ?

— Et prestement. »

En l’absence du gamin, Mélisandre se lava et changea de robe. Ses manches abondaient en poches secrètes, et elle les vérifia avec soin, comme chaque matin, pour s’assurer que ses poudres étaient toutes à leur place. Des poudres pour teindre le feu en vert, bleu ou argent, des poudres pour qu’une flamme rugisse, chuinte et bondisse plus haut que hauteur d’homme, des poudres pour dégager de la fumée. Une fumée pour la vérité, une fumée pour le désir, une fumée pour la peur, et l’épaisse fumée noire qui pouvait tuer un homme sur-le-champ. La prêtresse rouge s’arma d’une pincée de chaque.

Le coffre sculpté qu’elle avait transporté à travers le détroit était désormais plus qu’aux trois quarts vide. Et si Mélisandre avait les connaissances pour composer de nouvelles quantités de poudres, maints ingrédients rares lui faisaient défaut. Mes sortilèges devraient suffire. Au Mur, elle était plus forte, plus même qu’en Asshaï. Chacun de ses mots et de ses gestes avait plus de puissance, et elle était capable de choses qu’elle n’avait jamais accomplies avant. Les ombres que j’invoquerai ici seront terribles, et nulle créature des ténèbres ne tiendra contre elles. Avec de telles sorcelleries à son pouvoir, elle ne devrait bientôt plus avoir besoin des pauvres tours de passe-passe des alchimistes et des pyromanciens.

Elle referma le coffre, le verrouilla et cacha la clé à l’intérieur de ses jupons dans une autre poche secrète. Puis se firent entendre de légers coups à la porte. Son sergent manchot, à en juger par cette façon tremblante de frapper. « Lady Mélisandre, le Seigneur des Os est ici.

— Faites-le entrer. » Mélisandre prit place dans son siège près de l’âtre.

Le sauvageon portait un justaucorps sans manches en cuir bouilli, ponctué de clous de bronze sous une cape fatiguée, mouchetée de nuances vertes et brunes. Pas d’ossements. Il était également revêtu d’ombres, de filets décousus de brume grise, glissant sur son visage et sa forme à chaque pas qu’il faisait. Des disgrâces. Aussi laides que ses os. Une ligne de cheveux en pointe sur le front, des yeux sombres et rapprochés, des joues pincées, une moustache qui se tortillait comme un ver au-dessus d’une pleine bouche de chicots bruns et brisés.

Mélisandre sentit la chaleur au creux de sa gorge lorsque son rubis s’anima, devant la proximité de son esclave. « Vous avez délaissé votre tenue d’ossements, constata-t-elle.

— Les claquements allaient me rendre fou.

— Les os vous protègent, lui rappela-t-elle. Les frères noirs ne vous aiment pas. Devan me rapporte qu’hier encore, vous avez eu des mots avec l’un d’entre eux, au souper.

— Quelques-uns. Je mangeais ma soupe de haricots et de lard pendant que Bowen Marsh prenait des airs supérieurs. La vieille Pomme Granate s’imaginait que je l’espionnais et m’a annoncé qu’il ne souffrirait pas que des meurtriers écoutassent leurs conseils. Je lui ai répondu qu’en ce cas, ils auraient peut-être intérêt à ne pas les tenir au coin du feu. Bowen a tourné au rouge et émis quelques bruits suffoqués, mais l’affaire en est restée là. » Le sauvageon s’assit sur le rebord de la fenêtre, fit glisser son poignard hors du fourreau. « Si un corbac a envie de me glisser une lame entre les côtes pendant que je soupe, qu’il s’y essaie. Le gruau d’Hobb gagnerait à être assaisonné d’une goutte de sang. »

Mélisandre n’accorda aucune attention à la lame nue. Si le sauvageon lui avait voulu du mal, elle l’aurait lu dans ses flammes. Les dangers contre sa personne avaient été une des premières choses qu’elle avait appris à voir, à l’époque où elle était encore à demi une enfant, une petite esclave liée à vie au grand temple rouge. Cela restait la première chose qu’elle cherchait chaque fois qu’elle plongeait le regard dans un feu. « Ce sont leurs yeux qui devraient vous inquiéter, pas leurs poignards, le mit-elle en garde.

— Le sortilège, certes. » Sur le bracelet de fer noir qui lui entourait le poignet, le rubis parut palpiter. Il le tapota du fil de sa lame. L’acier produisit un léger cliquetis contre la pierre. « Je le sens quand je dors. Chaud contre ma peau, même à travers le fer. Doux comme le baiser d’une femme. Le vôtre. Mais parfois dans mes rêves, il se met à brûler, et vos lèvres se changent en dents. Chaque jour, je me dis combien il serait facile de le dessertir, et chaque jour je m’en abstiens. Faut-il aussi que je porte ces foutus ossements ?