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— Je sais, messire, dut répondre Schlingue. Je vous en demande le pardon.

— Je t’ai apporté un présent. » Ramsay pivota, tendit le bras derrière lui, tira quelque chose de ses fontes et le lança. « Attrape ! »

Entre la chaîne, les fers et ses doigts manquants, Schlingue était plus maladroit qu’avant d’apprendre son nom. La tête heurta ses mains mutilées, rebondit sur les moignons de ses doigts et atterrit à ses pieds, dans une pluie d’asticots. Tant de sang séché l’encroûtait qu’elle en était méconnaissable.

« Je t’avais ordonné d’attraper, dit Ramsay. Ramasse. »

Schlingue essaya de soulever la tête par une oreille. Rien à faire. La chair verdie se décomposait et l’oreille se déchira entre ses doigts. Petit Walder éclata de rire et, un instant plus tard, tous les autres riaient aussi. « Oh, laisse donc, lança Ramsay. Contente-toi de t’occuper de Sang. Je l’ai mené durement, ce salaud.

— Oui, messire. J’y veillerai. » Schlingue se hâta vers le cheval, laissant aux chiennes la tête tranchée.

« Tu sens le lisier de porc, aujourd’hui, Schlingue, jugea Ramsay.

— Pour lui, c’est une amélioration », commenta Damon Danse-pour-moi, souriant tandis qu’il enroulait son fouet.

Petit Walder sauta de sa selle. « Tu pourras aussi t’occuper de mon cheval, Schlingue. Et de celui de mon petit cousin.

— Je peux m’occuper de mon propre cheval », protesta Grand Walder. Petit Walder était devenu le préféré de lord Ramsay et lui ressemblait chaque jour davantage, mais le plus petit des deux Frey était d’un autre bois et prenait rarement part aux jeux et aux cruautés de son cousin.

Schlingue ne prêta aucune attention aux écuyers. Il guida Sang jusqu’aux écuries, sautant de côté quand l’étalon essaya de lui décocher un coup de sabot. Les chasseurs entrèrent dans la grande salle, tous à l’exception de Ben-les-Os, qui maudissait les chiennes tout en cherchant à les empêcher de se disputer la tête tranchée.

Grand Walder le suivit à l’écurie, menant sa propre monture lui-même. Schlingue lui lança un regard à la dérobée tout en retirant le mors de Sang. « C’était qui ? » demanda-t-il tout bas, afin que les autres garçons d’écurie ne l’entendissent point.

« Personne. » Grand Walder enleva la selle de son cheval gris. « Un vieux que nous avons croisé sur la route, c’est tout. Il menait une pauvre bique et quatre chevreaux.

— Sa Seigneurie l’a tué pour ses chèvres ?

— Sa Seigneurie l’a tué pour l’avoir appelé lord Snow. Mais les chèvres étaient bonnes. On a trait la mère et rôti les chevreaux. »

Lord Snow. Schlingue hocha la tête, ses chaînes cliquetant tandis qu’il s’échinait à détacher les sangles de la selle de Sang. Sous quelque nom que ce soit, Ramsay n’est pas un homme à côtoyer, quand il est en fureur. Ou quand il ne l’est pas. « Avez-vous retrouvé vos cousins, messire ?

— Non. Je n’ai jamais imaginé que nous les trouverions. Ils sont morts. Lord Wyman les a fait tuer. C’est ainsi que j’aurais agi, à sa place. »

Schlingue ne dit rien. Certaines paroles étaient dangereuses à exprimer, même dans l’écurie, alors que Sa Seigneurie se trouvait dans la grande salle. Un mot de travers pouvait lui coûter encore un orteil, voire un doigt. Pas ma langue, cependant. Jamais il ne me prendra la langue. Il aime à m’entendre le supplier de m’épargner la douleur. Il aime à me le faire répéter.

Les cavaliers avaient passé seize jours à la chasse, sans autre chose à manger que du pain dur et du bœuf salé, hormis un chevreau volé par aventure, aussi lord Ramsay ordonna-t-il ce soir-là qu’un banquet fût donné pour fêter son retour à Tertre-bourg. Leur hôte, un nobliau grisonnant et manchot du nom d’Harbois Stout, savait qu’on ne pouvait le lui refuser, bien que désormais ses garde-manger dussent être proches de l’épuisement. Schlingue entendit les serviteurs de Stout marmonner que le Bâtard et ses hommes dévoraient les provisions d’hiver. « Y va mett’ la p’tite de lord Eddard dans son lit, à c’ qu’y paraît, se plaignit la cuisinière de Stout, qui n’avait pas remarqué que Schlingue écoutait, mais quand viendront les neiges, c’est nous qu’allons êt’ baisés, c’est moi qui vous le dis. »

Néanmoins, lord Ramsay avait décrété un banquet, aussi fallait-il en donner un. On avait dressé des tréteaux dans la grande salle de Stout et abattu un bœuf et, ce soir-là, alors que le soleil se couchait, les chasseurs bredouilles dévorèrent rôtis et côtelettes, pain d’orge, purée de carottes et de pois, en arrosant le tout de prodigieuses quantités de bière.

Il échut à Petit Walder de garder pleine la coupe de lord Ramsay, tandis que Grand Walder servait les autres au haut bout de la table. On avait enchaîné Schlingue à proximité des portes, afin que son fumet ne coupât point l’appétit des convives. Il mangerait ensuite, des reliefs que lord Ramsay pourrait songer à lui envoyer. Les chiennes rôdaient en toute liberté dans la grande salle, cependant, et offrirent les meilleures distractions de la soirée, lorsque Maude et Jeyne la Grise se jetèrent sur l’un des dogues de lord Stout pour lui disputer un os particulièrement garni de viande que leur avait jeté Will Courtaud. Schlingue était le seul homme dans la salle à ne pas suivre la lutte entre les trois chiens. Il gardait les yeux sur Ramsay Bolton.

Le combat ne se termina qu’à la mort du chien de leur hôte. Le vieux dogue de Stout n’avait pas la moindre chance. Il se battait à un contre deux, et les chiennes de Ramsay étaient jeunes, vigoureuses et féroces. Ben-les-Os qui avait pour les chiennes plus d’amour que leur maître avait raconté à Schlingue qu’on les avait toutes nommées d’après des paysannes que Ramsay avait traquées, violées et tuées, au temps où il était encore un bâtard et qu’il courait en compagnie du premier Schlingue. « Au moins celles qui z’y ont donné du plaisir. Celles qui chialent, qui supplient, qui courent pas, elles reviendront pas sous forme de chiennes. » La prochaine portée issue des chenils de Fort-Terreur, Schlingue n’en doutait pas, comporterait une Kyra. « Il les a également dressées à tuer les loups », avait confié Ben-les-Os. Schlingue ne commenta pas. Il savait quel genre de loups les filles avaient pour tâche de tuer, mais n’éprouvait aucune envie de regarder les chiennes se disputer son orteil tranché.

Deux serviteurs emportaient la dépouille du dogue mort et une vieille était allée chercher un balai, un fauchet et un seau pour s’occuper de la jonchée trempée de sang, quand les portes de la salle s’ouvrirent à la volée sur une bourrasque et qu’une douzaine d’hommes vêtus de maille grise et coiffés de demi-heaumes en fer s’avancèrent d’un pas résolu, bousculant de l’épaule les jeunes gardes de Stout, blêmes dans leur brigandine de cuir et leurs manteaux or et rouille. Un silence soudain saisit les convives… tous sauf lord Ramsay, qui rejeta l’os qu’il rongeait, s’essuya la lippe contre sa manche, afficha un sourire gras avec ses lèvres humides et dit : « Père. »

Le sire de Fort-Terreur parcourut d’un œil indifférent les reliefs du banquet, le chien mort, les tapisseries aux murs, Schlingue dans ses chaînes et ses fers. « Dehors », dit-il aux banqueteurs, d’une voix aussi douce qu’un murmure. « Sur-le-champ. Vous tous. »

Les hommes de lord Ramsay se reculèrent des tables, abandonnant gobelets et tranchoirs. Ben-les-Os cria pour appeler les filles, et elles trottèrent sur ses talons, certaines serrant encore des os dans leurs mâchoires. Harbois Stout s’inclina avec raideur et céda sa grande salle sans mot dire. « Libère Schlingue de ses chaînes et emmène-le avec toi », gronda Ramsay à l’adresse d’Alyn le Rogue, mais son père agita une main pâle et déclara : « Non, laisse-le. »