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— Oui ? Quand ?

— Le plus tôt possible. Pas de nouvelles ?

— Des nouvelles de qui ?

— De notre ami, qu’est-ce que tu crois ?

— Aucune… Lundi, ça te va ?

— Lundi ? Dans deux siècles, pendant que tu y es.

— Impossible avant. (Je perçus un grognement étouffé.) Vraiment…

— Le surineur, c’est ça ? m’interrompit-il. D’accord pour lundi, Cav. Après tout, c’est avec ta vie que tu joues, pas avec ton porte-clés. (Il émit un rire détimbré. Son plongeon l’avait secoué plus qu’il ne voulait le reconnaître.) D’ici là… passe pas au soleil !

Nous raccrochâmes en même temps. Anita vint s’asseoir sur mes genoux. Mon sourire ne dut pas lui paraître bien vaillant, mais elle ne fit pas de commentaires. Qu’est-ce que je pouvais lui dire ? Qu’en temps ordinaire on hésitait à s’en prendre à un patron de la Police, même à coup de BMW ? Qu’est-ce que ça pouvait signifier pour elle, les temps ordinaires ? Sauvage l’avait échappé belle. Quelle idée, aussi, de se promener sans pétard.

Est-ce qu’il commençait à se rouiller ? Je me rappelai ses moustaches poivre et sel et son début d’estomac. Rien d’irrémédiable. Il avait parlé du déversoir. Je me souvenais de l’endroit. Comment avaient-ils pu manquer leur affaire ?

Je lui pris la taille, reposai le front contre sa gorge. Elle me serra dans ses bras. Elle sentait bon. Elle était tiède et douce, mais en aucune manière elle ne devait constituer une façon d’antidote. J’étais seul, pas très d’attaque. J’avais peur. Je luttai contre la tentation de me raccrocher à elle, de tout lui raconter. Je m’étais tu trop longtemps, ce pli aussi était pris. Un pli auquel je devais peut-être mon exceptionnelle longévité… Je luttai contre celle de me laisser couler à pic. J’entrevoyais la teneur du sac, mais bon dieu : je n’avais pas touché au pèze de Marisi. Oh, certainement pas à cause de mes scrupules, mais parce que j’avais fouillé la Mercedes sans rien trouver. Je n’avais pas eu le temps de la perquisitionner à fond, mais trois briques lourdes, même en billets neufs convenablement serrés, ça tenait de la place. La voiture avait été transportée sur le parking de la Police. Les spécialistes de l’identité Judiciaire n’avaient rien trouvé non plus. Je le savais par Sauvage, qui avait supervisé les opérations.

— Tu as de nouveau l’air triste, remarqua Anita. C’est à cause de moi ? Il ne faut pas que tu te croies obligé…

— Je ne suis pas obligé. Ni triste…

— Tu as des ennuis ?

— Je ne sais pas encore.

— Tu veux que je m’en aille ?

— Fichtre non !

— Tu le sauras quand ? Je veux dire : si tu as des ennuis ?

— Incessamment sous peu, je le crains !

Elle me serra très fort contre elle. J’entendis son cœur cogner à grands coups sourds dans sa cage. Je sentis ses doigts tièdes sur ma nuque. Je fermai les yeux.

Ça me rappela une histoire d’autruches, que je jugeai trop nulle pour la raconter. Il s’agissait de deux autruches femelles poursuivies par deux mâles. Elles s’enfonçaient la tête dans le sable, et les deux mâles se demandaient où elles étaient passées, les connes. Je me contentai de sa respiration sur mon front. Ses cheveux sentaient la pomme sauvage. Puis elle bougea un peu, juste pour retirer le haut de son training. Et il ne fut plus question de rien d’autre.

Le samedi à onze heures, je passai voir Fabre. À part le local de permanence au rez-de-chaussée, et le poste où un gardien s’acharnait sur le télétype, l’Usine était vide. Fabre me reçut dans son bureau, au deuxième. Nous échangeâmes les inepties habituelles sur le temps qu’il faisait, les rapports d’Auteuil et le tournoi corporatif de foot. J’avais manqué le poker du samedi soir chez Benito. Rien de neuf à propos du surineur, sinon que les chacals des radios périphériques sillonnaient la ville depuis la veille au soir. Fabre avait mon propre article sous la main. Il n’avait rien trouvé à y redire. Il fuma une Gauloise, je fumai une Camel. Il finit par soupirer et me tendre une photocopie de télex, émanant du Service Régional de Police Judiciaire. Il y avait lieu de rechercher le dénommé Walter François Rollet, né le 12 janvier 1940 à Affreville (Algérie), gérant de société, demeurant 16, rue Renan à Z…, pouvant circuler à bord d’une Rover 2000 blanche, immatriculée 1976 QP 92. Suivait un signalement potable de Chess. La mention finale prescrivait de l’interpeller et de le placer en position de garde-à-vue, de ne pas l’auditionner, mais d’aviser d’urgence le service demandeur.

Lorsque je relevai le front, Fabre me couvait d’un œil froid.

— C’est tombé cette nuit, me confia-t-il. J’ai pensé que ça pouvait vous intéresser…

— À quel titre ?

— Inutile de monter sur vos petits chevaux. (Il haussa les épaules.) Votre ami Sauvage est passé ici, avant d’aller vous voir. Quoi de plus naturel. Il travaillait en matière de flagrant délit. (Le froid m’envahit les os et je me passai la main dans les cheveux.) Asseyez-vous, Cavallier. Jusqu’à preuve du contraire, vous n’êtes pas impliqué dans l’affaire.

J’obtempérai et pris place dans un fauteuil.

— Flagrance de quoi ?

— Homicide volontaire, soupira Fabre. (Il me scruta, feignit la surprise.) Sauvage ne vous a rien dit ?

Je n’avais rien à perdre. Je décidai de jouer la sincérité. Je lui racontai la visite de Madame Ex, sans m’appesantir outre mesure, puis je lui narrai l’entrevue avec Mon Copain le Poulet. Je ne fis qu’une allusion sans portée au dossier qui avait alors changé de main. Sauvage ne m’avait pas semblé mener une enquête à caractère officiel — même pas un préliminaire, à vrai dire. Il s’était comporté en « civil ».

— À votre avis, pourquoi ? me demanda Fabre.

— Aucune idée… (Je me heurtai à son regard inquisiteur. Je haussai les épaules.) Il est reparti comme un pet sur une tringle à rideaux…

— Et hier en fin d’après-midi, on a bien failli lui faire la peau !

— C’est un fait.

— Vous n’êtes décidément pas curieux, Cavallier.

J’allumai une Camel, bougeai la tête.

— La curiosité est un vilain défaut.

— L’un des plus répandus qui soient, pourtant. (Il se renversa dans son fauteuil, entrouvrit un tiroir et se cala le pied.) Bon, je vais éclairer votre lanterne, et peut-être verrez-vous où est votre intérêt… (J’avalai un peu de salive, acquiesçai sans chaleur.) Il y a trois mois, un ventilateur ouest-allemand est tombé à court de carburant. Le pilote l’a posé in-extremis dans une cour de ferme. Quelqu’un a prévenu les pandores… (Je me rappelais l’affaire. Dans l’hélicoptère, les gendarmes avaient mis la main sur un type, quatre-vingts kilos de shit, de neige et assez de coke pour faire un rail de l’Étoile à la Nation. Ils avaient manqué le pilote.) L’Office Central s’est penché sur la question… Il semble que le convoyeur ait mangé le morceau, toujours est-il que des noms ont été avancés… (La Camel avait un goût franchement dégueulasse.) Vu l’ampleur du trafic, on a mis la pédale sourde. Sauvage a reçu de la visite… Le lendemain, un jogger matinal a trouvé un corps sur son parcours. Le type avait été nettoyé à la 9 mm Parabellum. Le loquedu se tenait tranquille depuis sa sortie de cabane, deux ans auparavant. Un certain Marisi. (Fabre attendit quelques secondes pour donner le coup de grâce.) Le frère de l’autre, vous savez…

Il respecta mon silence. J’écrasai la Camel. J’avais la gorge si sèche qu’un rien y eût déclenché un feu de pinède, mais pour le reste, j’avais l’impression que mes veines charriaient de l’eau de glacier et la tête se mit à me tourner.