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Au dernier moment, j’avais déjà bondi, je compris que s’il l’avait voulu, il m’aurait eu. Je l’avais pris à contre-pied, mais il se jeta de côté et roula sur le flanc. Une interminable seconde, je vis le canon de pistolet dans sa main droite, braqué sur mon abdomen. Une seule balle et c’était bon. Il laissa passer sa chance. En revanche, il ne me manqua pas avec le talon de crosse. La brûlure me traversa la face. Un éblouissement. Mon coude le frappa au plexus. Il roula sur lui-même. Rapide et costaud, merde. Pas chaud pour tirer… Je me redressai avant lui et le cueillis du tranchant du pied en plein thorax. Il retomba en arrière… Et avec une vivacité de gymnaste, il roula et atterrit sur ses deux pieds. Il m’avait pris un bon mètre cinquante. Je lui rentrai dans la garde, frappai aux basses côtes. Il ahana. Quelque chose de tiède me coulait le long de la joue. Il me cogna sur le côté de la figure, avec un poing dur comme un caillou. Du poing fermé, je le touchai à la tempe gauche. Il partit à pivoter sur lui-même. Je l’avais étourdi. Un bien médiocre assaut, de part et d’autre. Rien de décisif. Nous n’allions pas tarder à nous désunir et ça tournerait inévitablement en combat de chiffonniers et non moins inévitablement, il aurait le dessus. Alors je cognai une seule fois du poing droit en vrillant en bas des cervicales. Il s’affala en avant. Je lui pris le pistolet, reculai de quelques pas et récupérai un peu. Il bougeait de façon plus ou moins convulsive. Je me passai les doigts sur la figure. Ils y recueillirent quelque chose de sombre et un peu poisseux. Ça faisait un mal de chien. Il m’avait mis la moitié de la gueule en tas. Ça aurait pu être pire. Je reconnus un H. & K. automatique. Le chargeur était rempli de cartouches 9 mm et il y en avait une dans la chambre. Je le glissai dans mon dos, sous la ceinture de pantalon.

Je le pris sous les aisselles, l’adossai à un baliveau de hêtre. Il releva la tête de façon, ma foi, assez crâne. J’avais devant moi le sieur Hervé Chaumette, attaché commercial de son état. Il bougea la mâchoire, essaya de lever un bras.

— Rien de cassé, le rassurai-je. Simple question de dosage !

Je lui fis les poches. Rien.

Je m’assis sur les talons, sortis une cigarette froissée.

— Bon, fit-il, la suite du programme ?

— Il y a plusieurs suites. Le parc est enclos, vous vous êtes introduit dans une propriété privée… Je peux vous remettre aux flics. Ou vous laisser courir. La maison a servi de repaire à la Gestapo : je peux vous enfermer dans l’une des cellules qu’ils ont emménagé à la cave. Trente centimètres de béton, porte en chêne… Finition et sérieux germaniques. Dans une quinzaine de minutes, vous aurez retrouvé vos facultés motrices… (Je donnai de la lumière avec mon briquet. Il avait les yeux luisants et calmes, embusqués dans les orbites. Il était certainement moins marqué que moi.) Tout dépend de vous.

J’allumai ma cigarette. À sa mimique, je compris et la lui mis entre les lèvres. Il hocha la tête. Il ne manquait pas de cran, ni d’une certaine classe. J’en sortis une autre, l’allumai.

— Un coup pas très régulier, fit-il doucement.

— Pas très… Bien entendu, interdit en compétition. Incapacitant ou mortel suivant la force avec laquelle on le porte. Bon, fini les congratulations et les discours d’anciens combattants. Nous nous sommes vus deux fois. Votre caillou à l’auriculaire tient de la balise de détresse. De temps à autre, il serait bon que vous passiez un coup d’éponge sur votre voiture.

— Vous croyez ?

— J’en suis certain… Alors ?

Il se contenta de tirer sur sa cigarette et de la boucler. Il y a différents moyens de faire parler un homme, mais aucun n’est aussi pratique et efficace qu’on l’imagine. Je l’avais eu de justesse. Inutile de rêver de deuxième degré. La lueur de la braise lui modelait le visage. Énergique et pensif.

— J’ai commencé par vous prendre pour une torpille… Je ne le crois plus à présent…

— Ah non ?

— Vous auriez pu tirer. Vous ne l’avez pas fait. Vous aviez une cartouche dans la chambre, il suffisait de presser sur la queue de détente… N’importe quel tueur de base aurait envoyé la purée. Presque à bout touchant…

— Brillant, vous savez ?

— Vous n’êtes pas en très bonne position, Chaumette…

Il bougea la tête et fit, sur un ton de claire évidence :

— La pétasse, c’était à vous ? Ce vieux coup de l’entôlage date de l’âge des cavernes. Un sacré lot, la gonzesse, une shampooineuse de première… Cent pour cent, rien que du bon. Est-ce que je dois vous remercier ? (J’observai le silence, et il reprit tout seul :) Vous n’êtes pas mieux loti que moi, vous savez. Je crois que la main passe… Essayez de ne pas commettre trop d’erreurs de jugement.

Il parvint à enlever la cigarette de ses lèvres.

— Qui tire les ficelles ?

— Paris, tout simplement.

— Paris est en France… Qui, à Paris ?

— Quelques Juifs… Un peu les Corses. L’éternelle querelle des anciens et des modernes… Il y a eu des vides, ces derniers temps, la nature a horreur de ça. On reparle des cercles de jeux, ça ne devrait pas tarder à bouger. Quelques Tunisiens… Sans compter les indépendants. Rien n’est clair, sinon que ça risque de taper fort.

— Qu’est-ce que vous cherchiez, dans le coin ?

— Peut-être la même chose que vous…

Il remua le torse. Il en était aux mouvements exploratoires. Il se calma, se cala la tête contre le tronc, tira sur sa cigarette et dit :

— M. Cavallier, j’ai bien peur de ne vous être d’aucun secours…

Nous retournâmes à la maison. J’avais le côté de la figure enflé, et l’impression que mon crâne allait exploser. Chaumette se déplaçait d’un bloc, avec de petits ratés. Je le poussai un peu avec le canon du H. & K., mais c’était sans malignité et passablement inutile. Il avait joué et perdu. Il se comportait comme je l’aurais fait à sa place. Je savais que je n’en tirerais rien — et pire, il savait que je savais. Je le parquai dans la cuisine et me passai de l’eau sur la figure. Mon œil commençait à enfler, la peau était déchirée sur deux ou trois centimètres au dessous de la tempe mais ça ne saignait presque plus. Je fis du café.

Il me tapa encore une cigarette.

Et soudain, un embryon de vérité se fit jour dans mon esprit. Tokyo avait parlé de zombie. Il paraissait furieux. Chaumette buvait son café. Un zombie… Un homme de l’Usine. Un flic qui opérait sous une couverture donnée. Un zombie n’est jamais seul. Il faut du monde autour, et surtout une très grosse opération. Fabre m’avait lourdé sans douceur. Sauvage pourrait peut-être recouper l’information. J’examinai ma prise : la trentaine, intelligent et volontaire. Accent et façon de s’exprimer incolores. Mise banale. Rien dans les poches, sauf un pistolet en dotation dans la police ouest-allemande. Un zombie ne se découvrirait pas. Il pouvait passer un message.

C’était mieux que rien.

Il m’écouta sans paraître m’accorder beaucoup d’importance. Il ne put s’empêcher d’acquiescer lorsque je lui parlai de la piste d’atterrissage. Personne ne peut être réellement impassible tout le temps, sinon il n’y aurait plus ni flambeurs, ni faisans et la vie serait un désert. Il reposa la tasse.