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— Oh, j’ai pour cela la meilleure des raisons… Vous qui êtes Français, monsieur Vidal-Pellicorne, connaissez-vous les écrits d’un voyageur bourguignon du XVe siècle qui se nommait Bertrandon de La Broquière ?

— L’envoyé du duc de Bourgogne, Philippe le Bon ? Celui qu’il avait chargé de reconnaître une route terrestre entre la Terre sainte et la Bourgogne ? Philippe, en effet, avait fait vœu solennel au cours du fameux banquet du Faisan de partir en croisade et, en bon prince terrien, se méfiait des voies maritimes. Il n’a d’ailleurs emprunté ni l’une ni les autres…

— Inutile de nous régaler d’une conférence, coupa Morosini amusé. Je connais La Broquière encore mieux que toi. Guy Buteau, quand il était mon précepteur, m’en a parlé à mainte et mainte fois en bon Bourguignon qu’il est. Il m’a raconté ses voyages mais j’avoue n’avoir jamais rien lu…

— C’est un livre plutôt rare, dit sir Percy, mais il se trouve que je le possède. Voulez-vous me ramener à l’intérieur ? La nuit tombe et il nous faut de la lumière…

On le ramena près de sa bibliothèque où il prit un livre dont la reliure basanée, usée au point de montrer ses nerfs dorsaux disait assez le grand âge. Il s’ouvrit de lui-même à une page souvent lue. Son propriétaire le tendit à Adalbert.

— Lisez, s’il vous plaît ?… Ceci relate les évènements de l’an 1432… à Damas.

— « … plusieurs marchands français, vénitiens, génois, florentins et catalans entre lesquels il y avait un Français nommé Jacques Cœur qui, depuis, a eu grande autorité en France et a été argentier du Roi… »

— La page de droite, grogna l’Anglais.

— « … Damas, navrée et brûlée il y a trente ans par un fils de Satan nommé Timour le boiteux {1}, nous est apparue pourtant belle et prospère. Nous avons vu le naïb ou gouverneur marcher fièrement par rues et places sur un destrier blanc avec grande magnificence et suite nombreuse. Fils du calife d’Égypte, on le dit grand prince mais peu avenant. Il nous est apparu tout vêtu d’or avec de belles armes et de riches parures. La plus admirable est deux grands smaragdins semblables en tous points et dedans sont la lune et le soleil qu’il porte au cou attachés à une chaîne d’or. On dit que ce prince les garde toujours avec lui en talisman parce que venant du grand Saladin… »

— Saladin ? s’exclama Morosini. Comment, diable, ces maudites pierres sont-elles arrivées chez lui ?

— Peu importe, dit son hôte en récupérant le livre d’un geste rapide. L’important est qu’elles se trouvaient à Damas au cou d’un prince mamelouk en 1432. Les chercher à Massada était donc de la pure folie…

— Kypros avait-elle lu ce livre ?

— Non, je n’en ai fait l’achat qu’après sa fuite…

— En ce cas pourquoi l’avoir laissée chercher en vain ? Je suis certain que vous auriez pu savoir où elle était et la prévenir.

Le ton d’Aldo était franchement accusateur mais sir Percy ne s’en émut pas.

— Mon cher prince, si vous viviez depuis longtemps comme moi dans ce pays, vous auriez appris à vivre selon un certain fatalisme. Dans la vie qu’elle s’était choisie, Alexandra était aussi insaisissable que le sable dans les doigts et le vent du désert. Son destin l’attendait à Massada : elle y aurait succombé un jour ou l’autre…

— Pouvons-nous espérer au moins que vous vous chargerez de la punition des bouchers qui l’ont mise à mort ? Je ne vous cache pas que nous aimerions être là…

— Je l’imagine sans peine mais il vaut mieux ne pas transformer cela en expédition internationale. C’est moi le père, c’est à moi de punir. Contentez-vous de faire récupérer la voiture que l’état-major vous a prêtée.

— Oh, c’est déjà fait ! assura Adalbert qui avait encore sur le cœur une explication orageuse avec le jeune Mac Intyre affolé à l’idée de ce fleuron de la couronne britannique aux mains des infidèles et de ce qu’en diraient ses chefs. Il ne s’était calmé qu’en apprenant la remise à sir Percy de vestiges archéologiques importants.

La douceur du soir tombant sur la ville dans une belle lumière verte adoucie de mauve était telle qu’en sortant de la maison du mont des Oliviers, les deux hommes déclinèrent la proposition de voiture de leur hôte pour rentrer à pied. Pendant un long moment ils cheminèrent en silence jusqu’à ce qu’Adalbert se mette à penser tout haut :

— Par curiosité pure, j’aimerais bien savoir comment Saladin s’était procuré les émeraudes…

— C’est à cela que je songe depuis que nous sommes partis mais j’ai peut-être une idée. Elle suppose que la suivante de Bérénice n’ait pas tenu son serment et qu’elle soit tout simplement retournée chez les siens en leur rapportant, pour rentrer en grâce, ce butin assez exceptionnel…

— Mmmm… moui ! Pourquoi pas ? Mais après ?

— Les Nabatéens, pour ce que j’en ai appris depuis peu, ont dû se plier à la loi de Rome et renoncer à leurs caravanes et, sous Trajan, à leur indépendance pour devenir pasteurs et agriculteurs dans leur pays entre mer Morte et mer Rouge. Après Rome, ils ont subi Byzance et, après Byzance les Croisades. Or je connais bien ces grandes expéditions chrétiennes qui drainaient vers la Terre sainte la chevalerie d’Occident. Mes ancêtres maternels en ont pris leur part – mes ancêtres paternels aussi mais pas au même moment. Or parmi les forteresses construites par les Croisés à travers le pays, la plus puissante était peut-être le Krak de Moab érigé non loin du sud de la mer Morte pour contrôler l’ancienne route des caravanes nabatéennes reliant Petra à Damas. Le maître du Krak, appelé aussi Kerak, était Renaud de Châtillon, figure achevée du seigneur forban n’obéissant à personne sinon à sa propre volonté…

— Oh, je connais ! Moi aussi, j’ai appris l’histoire et pas seulement celle de l’Antiquité. Et tu crois quoi ?

— Je ne crois pas, je rêve, j’imagine… J’imagine que les « sorts sacrés » se cachaient encore chez les Nabatéens devenus taillables, corvéables et pillables à merci. De même qu’il dépouillait à fond tous les voyageurs, toutes les caravanes passant sur « son » chemin, Renaud a dû les écorcher jusqu’à l’os surtout si le moindre bruit de légende lui était venu aux oreilles qu’il avait fort grandes.

— Tu penses qu’il a pu les offrir à l’une de ses femmes ou concubines qu’il gardait dans son nid d’aigle !

— Sûrement pas ! Ne craignant ni Dieu ni diable mais superstitieux comme bien des gens de son temps, il a dû vouloir garder pour lui-même ce qu’il considérait peut-être comme un talisman alors que sa vraie protection, c’était le jeune homme exceptionnel qui régnait alors à Jérusalem : Baudoin IV, le roi lépreux devant qui reculait Saladin, pas à cause de la maladie mais de son génie et de sa vaillance. Par deux fois, Baudoin délivra le Krak de Moab des assauts de l’émir kurde… et puis le terrible mal qui l’avait réduit à l’état de mort-vivant a achevé son œuvre et plus personne n’est venu au secours du vieux bandit. Saladin a fini par le capturer après la désastreuse bataille de Tibériade où est mort l’un de mes aïeux. Exaspéré par son insolence, il voulut lui trancher la tête, ne trancha que l’épaule et l’abandonna ensuite au cimeterre d’un exécuteur plus expérimenté. Il se peut que ce jour-là, Saladin soit entré en possession des « sorts sacrés d’Israël »…

— Bravo ! applaudit Adalbert. Tu racontes comme un ange et on t’écouterait jusqu’au bout de la nuit mais c’est du roman…

— Peut-être vérifiable. Il doit y avoir, au château de Roquelaure, en France, une relation de cette bataille par Gérard, le blessé, qui a pu revenir ensuite au pays…

— Ce sera amusant à vérifier mais cela ne nous apprend rien sur la suite des événements. Nous sommes arrivés à Damas, en 1432, on sait que le fils du calife portait les pierres au cou, un point c’est tout. Quidde la suite ?

— Il faut y réfléchir, aller peut-être à Damas, fouiller des archives, chercher…