— Dans l’énumération de vos noms, n’y a-t-il pas Margot ? demanda-t-il presque négligemment, satisfait cependant de la voir tressaillir.
— Quelle drôle d’idée ? fit-elle avec un petit rire nerveux. C’est un nom trop vulgaire pour moi…
— Peut-être. Il est vrai aussi que Margot la Pie n’a jamais tué et qu’il y a ici un cadavre. Cependant, que vous n’ayez pas frappé vous-même ne change rien à la chose : la meurtrière, c’est vous…
— On peut aussi supposer que cette Margot n’avait pas encore donné toute la mesure de son talent, coupa Adalbert. Le meurtre, tu sais, il suffit de s’y mettre ! J’imagine même que ce pourrait être bientôt notre tour. Nous en savons trop sur elle.
L’éclat de rire d’Hilary lui coupa la parole et c’était une chose étonnante que cette jeune femme blonde et élégante, riant de si bon cœur dans ce décor sinistre habité par un cadavre et des hommes à la mine sombre…
— Que vous êtes donc mélodramatique, cher Adalbert ! Je crois, décidément, que je vous aime bien. Aussi pourquoi voulez-vous que je vous tue ?
— Parce que c’est la logique des choses, fit Morosini en haussant les épaules. Il vient de vous le dire : nous en savons trop !
— Ce que vous savez ne vous servirait à rien. Je vous dirai pourquoi tout à l’heure. Auparavant je tiens tout de même – à cause de cette tendresse que je vous porte – à me justifier à vos yeux, mes bons amis. J’ai dit tout à l’heure que je n’avais pas tué Goldberg et c’est vrai. Non seulement je n’ai pas accompli l’acte mais ce n’est pas moi qui en ai donné l’ordre.
— Qui, alors ?
— Vous n’imaginez pas que je vais vous le dire ? À présent, il serait peut-être temps de mettre un terme à cette agréable réunion. Me ferez-vous la grâce, mon cher prince, de me remettre les belles émeraudes pour lesquelles vous vous êtes donné tant de mal ?
Dans la nuit paisible, la réponse claqua comme une balle :
— Non !
— Vous n’avez pas le choix, soupira Hilary. Ne m’obligez pas à vous faire fouiller. Ce serait… déplaisant !
— Faites ce que vous voulez ! Vous ne les aurez pas de bon gré. Il faut que vous le sachiez… Ces pierres sont la rançon de ma femme que votre victime avait enlevée…
— Je le sais.
— Comment pouvez-vous le savoir ?
— Je le sais, vous dis-je ! De toute façon cet homme est mort. Votre femme n’a plus rien à craindre de lui.
— Elle a tout à craindre, au contraire ! intervint Adalbert. Si ceux qui la gardent apprennent la mort de Goldberg, ils la tueront ! Hilary, s’il reste en vous quelque chose de ce que j’ai aimé, ne vous chargez pas de ce nouveau crime. Il s’agit d’une jeune femme… que l’on ne peut approcher sans l’aimer et…
— Peste ! Quelle flamme ! Vous faites apparemment partie de la troupe ?
— Je ne crois pas que vous ayez encore le droit de m’interroger à ce sujet ? Cependant je veux bien admettre que je voue à Lisa Morosini un affectueux dévouement.
— Cela ne m’intéresse pas. Assez causé : les émeraudes, prince !
— Le premier qui m’approche, je l’abats !
Un geste rapide et la gueule noire du revolver apparut au poing de Morosini. Hilary, qui s’avançait déjà une main tendue, s’arrêta et même recula :
— Ne faites pas l’imbécile : elle n’a rien à craindre, vous dis-je !
— Qu’en savez-vous ?
— Oh, j’ai pour cela la meilleure des raisons : c’est en mon pouvoir qu’elle est maintenant. Ce… ce digne personnage l’avait amenée avec lui. Je n’ai eu qu’à la cueillir !
— Vraiment ? En ce cas tout est simple : rendez-la-moi et les émeraudes sont à vous. Je n’ai jamais eu l’intention de les garder.
— De ce dernier point je ne doute pas mais, si je vous suivais sur ce chemin, vous auriez tôt fait de me faire rattraper par la police et de reprendre ces si précieux cailloux.
— Non. Vous avez ma parole. Je n’ai aucune raison de vouloir conserver ces pierres. Bien au contraire ! Elles sont le pire porte-guigne que je connaisse !
— On ne m’a pas si facilement, mon cher prince, et je ne vous crois pas ! Il se trouve que j’ai besoin d’elle. Justement pour vous obliger à vous tenir tranquille pendant que je disparaîtrai. Elle vous sera rendue… en temps voulu.
— Pourquoi vous croirais-je alors que vous refusez ma parole ? Donnez l’ordre qu’on aille la chercher… ou je vous tue.
Il n’eut pas le temps d’ajouter un mot. Apparemment, les troupes de l’aventurière étaient plus nombreuses qu’il ne le croyait. Sortis de nulle part, deux hommes bondirent sur Aldo par-derrière et le maîtrisèrent. Instinctivement il appuya sur la gâchette et le coup partit mais la balle fila vers le ciel. Pendant ce temps, d’autres Arabes s’étaient emparés d’Adalbert. Un instant plus tard, tous deux étaient réduits à l’impuissance et proprement ligotés après qu’Hilary elle-même eut fouillé Aldo et découvert, sans peine aucune, les « sorts sacrés » enveloppés d’un mouchoir de soie dans la poche de poitrine intérieure de son smoking.
Elle les contempla avec le sourire que toute femme digne de ce nom réserve à la beauté :
— Quelles merveilles ! En vérité, elles valent bien la peine que nous nous sommes tous donnée…
— La vôtre n’a pas été si grande mais cela pourrait changer ! N’oubliez pas qu’elles portent malheur…
— Je n’ai pas l’intention de m’en parer et, de toute façon, je ne suis pas superstitieuse… Navrée de vous quitter à présent, chers amis. La fin de la nuit sera sans doute inconfortable mais du moins personne n’aura l’idée de vous accuser du meurtre de Goldberg ! Ceci compense cela.
— Vous ne l’emporterez pas en paradis, Hilary Dawson ! grogna Adalbert furieux…
Elle tourna vers lui un sourire presque tendre :
— À mon âge on a encore le temps de penser au Paradis et moi je préfère m’en créer un sur la terre. Adieu, mon cœur ! Et… à propos, je ne m’appelle pas vraiment Hilary Dawson. Quant à ma supposée famille, c’était une réunion d’amis chers qui ont bien voulu jouer le rôle.
— Y a-t-il en vous quelque chose de vrai ? fit Aldo avec dédain. En tout cas, retenez ceci : où que vous soyez je vous retrouverai et je vous ferai payer tout cela.
Il eut droit à la fin de son sourire :
— Je vais mourir de peur, mon cher Aldo ! En attendant, permettez-moi de vous dire que, pour un homme de goût, vous en manquez singulièrement en matière matrimoniale : cette grosse femme et vous ne devez pas former un couple bien assorti !…
Emmenant sa déplaisante troupe avec elle, Hilary quitta la piscine de Siloé, laissant ses prisonniers sous le coup de ses derniers mots. Cependant, Aldo attendit un moment avant d’exprimer sa surprise :
— Lisa, une grosse femme ? C’est impossible, voyons ! Qu’est-ce que cela peut vouloir dire ?
— Que Goldberg avait dû se faire accompagner par quelqu’un d’autre et que ce n’est pas Lisa que cette damnée créature a emmenée…
— Autrement dit, Lisa est toujours au pouvoir des gardiens à qui cet homme l’avait confiée ? Et toujours en danger de mort… Bon Dieu ! c’est à devenir fou ! Et combien de temps allons-nous encore rester ici, ficelés comme des salamis ?
— Je n’ai pas de réponse à ta question, mon pauvre vieux, soupira Adalbert qui se tortillait dans ses cordes dans l’espoir de trouver un moyen de s’en libérer. Tes liens sont-ils aussi serrés que les miens ?
— Je le crains, mais si on réussit à se coucher de côté, tu pourrais peut-être essayer d’attaquer ceux de mes mains avec tes dents. Ou vice versa…
— Le malheur c’est qu’on n’y voit pas grand-chose…
Un mince jet de lumière lui apporta un soudain démenti. Aussitôt Adalbert se mit à crier :