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Les rebelles rapportaient qu’ils se battaient rarement contre les troupes d’Alia. Les coups portés au hasard par le Démon du Désert avaient enfermé Alia et les Naibs dans un système de défense vigilant. Les contrebandiers eux-mêmes avaient été frappés, mais on murmurait qu’ils patrouillaient le désert et ne pensaient qu’à toucher la prime pour la tête de Stilgar.

Peu avant la nuit, la veille, le vieux Naib avait conduit sa bande jusqu’à la djedida, se fiant uniquement à son nez de vieux Fremen pour détecter l’humidité. Il leur avait promis qu’ils se dirigeraient bientôt vers le sud, en direction des palmeraies, mais il s’était refusé à fixer une date précise. Sa tête était mise à prix pour une somme qui aurait suffi, jadis, à l’acquisition d’une planète, mais il semblait le plus libre et le plus heureux des hommes.

Il leur avait montré que le piège-à-vent fonctionnait encore et il avait dit : « C’est un endroit qui nous convient. Nos amis nous ont laissé de l’eau. »

Ils n’étaient plus guère nombreux, à présent, une soixantaine. Les plus vieux, les plus malades et les plus jeunes avaient trouvé refuge au sud auprès des familles des palmeraies. Seuls demeuraient les plus vaillants. Leurs amis étaient encore nombreux, au nord et au sud.

Ghanima se demandait pour quelle raison Stilgar s’entêtait à refuser de discuter de ce qui advenait à ce monde. Ne le voyait-il donc pas ? Suivant la progression des qanats brisés, les Fremen se repliaient vers les limites nord et sud qui avaient autrefois été les frontières de leurs domaines. Un tel mouvement n’était que le signal de ce qu’il allait advenir de l’Empire. Une condition était le miroir de l’autre.

Glissant la main sous le col de son distille, Ghanima assura son étanchéité. En dépit de ses inquiétudes, elle se sentait remarquablement libre dans cet endroit. Ses vies intérieures ne la persécutaient plus, encore que parfois elle sentît la présence de leurs souvenirs dans sa conscience. De ces souvenirs, elle extrayait l’image de ce que ce désert avait été jadis, avant la transformation écologique. D’abord, il avait été plus sec. Ce piège-à-vent que l’on n’entretenait plus fonctionnait encore à cause de l’humidité de l’air.

Des créatures qui, longtemps, s’étaient tenues à l’écart de ce désert s’y aventuraient maintenant. Les hiboux diurnes proliféraient. Et Ghanima regardait maintenant des oiseaux-fourmis qui dansaient entre les colonnes d’insectes qui grouillaient dans le sable humide à l’extrémité du qanat rompu. Si les blaireaux étaient encore peu nombreux, les gerboises étaient devenues légions.

Les nouveaux Fremen étaient dominés par une crainte superstitieuse, et Stilgar ne faisait nullement exception. La djedida avait été rendue au désert après que son qanat eût été brisé pour la cinquième fois en onze mois.

Après la quatrième attaque du Démon du Désert, il était apparu que les réserves d’eau ne seraient pas suffisantes en cas de nouveaux ravages.

La même chose se répétait dans toutes les djedidas, et dans bien des anciens sietch. Neuf fois sur dix, les nouveaux domaines étaient abandonnés, rendus au désert. La plupart des vieilles communautés étaient surpeuplées comme jamais elles ne l’avaient été. Et, tandis que le désert entrait dans cette phase nouvelle, les Fremen retournaient aux coutumes anciennes. Ils voyaient des présages en toutes choses. Les vers venaient-ils à se raréfier sauf dans le Tanzerouft ? C’était le jugement de Shai-Hulud ! Et l’on trouvait des vers morts sans que l’on pût rien dire des causes de leur mort.

Ils retournaient très vite à la poussière du désert et ces carcasses pulvérulentes que les Fremen rencontraient parfois les emplissaient de terreur.

La bande de Stilgar avait rencontré une de ces carcasses le mois précédent. Il avait fallu quatre jours aux Fremen pour triompher de l’aura du mal. La chose dégageait une aigre et dangereuse odeur de putréfaction. Ils l’avaient découverte gisant sur un énorme gisement d’épice, en grande partie perdu désormais.

Ghanima s’arracha à la contemplation du qanat et observa la djedida. Devant elle, il y avait les ruines d’un mur qui avait dû abriter un mushtamal, un petit jardin annexe. Obéissant à sa curiosité, elle avait exploré cet endroit et découvert une réserve de pains d’épice sans levain dans une cache de pierre.

Stilgar les avait détruits en déclarant : « Jamais des Fremen ne laisseraient de la nourriture saine derrière eux. »

Elle avait pensé qu’il se trompait, mais une dispute était inutile dans cette circonstance. Les Fremen changeaient. Autrefois, ils s’étaient déplacés librement dans le bled, poussés par des besoins naturels : l’eau, l’épice, le commerce. Les activités animales leur servaient à mesurer le temps. Mais les animaux obéissaient à des rythmes étranges et nouveaux tandis que la plupart des Fremen se terraient dans les cavernes anciennes, à l’ombre septentrionale du Mur du Bouclier. Les chasseurs d’épice étaient rares désormais dans le Tanzerouft et seule la bande de Stilgar se déplaçait encore selon l’usage ancien.

Ghanima se fiait à Stilgar et à sa crainte d’Alia. Irulan venait renforcer ses arguments par ses bizarres considérations Bene Gesserit. Mais, sur la lointaine Salusa Secundus, Farad’n était encore vivant. Un jour, il faudrait bien en arriver à une solution.

Ghanima regarda le ciel d’argent gris. Où chercher de l’aide ? Se trouverait-il quelqu’un pour l’écouter si elle révélait ce qu’elle voyait se produire autour d’elle ? Si les rapports étaient exacts, Dame Jessica était restée sur Salusa. Et Alia demeurait une créature sur un piédestal, emmurée dans la mégalomanie alors même qu’elle dérivait toujours plus loin de la réalité. Gurney Halleck demeurait introuvable, bien qu’on disait l’avoir vu un peu partout. Le Prêcheur se terrait, et ses imprécations hérétiques n’étaient plus qu’un vague souvenir.

Et Stilgar.

Son regard se dirigea, par-delà le mur brisé, vers l’endroit où Stilgar dirigeait la réparation de la citerne. Dans son nouveau rôle, il apparaissait comme le feu follet du désert, et le prix de sa tête augmentait de mois en mois.

Rien n’avait plus de sens. Rien.

Qui était ce Démon du Désert, cette créature capable de détruire les qanats comme autant de fausses idoles jetées à bas dans le sable ? Était-ce un ver fou ? Une troisième force de la rébellion ? Personne ne croyait que ce pouvait être un ver. L’eau aurait tué n’importe quel ver s’attaquant à un qanat. Nombreux étaient les Fremen à penser que le Démon était une organisation révolutionnaire qui visait à renverser le Mahdinat d’Alia et à restaurer l’ordre ancien sur Arrakis. Ceux qui le croyaient disaient que ce serait une bonne chose. Il était temps de se débarrasser de cette rapace succession apostolique qui ne faisait que se renforcer dans sa médiocrité jour après jour. Il fallait retrouver la vraie religion que Muad’Dib avait épousée.

Ghanima eut un soupir profond. Oh ! Leto, songea-t-elle. Je suis presque heureuse que tu n’aies pas vécu pour connaître ces jours. J’aimerais te rejoindre mais il n’y a toujours pas de sang sur mon couteau. Alia et Farad’n. Farad’n et Alia. Le vieux Baron est le démon qui est en elle et cela ne peut être toléré.

Harah sortit de la djedida et s’approcha lentement de Ghanima. Elle s’arrêta devant elle et demanda : « Que fais-tu là, toute seule ? »

« Cet endroit est étrange, Harah. Nous devrions le quitter. »

« Stilgar attend quelqu’un. »

« Ah ? Il ne me l’a pas dit. »

« Pourquoi devrait-il te dire tout ? Maku ? Harah se pencha et tapota la poche d’eau qui gonflait la robe de Ghanima. Es-tu donc une femme à présent pour être enceinte ? »