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Durant toute cette conversation, le Prêcheur se tenait auprès d’eux. Il écoutait mais ne semblait pas se préoccuper d’une éventuelle décision.

« Il m’a bien servi, Gurney, dit Leto. La Maison des Atréides n’a pas perdu tout sens de ses obligations envers ceux qui la servent bien. »

« La Maison des Atréides ? » répéta Halleck.

« Je suis la Maison des Atréides. »

« Tu t’es enfui de Jacurutu avant que j’aie pu achever de te faire subir l’épreuve que ta grand-mère avait ordonnée. La voix de Halleck était froide, soudain. Comment peux-tu prétendre…»

« Il te faut veiller sur la vie de cet homme comme s’il s’agissait de la tienne. »

Leto s’exprimait comme s’il n’y avait plus de discussion possible et il soutint sans ciller le regard dur de Halleck.

Jessica avait éduqué Halleck dans l’art Bene Gesserit de l’observation subtile et il ne décela rien dans la calme assurance de Leto. Pourtant, les ordres de Jessica demeuraient : « Ta grand-mère m’a donné pour tâche de compléter ton éducation, dit Halleck, et de m’assurer que tu n’es pas possédé. »

« Je ne suis pas possédé », dit simplement Leto.

« Pourquoi t’es-tu enfui ? »

« Namri avait reçu l’ordre de me tuer quoi qu’il advienne. Cet ordre émanait d’Alia. »

« Alors, tu es un Diseur de Vérité ? »

« Oui. » Il y avait la même tranquillité neutre dans chacune des réponses de Leto.

« Et Ghanima aussi ? »

« Non. »

Le Prêcheur rompit alors le silence. Il désigna Leto mais le regard de ses orbites vides était fixé sur Halleck.

« Tu crois que toi, tu peux le tester ? »

« Vous ignorez tout du problème et de ses conséquences, dit Halleck. Ne vous en mêlez pas. » Il évitait de regarder l’aveugle.

« Oh, je connais très bien les conséquences, dit le Prêcheur. J’ai été testé autrefois par une vieille femme qui croyait savoir ce qu’elle faisait. Mais elle ne le savait pas, comme on le découvrit plus tard. »

Halleck lui fit face.

« Vous aussi vous êtes un Diseur de Vérité ? »

« N’importe qui peut être un Diseur de Vérité, même toi. C’est une question d’honnêteté envers la nature de tes propres sentiments. Il te suffit d’un accord intérieur avec la vérité pour la reconnaître aussitôt. »

« Pourquoi vous mêler de cela ? » répéta Halleck, en portant la main à son krys. Mais qui était donc ce Prêcheur ?

« Je réponds à ces événements. Ma mère pourrait répandre son propre sang sur l’autel, mais j’ai d’autres buts. Et je vois ton problème. »

« Ah ? » fit Halleck, réellement curieux, tout à coup.

« Dame Jessica t’a ordonné de faire la différence entre le loup et le chien, entre ze’eb et ke’leb. Selon sa définition, un loup est quelqu’un qui fait mauvais usage du pouvoir qu’il possède. Cependant, entre chien et loup, il est un moment de pénombre qui permet mal de les distinguer l’un de l’autre. »

« C’est assez juste », dit Halleck. Il remarqua alors que les gens du sietch affluaient, de plus en plus nombreux, dans la salle commune et écoutaient la discussion.

« Comment savez-vous cela ? » demanda-t-il.

« Parce que je connais cette planète. Tu ne comprends pas ? Pense à ce qu’elle est. Sous la surface, il y a des rochers, de la poussière, des sédiments, du sable. C’est la mémoire de la planète, l’image de son histoire. Pour les humains, c’est la même chose. Le chien se souvient du loup. Chaque univers tourne autour d’un noyau d’être. Et de ce noyau émanent tous les souvenirs qui montent à la surface. »

« Très intéressant. Et en quoi cela m’aide-t-il à exécuter mes ordres ? »

« Reconsidère l’image de ton histoire qui habite en toi. Communique, ainsi que les animaux communiquent. »

Halleck secoua la tête. Il y avait chez ce Prêcheur une franchise imposant le respect, qualité qu’il avait rencontrée bien des fois chez les Atréides, et Halleck n’était pas loin de le soupçonner d’user de la Voix. Son cœur se mit à battre plus vite, alors. Était-ce possible ?

« Jessica voulait un test ultime, une épreuve qui révélerait l’étoffe, la réalité interne, sous-jacente de son petit-fils, reprit le Prêcheur. Mais cette étoffe a toujours été là, sous tes yeux. »

Halleck se tourna vers Leto. Malgré lui, poussé par une force irrépressible.

Le Prêcheur poursuivit, comme s’il faisait la leçon à un élève récalcitrant : « Cette jeune créature te trouble parce qu’elle n’est pas un être singulier mais une communauté. Comme c’est la règle pour toute communauté soumise à une épreuve, chaque membre peut assumer le pouvoir. Ce pouvoir n’est pas toujours bénin, ainsi que nous l’apprennent les récits d’Abomination. Mais tu as déjà trop blessé cette communauté, Gurney Halleck. Ne vois-tu donc pas que la transformation s’est déjà opérée ? Cet enfant est parvenu à établir une coopération interne d’une énorme puissance, que nul ne peut renverser. Sans mes yeux, je puis la voir. Je me suis opposé à lui, mais à présent, je lui obéis. Il est le Guérisseur. »

« Et vous, qui êtes-vous ? »

« Rien de plus que ce que tu vois. Ne me regarde pas moi, regarde cette personne que l’on t’a demandé d’éduquer et de tester. Cet être a été formé par la crise. Il a survécu à un environnement mortel. Il est ici. »

« Qui êtes-vous ? » répéta Halleck.

« Je t’ai dit de regarder ce jeune Atréides ! Il est la rétroaction ultime dont notre espèce dépend ! Il va réintroduire dans le système les résultats des actes passés. Aucun être humain ne saurait connaître aussi bien que lui les actes passés. Et tu envisageais de le détruire ! »

« On m’a donné l’ordre de le tester et je n’ai pas…»

« Mais tu l’as testé ! »

« Est-il une Abomination ? »

Le Prêcheur eut un rire las.

« Tu t’enfermes dans ces absurdités Bene Gesserit. Les Sœurs savent si bien créer ces mythes qui font dormir les hommes ! »

« Êtes-vous Paul Atréides ? » demanda Halleck.

« Paul Atréides n’est plus. Il a essayé de s’ériger en symbole moral suprême alors même qu’il renonçait à toute préparation morale. Il est devenu un saint sans dieu, dont chaque mot était un blasphème. Comment peux-tu penser…»

« Vous parlez avec sa voix. »

« Maintenant, c’est moi que tu veux tester ? Prends garde, Gurney Halleck. »

Halleck se tut, la gorge serrée, et son regard revint lentement sur Leto, impassible, qui les observait.

« Qui donc faut-il tester ? demanda le Prêcheur. Mais peut-être Dame Jessica est-elle justement en train de te tester, Gurney Halleck ? »

Cette pensée troubla profondément Halleck et il se demanda dans le même temps pourquoi il se laissait émouvoir par les paroles du Prêcheur. Mais l’obéissance à cette mystique autocratique était profondément inscrite dans tous les serviteurs des Atréides. Jessica, en lui expliquant cela, n’avait fait que rendre la chose encore plus mystérieuse. Halleck, à présent, devinait que quelque chose changeait en lui, quelque chose dont les limites n’avaient été qu’effleurées par l’éducation Bene Gesserit que Dame Jessica lui avait infligée. Une rage informe monta en lui. Il ne voulait pas changer !

« Lequel de vous joue à Dieu et à quelle fin ? demanda le Prêcheur. Tu ne peux te reposer sur la raison seule pour répondre à cette question. »

Lentement, délibérément, Halleck reporta son attention sur l’aveugle. Jessica ne cessait de répéter qu’il devait parvenir à l’équilibre des kairits : « tu feras – tu ne feras pas. » Elle disait que c’était là une discipline sans mots ni phrases, sans règles ni arguments. C’était le tranchant affûté de la vérité intérieure de Halleck, qui embrassait tout. Quelque chose dans la voix de l’aveugle, dans son ton, son attitude, suscitait une fureur qui se consuma d’elle-même jusqu’à susciter un calme aveuglant dans les profondeurs d’Halleck.