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« Réponds à ma question », dit le Prêcheur.

Halleck sentit que ces mots approfondissaient sa concentration sur ce lieu, sur cet instant et ses exigences. Sa position dans l’univers n’était plus définie que par cette concentration. Nul doute ne subsistait plus en lui. Paul Atréides était devant lui, non pas mort, mais revenu. Et ce non-enfant, Leto. Halleck le regarda une fois encore, et, pour la première fois, le vit réellement. Il vit les signes de l’épreuve autour de ses yeux, le sens de l’équilibre dans la posture, l’humour ambigu sur les lèvres inertes. Leto se détachait sur le fond de l’univers comme s’il se trouvait au foyer d’une lumière éblouissante. Il était parvenu à l’harmonie simplement en l’acceptant.

« Paul, dites-moi, fit Halleck. Votre mère sait-elle ? »

Le Prêcheur eut un soupir.

« Pour les Sœurs, toutes les Sœurs, je suis mort. Ne tente pas de me ressusciter. »

Toujours sans le regarder, Halleck demanda encore :

« Mais pourquoi a-t-elle…»

« Elle fait ce qu’elle doit faire. Elle accomplit sa propre vie, croyant qu’elle dirige bien des vies. Tous, de même, nous jouons aux dieux. »

« Mais vous êtes vivant ! » souffla Halleck, bouleversé par cette révélation, se tournant enfin pour regarder cet homme, plus jeune que lui, mais tant vieilli par le désert, qu’il semblait avoir vécu deux fois plus longtemps.

« Vivant ? demanda Paul. Qu’est-ce donc ? »

Halleck se retourna et observa sur les visages des Fremen l’hésitation entre le doute et la crainte.

« Ma mère n’a jamais eu à apprendre ma leçon ! (Oui, c’était bien la voix de Paul !) Être un dieu, cela conduit à l’ennui et à la dégradation. C’est assez pour inventer le libre arbitre ! Un dieu peut souhaiter fuir dans le sommeil et ne vivre que dans les projections inconscientes des créatures de son rêve. »

« Mais vous vivez ! » répéta Halleck, d’une voix plus forte.

Paul ignora l’excitation qui était perceptible dans le ton de son vieux compagnon.

« Tu aurais vraiment lancé ce garçon contre sa sœur dans l’épreuve du Mashad ? Quelle absurdité mortelle ! Chacun d’eux t’aurait dit : « Non ! Tue-moi ! Laisse vivre l’autre ! « À quoi bon une telle épreuve ? Et que signifie donc être vivant, Gurney ? »

« Cela ne faisait pas partie de l’épreuve ! » protesta Halleck. Les Fremen se rapprochaient, les yeux fixés sur Paul, ignorant Leto, et cela ne lui plaisait pas.

« Considérez la structure de la chose, père », dit alors Leto.

Paul leva la tête comme s’il humait l’atmosphère de la pièce.

« Oui… Oui… C’est donc Farad’n ! »

« Comme il est facile de suivre nos pensées plutôt que nos sens », dit Leto.

Halleck avait été incapable de suivre le cours de cette pensée et comme il allait poser une question, il fut interrompu par la main de Leto sur son bras.

« Ne demandez rien, Gurney. Vous pourriez me soupçonner à nouveau d’être une Abomination. Non ! Laissez les choses se dérouler, Gurney. En essayant de les précipiter, vous ne pourriez que vous détruire. »

Mais Halleck était envahi par des doutes. Jessica l’avait mis en garde : « Ils sont habiles à tromper, ces pré-nés. Ils disposent de tours dont tu n’as jamais rêvé. » Halleck, lentement, secoua la tête. Et Paul ! Par les Dieux Inférieurs ! Paul était vivant et il avait partie liée avec ce point d’interrogation qu’il avait engendré !

Il était maintenant impossible de repousser les Fremen. Ils se trouvaient entre Paul et Halleck, entre Leto et Paul. Ils les repoussaient tous et leurs voix rauques posaient d’innombrables questions : « Es-tu Muad’Dib ? Es-tu vraiment le Mahdi ? Est-ce vrai, ce qu’il dit ? Dis-le-nous ! »

« Vous ne devez me considérer que comme le Prêcheur, dit Paul en tendant la main pour les repousser. Je ne puis être Paul Atréides ou Muad’Dib. Plus jamais. Je ne suis plus Empereur, non plus que le compagnon de Chani. »

Halleck, redoutant ce qui pouvait advenir si ces questions angoissées ne recevaient pas de réponse logique, était sur le point d’intervenir quand Leto s’avança. Ce fut à cet instant qu’Halleck eut un aperçu du terrible changement qui s’était accompli en Leto. Sa voix s’éleva comme le meuglement d’un taureau : « Écartez-vous ! » Et il s’élança. Ses mains repoussèrent les Fremen, à droite et à gauche, comme des poupées. Il les frappait, les renversait et leur arrachait leurs couteaux en saisissant les lames à pleine main.

En moins d’une minute, les derniers à demeurer debout se retrouvèrent le dos au mur, abasourdis et muets. Leto se plaça à côté de son père.

« Quand Shai-Hulud parle, on obéit », dit-il.

Ils avaient été alors quelques-uns à tenter d’élever la voix. Leto avait alors arraché un fragment de rocher à l’angle du couloir et l’avait broyé entre ses mains, sans cesser de sourire.

« J’écraserai ainsi votre sietch sur vos visages », dit-il.

« Le Démon du Désert ! » souffla une voix.

« De même que vos qanats. Je les disloquerai. Nous ne sommes jamais venus ici, m’entendez-vous ? »

Toutes les têtes approuvèrent, en un hochement soumis de terreur.

« Nul ne nous a jamais vus, continua Leto. Un murmure, et je reviendrai pour vous chasser dans le désert sans une goutte d’eau ! »

Halleck vit des mains se lever pour esquisser le signe du ver, le geste de conjuration.

« A présent, mon père et moi, nous allons partir, en compagnie de notre vieil ami. Préparez notre orni. »

Et c’est ainsi que Leto les avait ramenés à Shuloch, expliquant en route qu’ils devaient faire vite « parce que Farad’n sera ici sur Arrakis, très vite. Et alors, comme l’a dit mon père, vous connaîtrez le véritable test, Gurney ».

Ainsi, au sommet de la butte de Shuloch, Halleck se demanda une fois encore, comme il le faisait chaque jour : « Quel test ? Que veut-il dire ? »

Mais Leto avait quitté Shuloch, et Paul se refusait à répondre.

60

L’Église et l’État, la raison scientifique et la foi, l’individu et sa communauté, et même le progrès et la tradition – tout peut être réconcilié dans les enseignements de Muad’Dib. Il nous a appris qu’il n’existait pas d’oppositions absolues, si ce n’est dans les croyances des hommes. Chacun peut déchirer le voile du Temps. Vous pouvez découvrir l’avenir dans le passé ou dans votre imagination. Et, ce faisant, vous reconquérez votre conscience, au-dedans de votre être. Vous savez alors que l’univers forme un tout cohérent et que vous en êtes indivisible.

Le Prêcheur en Arrakeen,
d’après Harq al-Ada.

Ghanima avait pris place loin du cercle de lumière des lampes à épice et elle observait ce Buer Agarves. Ces sourcils nerveux, ce visage rond ne lui plaisaient guère, de même que la façon qu’il avait de bouger les pieds en parlant, comme s’il y avait dans ses paroles une musique secrète sur laquelle il dansait.

Il n’est pas venu pour parlementer avec Stilgar, se dit-elle. Chaque mot, chaque mouvement de l’homme la confirmaient dans cette idée. Elle s’écarta un peu plus du cercle du Conseil.