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« Je connais le plan, Ma Dame, mais…»

« Fais ce que je te dis ! Ensemble ! »

D’un hochement de tête, elle fit signe à son amazone de se retirer. Comme Zia s’éloignait, elle ajouta : « En sortant, fais entrer Farad’n et sa suite, mais veille à ce qu’ils soient précédés de dix de tes éléments les plus sûrs. »

Zia se retourna brièvement.

« Vos ordres seront exécutés, Ma Dame. »

Alia se retourna vers la fenêtre. Dans quelques minutes, le plan aurait produit son fruit sanglant. Et Paul serait présent quand sa fille porterait le coup de grâce à ses prétentions à la sanctification.

Derrière elle, elle entendit entrer les gardes de Zia. Bientôt, ce serait fini. Tout à fait fini. Elle eut un véritable frisson de triomphe en regardant le Prêcheur qui posait le pied sur la première marche, en compagnie de son jeune guide. Elle apercevait sur la gauche les robes jaunes des Prêtres, retenus par la pression de la foule. Mais ils avaient l’expérience des foules. Ils trouveraient bien un moyen d’approcher de leur cible. La voix du Prêcheur retentit alors sur la plaza et la foule se figea. Qu’ils écoutent donc ! Bientôt, très bientôt, les paroles du Prêcheur auraient d’autres significations. Et le Prêcheur ne serait plus là pour les contester.

Il y eut de nouveaux mouvements derrière elle : les gens de Farad’n faisaient leur entrée. Alia entendit alors la voix de Jessica :

« Alia ? »

Sans se retourner, Alia dit : « Bienvenue, Prince Farad’n, mère. Venez et profitez du spectacle. »

Lentement, elle se détourna de la fenêtre et vit le grand Sardaukar, Tyekanik, qui fronçait les sourcils en regardant les gardes d’Alia qui lui bloquaient le passage.

« Vous ignorez l’hospitalité ! lança Alia. Laissez-les approcher ! »

Deux des gardes, obéissant vraisemblablement aux ordres de Zia, vinrent prendre place devant elle. La troisième s’écarta. Alia se plaça alors à droite de la fenêtre et dit : « Ceci est certainement la meilleure place. »

Jessica portait la traditionnelle robe noire d’aba. Elle porta un regard furieux sur sa fille, escorta Farad’n jusqu’à la fenêtre mais prit soin de se tenir entre lui et les gardes d’Alia.

« C’est très aimable à vous, Dame Alia, dit Farad’n. On m’a tant parlé de ce Prêcheur. »

« Le voici en chair et en os », dit Alia. Elle remarqua que Farad’n portait l’uniforme gris de commandant de Sardaukar, sans aucune décoration. Il se déplaçait avec une aisance gracieuse qu’elle admira. Peut-être ce Prince de Corrino pouvait-il procurer mieux qu’un amusement passager.

L’amplificateur dissimulé près de la fenêtre projeta la voix tonnante du Prêcheur et Alia la sentit résonner tout au fond d’elle-même tout en écoutant chaque parole avec une fascination croissante.

« Je me suis retrouvé dans le Désert de Zan ! cria le Prêcheur. Dans cette étendue désolée et hurlante. Et Dieu m’a commandé de rendre sa propreté à ce lieu. Car nous avons été défiés dans le désert, nous avons connu le chagrin dans le désert et nous avons été induits à l’abandon de nos usages. »

Le Désert de Zan, pensa Alia. C’était le nom du lieu de la première épreuve des Vagabonds zensunni dont les Fremen étaient les descendants. Mais que signifiaient ces mots ? Revendiquaient-ils donc les destructions subies par les sietch des tribus loyales ?

« Des bêtes sauvages se vautrent sur vos terres ! De lugubres créatures emplissent vos demeures ! Vous qui avez fui vos maisons, vous ne multipliez plus vos jours sur le sable. Oui, vous avez abandonné vos usages et vous mourrez dans un nid puant si vous continuez sur ce chemin ! Mais, si vous entendez mon avertissement, le Seigneur vous conduira par une terre de puits jusqu’aux Montagnes de Dieu. Oui ! Shai-Hulud vous conduira ! »

Des plaintes s’élevèrent de la foule. Le Prêcheur s’interrompit et ses orbites creuses regardèrent de tous côtés. Puis il leva les bras, les écarta largement et lança : « Ô Dieu ! Ma chair se languit de Ton chemin, dans cette terre de sécheresse et de soif ! »

Une vieille femme qui se trouvait en face de lui, visiblement une réfugiée à en juger par ses vêtements usés et déchirés, tendit les mains et l’implora : « Aide-nous, Muad’Dib ! Aide-nous ! »

La peur enserra brusquement la poitrine d’Alia. Elle se demanda si la vieille femme connaissait réellement la vérité. Elle regarda sa mère, mais Jessica demeurait impassible, partageant son attention entre les gardes d’Alia, Farad’n et le spectacle de la plaza. Farad’n, quant à lui, semblait fasciné.

Alia revint à la fenêtre, essayant d’apercevoir les Prêtres. Ils étaient invisibles mais elle supposa qu’ils s’étaient rapprochés des portes du Temple, cherchant un chemin direct vers le bas des marches.

Le Prêcheur leva sa main droite sur la vieille femme et cria : « Vous êtes le seul secours qui reste ! Vous vous êtes rebellés. Vous avez apporté le vent sec, celui qui ne lave ni ne rafraîchit. Vous portez le fardeau de notre désert et le tourbillon vient de ce lieu, de cette terrible terre. J’ai vécu dans cette désolation. L’eau des qanats brisés jaillit dans le sable. Des ruisseaux courent dans la terre. Dans la Ceinture de Dune, de l’eau est tombée du ciel ! Ô, mes amis, Dieu me l’a commandé ! Tracez un chemin pour notre Seigneur dans le désert, car je suis la voix qui monte vers lui depuis les terres vides ! »

Il tendit un index raide et vibrant vers les marches en dessous de lui. « Je ne vois pas là de djedida perdue et à jamais abandonnée ! Ici nous avons mangé le pain du paradis. Et ici le bruit des étrangers nous a arrachés à nos maisons ! Ils ont créé la désolation pour nous, ils ont fait une terre où l’homme ne vit plus, que l’homme ne traverse plus. »

Des remous d’inquiétude agitèrent la foule. Les réfugiés et les Fremen de la cité regardaient les pèlerins du Hajj mêlés à eux.

Il peut déclencher un bain de sang ! pensa Alia. Eh bien, qu’il le fasse donc ! Mes prêtres pourront mieux profiter de la confusion.

Elle aperçut alors les cinq robes jaunes qui descendaient les marches, se rapprochant du Prêcheur.

« Les eaux que nous répandons sur le désert sont devenues du sang ! clama le Prêcheur. Du sang sur notre terre ! Voyez notre désert qui pourrait s’éveiller et fleurir : il a attiré l’étranger parmi nous et l’a séduit. Ces étrangers sont venus pour la violence ! Leurs faces sont fermées comme pour le dernier vent de Kralizec ! Ils sont venus récolter la captivité du sable. Ils sucent son abondance, le trésor qu’il conserve dans ses profondeurs. Voyez-les : ils s’avancent pour accomplir leur œuvre maligne. Il est écrit : « Et j’ai été sur le sable, et j’ai vu une bête se dresser hors de ce sable, et sur la tête de cette bête était le nom de Dieu ! »

Des murmures de mécontentement coururent dans la foule. Des poings se levèrent.

« Mais que fait-il ? » murmura Farad’n.

« J’aimerais le savoir », dit Alia. Elle posa une main sur sa poitrine, comme pour calmer sa frayeur et son excitation. Si Paul poursuivait son discours, la foule allait s’en prendre aux pèlerins !

Mais le Prêcheur se tourna à demi, leva ses orbites mortes vers le Temple et tendit la main vers les fenêtres d’Alia.

« Un blasphème subsiste ! cria-t-il. Un blasphème ! Et son nom est Alia !

Le silence absolu se fit sur la plaza.

Alia demeura pétrifiée. Elle savait que la foule ne pouvait la voir, mais soudain, elle se sentait vulnérable, offerte à toutes les colères. Dans sa tête, les paroles qui incitaient au calme semblaient se heurter aux battements de son cœur. Elle ne pouvait détacher les yeux de cette scène incroyable : le Prêcheur, la main tendue vers ses fenêtres.