Выбрать главу

Alia s’était mise à hurler, mais la ronde terrifiante ne cessait pas. Elle se tut.

Alors, lentement, Leto réduisit la vitesse et déposa doucement Alia sur le sol. Elle n’était plus qu’une loque haletante.

Il se pencha sur elle. « J’aurais pu vous projeter à travers le mur, dit-il. Cela aurait sans doute été préférable, mais nous sommes à présent au centre du combat et vous méritez votre chance. »

Le regard d’Alia, affolé, allait de droite à gauche.

« J’ai conquis ces vies intérieures, reprit Leto. Regardez Ghani. Elle aussi, elle peut…»

« Alia, l’interrompit Ghanima. Je peux te montrer…»

« Non ! » La poitrine d’Alia s’enfla et des voix se firent entendre par sa bouche, des mots qui semblaient arrachés, désunis, violents, implorants.

« Tu vois ? Pourquoi n’as-tu pas écouté ? Pourquoi fais-tu cela ? Que se passe-t-il ? (Et une autre voix, encore.) Arrêtez ! Faites-les arrêter ! »

Jessica mit la main sur ses yeux pour ne plus voir et elle sentit que Farad’n la soutenait.

« Je vais te tuer ! gronda Alia. (Des jurons abominables montèrent de sa gorge.) Je vais boire ton sang ! »

Sa bouche déversait des langages mêlés et confus.

Les gardes qui se pressaient dans le couloir firent le signe du ver et levèrent le poing à hauteur de leurs oreilles. Alia était possédée !

Leto secoua la tête. Il s’approcha de la fenêtre et, en trois coups rapides, il fracassa le cristal réputé incassable.

Une expression de ruse se dessina sur le visage d’Alia. Sa bouche se tordit et Jessica crut reconnaître un peu de sa propre voix dans cette parodie de contrôle Bene Gesserit : « Vous tous ! Restez où vous êtes ! »

Jessica avait ôté les mains de ses yeux et elle put voir qu’elles étaient humides de larmes.

Alia se mit à genoux, puis se leva.

« Vous ne savez pas qui je suis ? demanda-t-elle. C’était une voix du passé, la voix aiguë et douce de la toute jeune Alia qui ne serait jamais plus. Pourquoi me regardez-vous ainsi ? (Elle eut un regard suppliant pour Jessica.) Mère, dites-leur de s’arrêter ! »

Jessica, consumée par l’horreur ultime, ne put que secouer la tête. Ainsi, tous les anciens avertissements du Bene Gesserit se révélaient exacts. Elle regarda Leto et Ghanima qui se tenaient côte à côte près d’Alia. Que signifiaient les avertissements des Sœurs pour les malheureux jumeaux ?

« Grand-mère, dit Leto, et il y avait une note suppliante dans sa voix. Faut-il qu’il y ait Jugement de Possession ? »

« Qui es-tu donc pour parler de jugement ? demanda Alia. Sa voix geignarde était celle d’un homme, d’un autocrate sensuel, d’un sybarite.

Leto et Ghanima reconnurent cette voix. C’était celle du vieux Baron Harkonnen. Au même instant, Ghanima entendit l’écho de cette même voix dans sa tête, mais la porte intérieure se ferma très vite et elle sut que sa mère était là, qui veillait.

Jessica demeurait silencieuse.

« Alors, la décision me revient, dit Leto. Et le choix vous revient à vous, Alia. Le Jugement de Possession ou bien…» Il désigna la fenêtre maintenant ouverte.

« Qui es-tu pour me donner un choix ? » demanda Alia, et sa voix était toujours celle du Baron Vladimir Harkonnen.

« Démon ! cria Ghanima. Qu’elle fasse son choix ! »

« Mère, demanda Alia de sa voix de petite-fille, mère, que font-ils donc ? Que voulez-vous que je fasse ? Faites quelque chose ! »

« Faites-le vous-même ! » ordonna Leto. Un instant, il aperçut dans les yeux d’Alia la présence brisée, disloquée, de la personnalité de sa tante, il entrevit son regard désespéré qui le fixait. Puis elle disparut. Mais son corps se déplaçait, en une démarche roide, mécanique. Alia oscilla, trébucha, s’écarta de son chemin et y revint irrésistiblement, se rapprochant lentement de la fenêtre.

Ses lèvres vomirent la colère du Baron : « Arrête ! Arrête ! Je te l’ordonne ! Arrête-toi ! Ou sinon…»

Elle prit sa tête entre ses mains, les traits torturés, tomba un peu plus près de la fenêtre. Ses cuisses touchaient maintenant le rebord mais la voix criait toujours : « Ne fais pas ça ! Arrête, je t’aiderai ! J’ai un plan. Écoute-moi ! Arrête ! Attends ! »

Mais Alia, tout à coup, ôta les mains de sa tête, agrippa le cadre disloqué de la fenêtre et, d’un seul élan, franchit le rebord et disparut. Elle ne poussa pas un seul cri dans sa chute.

Ceux qui se trouvaient dans la salle entendirent un choc sourd, puis les cris de la foule.

Leto regarda Jessica.

« Nous vous avions dit d’avoir pitié d’elle. »

Jessica, alors, enfouit son visage dans la tunique de Farad’n.

63

L’hypothèse selon laquelle le fonctionnement d’un système peut être amélioré par une intervention brutale sur ses éléments conscients traduit une dangereuse ignorance. Cette attitude fut trop souvent celle des esprits qui se qualifient des épithètes de « scientifiques » et de « technologues ».

Le Jihad Butlérien,
par Harq al-Ada.

Il court la nuit, cousin, dit Ghanima. Il court. Vous ne l’avez jamais vu courir ? »

« Non », dit Farad’n.

Il se trouvait avec Ghanima dans l’antichambre de la petite salle d’audience du Donjon, où Leto leur avait demandé d’attendre. Tyekanik se tenait à l’écart, gêné par la présence de Dame Jessica qui avait un air lointain, comme si son esprit s’était retiré en un autre lieu. Il ne s’était pas écoulé plus d’une heure depuis le déjeuner du matin mais, déjà, certaines choses étaient en cours. La Guilde avait été convoquée et des messages avaient été adressés à la CHOM et au Landsraad.

Pour Farad’n, il était difficile de comprendre les Atréides. Dame Jessica l’avait certes prévenu, mais, confronté à la réalité, il était perplexe. Ils semblaient encore attachés à l’idée des fiançailles avec Ghanima, alors même que la plupart des raisons politiques en avaient disparu. Leto monterait sur le trône, cela ne faisait guère de doute. Bien sûr, il conviendrait de lui ôter son étrange peau vivante, mais cela viendrait en son temps…

« Il court pour se fatiguer, reprit Ghanima. Il est la personnification de Kralizec. Il n’est pas de vent qui puisse le rattraper. Il est comme un mirage au sommet de chaque dune. Je l’ai vu. Il court. Et quand il est épuisé, il revient poser sa tête sur mes genoux et il me supplie : “Demande à notre mère qui est en nous de me trouver un moyen de mourir.” »

Farad’n la regarda attentivement. Dans la semaine qui avait suivi les incidents de la plaza, des rythmes nouveaux étaient apparus dans le Donjon, des allées et venues mystérieuses. Tyekanik, dont on avait requis les conseils militaires, faisait état de combats violents au-delà du Mur du Bouclier.

« Je ne comprends pas, dit Farad’n. Trouver un moyen de mourir ? »

« Il m’a demandé de vous y préparer », dit Ghanima. Ce n’était pas la première fois qu’elle était frappée par cette curieuse naïveté du Prince de Corrino. Était-ce là le fait de Jessica ou bien quelque chose d’inné ?

« Mais à quoi ? » demanda Farad’n.

« Il n’est plus humain. Hier, vous avez demandé à quel moment il se déciderait à abandonner sa peau vivante ? Mais jamais. Elle fait partie de lui autant qu’il fait partie d’elle, désormais. Leto estime qu’il lui reste peut-être quatre mille années à vivre avant que la métamorphose ne le détruise. »

La gorge sèche, Farad’n essaya de parler.

« Vous comprenez pourquoi il court la nuit, maintenant ? » demanda Ghanima.