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« Plus tard, Tyek », dit-il.

« Mais…»

« J’ai dit plus tard ! » Pour la première fois, il venait de se servir de la Voix contre Tyekanik. Le Sardaukar cligna des yeux, stupéfait, et demeura silencieux.

Un mince sourire effleura les lèvres de Jessica.

« Dans le même souffle, il parle de paix et de guerre, marmonna Stilgar. L’Âge d’Or ! »

« Il guidera les humains hors du culte de la mort vers l’air libre de l’exubérance de la vie ! dit Ghanima. Il parle de mort parce que c’est nécessaire, Stil. C’est une tension par laquelle les humains savent qu’ils sont vivants. Lorsque cet Empire s’effondrera… Oh, oui, il s’effondrera… Car tu crois que Kralizec est là, mais il n’est pas encore venu. Et lorsqu’il viendra, les humains auront renouvelé le souvenir de ce qu’est la vie. Ce souvenir persistera aussi longtemps qu’il y aura un seul être humain vivant. Une fois encore, nous passerons dans le creuset, Stil. Et nous en sortirons. Nous nous relevons toujours de nos propres cendres. Toujours. »

En entendant ces paroles, Farad’n comprit ce que Ghanima avait voulu dire en lui parlant de la course de Leto. Il ne sera pas humain.

Stilgar n’était pas encore convaincu. « Plus de vers », grommela-t-il.

« Mais les vers reviendront. Tous seront morts avant deux cents ans, mais ils reviendront. »

« Comment…», commença Stilgar, puis il s’interrompit.

Farad’n sentit la révélation qui baignait son esprit. Il sut ce que Ghanima allait dire avant même qu’elle ait ouvert la bouche.

« La Guilde survivra difficilement durant les années maigres, mais elle survivra, grâce à ses réserves et aux nôtres. Mais, après Kralizec, ce sera l’abondance. Les vers reviendront lorsque mon frère s’enfoncera dans le sable. »

64

Comme tant d’autres religions, l’Élixir d’Or de la Vie de Muad’Dib dégénéra en sorcellerie. Ses signes mystiques devinrent les simples symboles de processus psychologiques profonds. Et ces processus, bien sûr, se développèrent sans frein. Ils avaient besoin d’un dieu vivant, alors même qu’ils n’en avaient aucun, une situation que le fils de Muad’Dib devait corriger.

Déclaration attribuée à Lu Tung-pin.
(Lu, l’Invité de la Caverne).

Leto prit place sur le trône du Lion pour recevoir l’hommage des tribus. Ghanima se trouvait à ses côtés, un degré plus bas. La cérémonie, dans la Grande Salle, se poursuivait depuis des heures. Délégués et Naibs des innombrables tribus Fremen défilaient devant Leto. Chaque groupe était porteur d’un présent qui convînt à un dieu aux pouvoirs terrifiants, un dieu de vengeance qui leur promettait la paix.

Une semaine auparavant, manifestant ses pouvoirs devant l’arifa de toutes les tribus, il les avait domptés. Les Juges l’avaient vu marcher dans un tunnel de feu et en ressortir indemne. Ils avaient pu examiner sa peau et voir qu’elle ne portait pas la moindre trace. Il leur avait ensuite ordonné de le frapper de leurs couteaux et la peau impénétrable s’était déployée sur son visage pour le protéger tandis que les lames s’abattaient en vain sur lui. Des acides jetés sur lui s’étaient dissipés en fumées légères. Puis, il avait bu tous les poisons qu’on lui proposait et il avait ri.

Finalement, il avait appelé un ver et il s’était tenu immobile devant eux, devant la gueule grande ouverte. Enfin, il avait gagné le port d’Arrakeen où il avait eu l’audace de faire basculer une frégate de la Guilde en la soulevant par l’un de ses ailerons d’atterrissage.

L’arifa avait rapporté tous ces exploits avec une dévotion craintive et, maintenant, les délégués des tribus étaient venus sceller leur soumission.

Les systèmes d’absorption de la Grande Salle estompaient les sons les plus violents. Mais le frottement constant des pieds sur le sol finissait par pénétrer tous les sens, avec la poussière et les odeurs de silex venues du dehors.

Jessica, qui avait refusé de participer à la cérémonie, observait la scène par une ouverture secrète, derrière le trône. Toute son attention était fixée sur Farad’n. Elle comprenait à présent que ses plans et ceux de Farad’n avaient été déjoués. Leto et Ghanima avaient su prévoir le jeu des Sœurs ! Il était si facile, pour les jumeaux, de consulter les Bene Gesserits qui vivaient en eux, plus nombreuses que toutes celles de l’Empire…

La mythologie des Sœurs avait pris Alia à son piège, d’une manière qui, maintenant, suscitait l’amertume de Jessica. La peur érigée sur la peur ! Les usages des générations écoulées avaient posé le sceau de l’Abomination sur Alia. Et elle n’avait pas eu le moindre espoir. Elle avait finalement succombé et son destin rendait plus difficile encore à accepter l’accomplissement de Leto et de Ghanima. Il n’y avait pas une façon seulement de sortir du piège, mais deux.

La victoire de Ghanima sur ses vies intérieures et son insistance sur le fait que le sort d’Alia appelait la pitié étaient, entre tous les sujets d’amertume, les pires. La suppression hypnotique alliée à l’amour d’un ancêtre bénéfique avaient sauvé Ghanima. Ils auraient pu sauver Alia. Mais en l’absence de tout espoir, rien n’avait été entrepris avant qu’il fût trop tard. L’eau d’Alia avait été répandue sur le sable.

Jessica soupira et porta son attention sur Leto. A sa droite, à la place d’honneur, on avait placé une énorme jarre recouverte d’un dais qui contenait l’eau de Muad’Dib. Il avait révélé à Jessica que son père-intérieur avait ri de ce geste tout en l’admirant.

La jarre et cette dernière révélation de Leto avaient conforté Jessica dans sa décision de ne pas participer à la cérémonie. Aussi longtemps qu’elle vivrait, elle le savait, jamais elle n’accepterait que Paul s’exprime par la bouche de son petit-fils. Elle se réjouissait de ce que la Maison des Atréides ait survécu, mais les choses-qui-auraient-pu-être lui étaient insupportables.

Farad’n était assis, les jambes croisées, près de la jarre qui contenait l’eau de Muad’Dib. C’était la position qui convenait au Scribe Royal, un titre honorifique tout récemment conféré et accepté.

Farad’n avait le sentiment de s’adapter parfaitement à cette nouvelle réalité, en dépit des avertissements inquiets de Tyekanik. Le Sardaukar et Stilgar avaient formé une sorte de front de défiance et de réprobation qui semblait amuser Leto.

Durant les heures de la cérémonie d’hommage, Farad’n était passé de l’émotion à l’ennui pour revenir à l’émotion. Tous ces combattants hors de pair formaient un fleuve humain qui semblait ne pas avoir de fin. Leur loyauté renouvelée envers les Atréides ne pouvait être mise en doute. Leur soumission terrifiée à Leto était encore renforcée par ce qu’ils avaient appris de l’arifa.

Enfin, la conclusion fut en vue. Le dernier des Naibs s’inclinait devant Leto : Stilgar, en « position d’arrière-garde de l’honneur ». Il ne portait aucun panier chargé d’épice, de joyaux et autres présents de prix qui s’entassaient autour du trône. Il tenait un simple bandeau de fibre d’épice, tressé au motif, d’or et de vert, du Faucon des Atréides.

Ghanima le reconnut aussitôt et jeta un regard furtif à son frère.

Stilgar déposa le bandeau sur la seconde marche du trône et s’inclina profondément. « Je vous donne le bandeau que portait votre sœur lorsque je l’ai conduite dans le désert afin de la protéger », dit-il.

Leto réprima un sourire.

« Je sais que tu as connu de durs moments, Stilgar, répondit-il. Y a-t-il ici quelque chose que tu désires en échange ? »