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Non loin des pèlerins, deux mimes, pour quelques pièces, interprétaient la très populaire « Dispute d’Arminache et Léandriche ».

Le Prêcheur pencha la tête pour écouter.

Les mimes étaient des citadins d’âge moyen qui débitaient leur texte avec ennui. Obéissant à un ordre bref, le jeune guide entreprit de les décrire à son maître. Ils étaient vêtus de robes amples qui ne tentaient même pas d’imiter les formes d’un distille pour dissimuler leur corps gorgé d’eau. Assan Tariq trouvait cela plutôt amusant, et le Prêcheur lui en fit la réprimande.

Le mime qui interprétait le rôle de Léandriche achevait sa péroraison : « Bah ! Seule la main sensible peut agripper l’univers ! C’est elle qui conduit votre cerveau si précieux, de même qu’elle conduit tout ce qui vient de lui. Vous ne voyez que ce que vous avez créé, vous ne devenez sensible qu’après que votre main a accompli son travail ! »

Un concert d’applaudissements lui répondit.

Le Prêcheur redressa la tête et huma. Ses narines s’emplirent de toutes les riches odeurs du lieu : remugles révélateurs de distilles mal ajustés, muscs d’origines variées, senteur de silex de la poussière, exhalaisons chargées d’innombrables aliments exotiques, arômes subtils des brûle-parfum du Temple qui s’insinuaient dans la foule selon des courants savamment calculés. Tandis qu’il acquérait cette conscience olfactive de l’endroit, les pensées du Prêcheur se lisaient sur son visage : Nous en sommes donc arrivés là, nous, les Fremen !

Un événement soudain provoqua une onde d’agitation au sein de la foule sur le palier. Des Danseurs des Sables venaient de faire leur apparition sur la plaza au pied des marches. Ils devaient bien être cinquante, liés les uns aux autres par des cordes d’elacca. Il était visible qu’ils dansaient comme cela depuis des jours, en quête de l’extase. L’écume se formait sur leurs lèvres au rythme de leurs pas. Un tiers au moins d’entre eux étaient inconscients et n’obéissaient plus qu’aux mouvements des cordes qui les faisaient brinquebaler comme des marionnettes. Mais l’une de ces marionnettes humaines venait justement de s’éveiller, et la foule semblait attendre quelque chose.

« J’ai vuuuu ! hurla le danseur à peine éveillé. J’ai vuuuu ! (Il se cambra tout à coup contre l’appel des cordes et son regard sauvage se porta à droite, puis à gauche.) Là où se dresse cette cité, il n’y aura que du sable ! J’ai vuuu ! »

Un éclat de rire énorme jaillit des gorges, auquel se joignirent les nouveaux pèlerins eux-mêmes.

C’en était trop pour le Prêcheur. Il leva les bras et gronda d’une voix qui, certainement, avait commandé ceux qui chevauchaient les vers géants : « Silence ! »

C’était un cri de bataille et la foule tout entière, sur la plaza, se figea brusquement.

Le Prêcheur pointa un index desséché sur les deux mimes et nul n’aurait pu nier alors qu’il les voyait vraiment, en cette seconde.

« N’avez-vous pas entendu cet homme ? Blasphémateurs et idolâtres, tous autant que vous êtes ! La religion de Muad’Dib n’est pas Muad’Dib ! Il la rejette comme il vous rejette vous ! Le sable viendra couvrir ce lieu. Tout comme il viendra vous couvrir ! »

Sur cette phrase, il baissa les bras, posa la main sur l’épaule de son guide et lui ordonna : « Conduis-moi hors de cet endroit. »

Ce fut peut-être le choix particulier des mots : Il la rejette tout comme il vous rejette vous ! Peut-être le ton sur lequel ils furent prononcés, un ton qui transcendait l’humain, un ton formé sans doute par l’art Bene Gesserit qui permettait de commander par un jeu subtil des inflexions. Peut-être, aussi, l’atmosphère mystique de ce lieu où, autrefois, Muad’Dib avait vécu, foulé ce sol et régné. En tout cas, quelqu’un se fit entendre du plus lointain du palier, criant à l’adresse du Prêcheur qui s’éloignait, d’une voix vibrante d’émotion religieuse : « Muad’Dib est-il donc revenu parmi nous ? »

Le Prêcheur s’arrêta net, plongea une main sous sa bourka et ramena au jour un objet que seuls purent identifier ceux qui se trouvaient à proximité. Une main momifiée par le désert, un ironique présent de la planète que l’on découvrait parfois dans le sable et universellement considéré comme un message de Shai-Hulud. Celle-ci, à l’extrémité d’un poing serré et desséché, montrait un os blanc rongé par les crocs du sable.

« J’apporte la Main de Dieu et c’est tout ce que j’apporte ! cria le Prêcheur. Je parle pour la Main de Dieu. Je suis le Prêcheur ! »

Certains entendirent par là que cette main était celle de Muad’Dib. Mais d’autres n’entendirent que cette voix formidable et ne connurent plus que cette présence dominatrice, et ce fut là comment Arrakis apprit le nom du Prêcheur. Mais ce ne fut pas la dernière fois que sa voix se fit entendre.

9

On rapporte d’ordinaire, mon cher Georad, que l’expérience du Mélange est riche de grandes vertus naturelles. Pourtant, il subsiste en moi des doutes profonds quant à la nature vertueuse de chaque usage du Mélange. Il m’apparaît que certains, par défiance de Dieu, ont corrompu ces usages. Pour employer les termes de l’Œcumène, ils ont défiguré l’âme. Ils se satisfont d’écumer le Mélange en surface et croient ainsi atteindre à la grâce. Ils bafouent leurs amis, causant un grave tort à la déité et, en toute malice, ils déforment la signification de ce copieux présent, mutilation que tous les pouvoirs de l’homme ne sauraient réparer. Pour n’être vraiment qu’un avec la vertu de l’épice, sans corruption d’aucune sorte, investi d’honneur sans faille, un homme doit accorder ses faits et ses paroles. Lorsque vos actes dessinent une arborescence de conséquences néfastes, vous devez être jugé sur ces conséquences et non selon vos explications. C’est ainsi que nous devrions juger Muad’Dib.

L’Hérésie Pédante.

Il y avait une odeur piquante d’ozone dans la petite pièce plongée dans une pénombre grise au sein de laquelle on ne distinguait que la lueur sourde des brilleurs et l’éclat métallique bleu d’un écran de contrôle transvision. L’écran ne mesurait pas plus d’un mètre sur soixante centimètres. Il montrait pour l’instant un paysage désolé, une vallée rocailleuse, et deux tigres Laza qui se repaissaient des restes d’un récent carnage. Plus haut sur la pente, il y avait un homme. Il était maigre et portait la tenue d’exercice des Sardaukar. L’insigne à son col était celui de Levenbrech. Il avait un clavier de servo-contrôle sur la poitrine.