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Une femme aux cheveux clairs, d’âge indéterminé, était installée dans le siège vériforme à suspenseur, devant l’écran. Son visage avait la forme d’un cœur et ses mains fines étaient agrippées nerveusement aux accoudoirs. Une ample robe blanche à parements dorés estompait les lignes de son corps. L’homme qui se tenait sur sa droite, immobile, à moins d’un pas, était de stature massive. Ses cheveux étaient gris et ras au-dessus d’un visage carré, inexpressif. Son uniforme, bronze et or, était celui d’Aide-Bashar des Sardaukar de l’Imperium.

La femme toussota et remarqua : « Tout s’est déroulé comme vous l’aviez prévu, Tyekanik. »

« Assurément, Princesse », commenta l’Aide-Bashar d’une voix rauque.

Elle perçut sa tension et ajouta : « Dites-moi, Tyekanik, que dira mon fils en se retrouvant Empereur Farad’n Ier ? »

« Le titre lui convient, Princesse. »

« Ce n’est point ce que je vous demandais. »

« Il se pourrait qu’il n’approuve pas certaines démarches accomplies afin de lui gagner ce… ce titre. »

« Encore une fois… (Elle tourna la tête et ses yeux cherchèrent ceux du Sardaukar dans la pénombre.) Vous avez servi mon père avec honneur. Ce n’est pas par votre faute que les Atréides lui ont ravi son trône. Mais il n’en reste pas moins que cette perte a dû être aussi cruelle pour vous que pour n’importe quel…»

« La Princesse Wensicia a-t-elle une tâche particulière à m’assigner ? »

Si la voix restait rauque, le ton était plus tranchant.

« Vous avez la mauvaise habitude de m’interrompre, Tyekanik. »

Il sourit. Ses dents étaient bien plantées et elles brillaient dans la clarté de l’écran.

« Parfois, dit-il, vous me rappelez votre père. Toujours ces circonlocutions précédant l’annonce de quelque délicate… hmmm… mission ? »

Elle détourna le regard pour tenter de dissimuler sa fureur.

« Croyez-vous vraiment que les Lazas donneront ce trône à mon fils ? »

« C’est tout à fait possible, Princesse. Vous devez admettre que la progéniture bâtarde de Paul Atréides serait un morceau de choix pour eux. Une fois que nous en serons débarrassés…» Il haussa les épaules.

« Le petit-fils de Shaddam IV deviendra l’héritier logique du pouvoir, acheva la Princesse. Pour autant que nous puissions vaincre les objections des Fremen, du Landsraad et de la CHOM, sans compter les Atréides encore vivants qui pourraient…»

« Javid m’a assuré que ses gens pouvaient aisément neutraliser Alia. Je ne considère pas Dame Jessica comme une Atréide. Alors, qui reste-t-il ? »

« Certes, le Landsraad et la CHOM suivront le profit où qu’il aille, admit-elle, mais les Fremen ?…»

« Nous les noierons dans leur religion. »

« Ce qui est plus facile à dire qu’à faire, mon cher Tyekanik. »

« Ainsi, nous revenons à cette vieille discussion. »

« La maison de Corrino a fait bien pire pour conquérir le pouvoir. »

« Mais embrasser cette… cette religion de Mahdi !…»

« Mon fils vous respecte », dit la Princesse.

« Comme tous les Sardaukar qui se trouvent ici, sur Salusa, je n’espère qu’une chose : que la Maison de Corrino reprenne la place qui lui revient. Mais si vous…»

« Tyekanik ! Cette planète se nomme Salusa Secundus ! Ne tombez pas dans le piège des manières paresseuses qui se répandent dans notre Imperium. Donnez le nom complet, le titre intégral, veillez au moindre détail. Ce sont là des attributs qui renverront le sang des Atréides aux sables d’Arrakis. Le moindre détail, Tyekanik ! »

Il savait ce qu’elle tentait par cette offensive. Cela faisait partie des manœuvres rusées et changeantes qu’elle avait apprises de sa sœur Irulan. Mais il n’en perdait pas moins son assurance.

« Vous me comprenez, Tyekanik ? » demanda-t-elle.

« Je vous comprends, Princesse. »

« Je veux que vous vous convertissiez à la religion de Muad’Dib. »

« Princesse, je m’avancerais dans le feu pour vous, mais cela…»

« Cela est un ordre, Tyekanik ! »

La gorge nouée, il porta son regard vers l’écran. Les Lazas avaient fini de dévorer leur proie. Étendus sur le sable, maintenant, ils faisaient leur toilette. Leurs longues langues s’insinuaient avec aisance entre leurs griffes.

« J’ai dit : un ordre, Tyekanik. Est-ce bien compris ? »

« J’ai compris et j’obéis, Princesse », dit le Sardaukar, sans changer de ton.

La Princesse Wensicia soupira.

« Oh, si seulement mon père était encore vivant…»

« Oui, Princesse. »

« Ne raillez pas, Tyekanik ! Je sais la répugnance que vous éprouvez. Mais si vous donnez l’exemple…»

« Il pourrait ne pas le suivre, Princesse. »

« Il le suivra. »

Elle tendit le doigt vers l’écran.

« J’ai le sentiment que le Levenbrech pourrait poser un problème. »

« Un problème ? En quelle manière ? »

« Combien de gens connaissent cette histoire de tigres ? »

« Ce Levenbrech, qui est leur dresseur… Le pilote du transport stellaire, vous et… bien sûr…» Il porta la main à son torse.

« Et les acheteurs ? »

« Ils ne savent rien. Que craignez-vous donc ? »

« Mon fils est… disons intuitif. »

« Les Sardaukar savent garder les secrets. »

« Les morts également. »

Tendant la main, la Princesse appuya sur une touche rouge située sous l’écran. Immédiatement, les tigres Laza dressèrent la tête. Ils regardèrent en direction du Levenbrech. Puis, d’un seul élan, ils se ruèrent sur la pente. Calme tout d’abord, le Levenbrech se décida à déclencher une commande de son clavier de contrôle. Ses mouvements demeuraient encore assurés mais, comme les félins continuaient de se ruer sur lui, il fut saisi de frénésie et ses doigts se mirent à pianoter follement sur les touches. Une expression de stupéfaction apparut sur son visage et sa main se porta vers le manche du poignard passé dans sa ceinture. Trop tard. Une patte aux griffes acérées lui laboura la poitrine et l’envoya rouler sur le sol. Dans le même instant, le deuxième Laza referma ses crocs sur sa gorge et le secoua avec violence. Les vertèbres cédèrent.

« Le moindre détail compte », dit la Princesse. En se retournant, elle tressaillit. Tyekanik avait tiré son couteau, lui aussi. Mais c’était le manche qu’il lui présentait.

« Peut-être avez-vous besoin de mon arme pour un dernier détail », dit-il.

« Remettez ce poignard dans son étui et cessez de jouer à l’idiot ! Vraiment, Tyekanik, parfois vous me…»

« C’était un homme de valeur, Princesse. Un de mes meilleurs. »

« Un de mes meilleurs », le reprit-elle.

Il eut une inspiration profonde, vibrante, avant de rengainer son poignard.

« Et quant à mon pilote ? »

« Nous invoquerons un accident. Vous lui conseillerez de prendre les plus extrêmes précautions pour ramener les tigres. Bien entendu, lorsqu’il aura livré ces charmants animaux aux gens de Javid…» Elle regarda le poignard de Tyekanik.

« Est-ce également un ordre, Princesse ? »

« Exactement. »

« Devrai-je donc… tomber sur mon poignard ou bien veillerez-vous à ce petit… détail ? »

La voix de la Princesse se fit encore plus calme, plus froide. « Tyekanik, si je n’étais pas absolument convaincue que vous êtes prêt à tomber sur votre arme dans la seconde où je vous en donnerai l’ordre, vous ne seriez pas ici, à mes côtés, armé. »