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« Non, non…»

Ses mains pressaient ses tempes. La douleur fusa dans sa chair.

Une voix coassante de dément s’éleva. « Qu’est devenu Ovide ? Évident. C’est John Bartlett ibid ! »

Les noms n’avaient pas de sens dans l’état où elle se trouvait. Elle voulait hurler pour les repousser, pour faire taire toutes les autres voix, mais elle ne savait plus où était sa propre voix.

Sur l’ordre des maîtres-serviteurs, la femme de la garde était revenue sur la terrasse. Depuis la haie de mimosas, elle aperçut Alia étendue sur le banc et dit à une compagne : « Ahh, elle se repose. As-tu remarqué qu’elle n’avait pas dormi cette nuit ? Le zaha du matin lui fera du bien. »

Alia ne pouvait l’entendre. Des voix aiguës piaillaient en elle : « Nous sommes de vieux oiseaux moqueurs ! Hurrah ! » Les échos se heurtèrent dans sa tête et elle songea : Je perds l’esprit ! Je vais devenir folle !

Ses pieds esquissèrent quelques faibles mouvements. Si seulement, elle parvenait à retrouver l’usage de son corps, elle pourrait fuir. Il le fallait, sinon cette marée qui montait en elle l’emporterait dans le silence, contaminant son âme à tout jamais. Mais ses membres refusaient de lui obéir. Les forces colossales de l’univers impérial pouvaient se plier au moindre de ses caprices, mais son propre corps était sourd à ses ordres.

Elle perçut un rire profond, puis une voix de basse grondante : « D’un certain point de vue, mon enfant, chaque incident de la création représente une catastrophe. » À nouveau, ce rire qui semblait se moquer par avance du ton solennel de la voix. « Ma chère enfant, je t’aiderai, mais tu dois m’aider en retour. »

Claquant des dents, faiblement, par-dessus la clameur qui s’enflait, Alia voulut demander : « Qui… qui…»

Un visage se dessina à la surface de sa conscience. Un visage souriant et tellement adipeux qu’il aurait pu être celui d’un bébé, n’eût été la vivacité du regard. Alia tenta de le rejeter, mais elle ne réussit qu’à découvrir le corps auquel appartenait ce visage porcin, un corps énorme, bouffi, enveloppé dans une robe qui révélait, par quelques subtils renflements, que cet amas de graisse avait exigé le soutien de suspendeurs gravifiques.

« Tu vois, reprit la voix de basse, je suis ton grand-père maternel. Tu me connais. J’étais le Baron Vladimir Harkonnen. »

« Vous êtes… vous êtes mort ! »

« Mais bien sûr, ma chère ! La plupart de ceux qui sont là en toi sont morts. Mais aucun ne désire vraiment t’aider. Ils ne te comprennent pas. »

« Allez-vous-en ! supplia-t-elle. Je vous en prie !…»

« Mais tu as besoin d’aide, ma petite-fille ! » protesta le Baron.

Il semble si exceptionnel, pensa-t-elle, contemplant l’image du Baron derrière ses paupières closes.

« Moi, je veux t’aider, reprit-il. Ceux qui sont ici ne se battent que pour s’emparer de ta conscience. Chacun d’eux essaiera de te dominer totalement. Mais moi… je ne te demande qu’un petit coin. »

Une fois encore, la clameur des voix s’enfla. Une fois encore, la marée menaça de submerger Alia et elle entendit l’appel strident de sa mère. Elle n’est pas morte, se dit-elle.

« Silence ! » fit le Baron.

La volonté d’Alia vint renforcer cet ordre, se diffusant à toute sa conscience. Le silence revint alors comme une vague d’eau fraîche. Les martèlements de son cœur, peu à peu, retrouvèrent un rythme normal, redevinrent des battements.

Doucement, la voix du Baron demanda : « Tu vois ? Ensemble, nous sommes invincibles. Tu m’aideras et je t’aiderai. »

« Que… que voulez-vous ? »

Une expression songeuse apparut sur la face énorme du Baron.

« Ahh… ma petite-fille chérie… Je ne souhaite que quelques plaisirs très simples. Je veux seulement être en contact avec tes sens, parfois, pour un bref instant. Nul n’aura jamais à le savoir. Tu me donneras un tout petit peu de ta vie. Par exemple, lorsque tu seras entre les bras de ton amant. N’est-ce pas là un prix bien modeste ?

« Ou-oui », admit-elle.

« Bien, bien ! gloussa le Baron. En échange, petite-fille chérie, je puis te rendre service de bien des façons. Je peux t’offrir mes conseils, t’apporter l’aide de mon expérience. Tu seras invincible, tant extérieurement qu’intérieurement. Tu balaieras toute opposition. L’Histoire oubliera ton frère pour n’adorer que ton nom. L’avenir t’appartiendra. »

« Vous… empêcherez… les autres… de me dominer ? »

« Ils ne peuvent pas nous résister ! Isolés, nous risquons de perdre, mais, ensemble, nous tenons le pouvoir. Je puis te le prouver. Écoute. »

Et le Baron se tut. Il effaça son image, retira sa présence. Et nulle mémoire, nul visage, nulle voix étrangère ne se manifesta.

Alia eut un soupir tremblant.

Et ce soupir seul ouvrit la voie à une pensée qui pénétra sa conscience comme si elle en était une émanation. Derrière, pourtant, elle devina des voix qui se taisaient.

Le vieux Baron était mauvais. Il a tué ton père. Il a voulu vous tuer, toi et Paul. Il a essayé et a échoué.

La voix du Baron se fit entendre sans que son visage apparût : « Bien sûr que je t’aurais tuée. N’étais-tu pas un obstacle sur mon chemin ? Mais il n’y a plus de conflit. C’est toi qui as gagné, mon enfant. Tu es la vérité nouvelle. »

Elle acquiesça. Sa joue effleura la surface rude du banc. Les paroles du Baron étaient sensées. Un précepte Bene Gesserit venait à l’appui de ses arguments : « Le but d’un conflit est de changer la nature de la vérité. »

Oui, songea-t-elle, c’était ainsi que les Sœurs verraient cela.

« Exactement ! exulta le Baron. Et je suis mort tandis que tu es vivante. Je n’ai qu’une très fragile existence. Je ne suis qu’un support-mémoire réfugié en toi. Tu m’as en ton pouvoir, entièrement. Et je te demande si peu contre la valeur des avis que je puis te donner. »

« Que me conseillez-vous donc de faire, maintenant ? » demanda-t-elle.

« Tu t’inquiètes à propos du jugement que tu as rendu la nuit dernière. Tu te demandes si les propos de Paymon t’ont été rapportés sincèrement. Peut-être Javid a-t-il vu en Paymon une menace dirigée contre sa position ?… N’est-ce pas là le doute qui t’est venu ? »

« Ou-oui…»

« Et ce doute se fonde sur une observation minutieuse, n’est-ce pas ? Javid fait montre d’une attitude de plus en plus intime envers ta personne. Duncan lui-même n’a pas été sans remarquer cela, non ? »

« Vous le savez. »

« Très bien. En ce cas, fais de Javid ton amant et…»

« Non ! »

« Tu te soucies de Duncan ? Mais ton époux est un mystique-mentat. Les actes de la chair ne peuvent le toucher ni le blesser. N’as-tu jamais senti à quel point il est distant de toi ? »

« M-mais il est…»

« La part mentat de Duncan comprendrait cela, dût-il même connaître un jour le procédé que tu auras employé pour détruire Javid…»

« Le détruire…»

« Certainement ! On peut utiliser des outils dangereux, mais il faut les rejeter dès qu’ils deviennent trop dangereux. »

« Mais alors… Pourquoi devrais-je… Je veux dire…»

« Ahh… Charmante ignorante ! A cause de la valeur contenue dans la leçon. »

« Je ne comprends pas. »

« Les valeurs, ma chère petite-fille, ne sont acceptées qu’à raison de leur succès. L’obéissance de Javid doit être inconditionnelle, son acceptation de ton autorité absolue, et son…»