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Malgré les doutes qu’il ne pouvait s’empêcher d’éprouver, Farad’n fut impressionné. Il avait lu dans la voix de Tyekanik un accent à la fois sincère et douloureux, comme si le Sardaukar était en lutte contre des pressions internes.

« Et c’est pourquoi tu m’as amené ce… cet interprète des rêves ? »

« Oui, Mon Prince. Peut-être votre songe pénètre-t-il le Temps. Vous retrouvez la conscience de votre être intérieur lorsque vous reconnaissez l’univers comme un ensemble cohérent. Vos rêves… eh bien…»

« Mais je n’ai jamais parlé sérieusement de mes rêves, protesta Farad’n. Ils sont curieux pour moi, c’est tout. Je n’ai pas soupçonné une seule fois que tu…»

« Mon Prince, il n’est pas une chose que vous puissiez faire qui soit sans importance. »

« C’est très flatteur, Tyek, mais crois-tu vraiment que ton homme peut voir le cœur des grands mystères ? »

« Je le crois, Mon Prince. »

« Alors, contrarions ma mère. »

« Vous acceptez de le voir ? »

« Bien sûr – du moment que tu l’as amené ici pour contrarier ma mère. »

Est-ce qu’il se moque de moi ? se demanda Tyekanik.

« Je dois vous avertir. Le vieil homme porte un masque. C’est un appareil ixien qui permet aux non-voyants de voir par leur peau. »

« Il est aveugle ? »

« Oui, Mon Prince. »

« Sait-il qui je suis ? »

« Je le lui ai dit, Mon Prince. »

« Très bien. Allons le retrouver. »

« Si Mon Prince veut bien attendre ici un instant, je lui amènerai cet homme. »

Le regard de Farad’n se posa sur la fontaine et il sourit. Cet endroit convenait aussi bien que n’importe quel autre pour cette folie.

« Tu lui as parlé de mes rêves ? » demanda-t-il.

« Seulement en termes généraux, Mon Prince. Il vous demandera de lui en faire vous-même le récit. »

« Oh ! très bien. J’attends ici. Amène-moi ce personnage. »

Farad’n se retourna. Il entendit le pas pressé de Tyekanik qui s’éloignait. Ses yeux furent attirés par le chapeau brun d’un jardinier qui se montrait derrière une haie. Des cisailles brillaient au-dessus des feuilles selon un rythme hypnotique. »

Toute cette histoire de rêves est absurde, pensa-t-il. Tyek a eu tort de faire cela sans me consulter. Bizarre qu’il se convertisse à cette religion à son âge ! Et maintenant, ces rêves…

Il entendit des pas. Celui de Tyek, d’abord, le pas net qui lui était familier, et un autre, plus traînant. Il se retourna et son regard se posa sur l’interprète des rêves. Le masque ixien était noir, fait d’une sorte de gaze. Il couvrait tout le visage, du front jusqu’à la pointe du menton. Il ne comportait pas de fentes pour les yeux. Pour celui qui croyait aux prouesses ixiennes, le masque était un œil unique et énorme.

Tyekanik s’arrêta à deux pas de Farad’n, mais le vieil homme s’approcha plus près encore.

« L’interprète des rêves », dit Tyekanik.

Farad’n hocha la tête.

Le vieil homme masqué eut un toussotement rauque et profond qui semblait venir de ses entrailles.

Farad’n reconnut le parfum aigre de l’épice. Il émanait de l’ample robe grise qui couvrait l’homme.

« Ce masque fait-il partie de ta chair ? » demanda-t-il, conscient, dans la même seconde, qu’il essayait d’éviter de parler immédiatement des rêves.

« Aussi longtemps que je le porte, dit le vieil homme. Et il y avait un rien d’amertume dans sa voix, de même qu’une trace d’accent Fremen. Parlez-moi de votre rêve. »

Farad’n haussa les épaules. Pourquoi pas ? C’était bien pour ça que Tyekanik avait amené le vieil homme. Ou sinon ?… Le doute assaillit soudain Farad’n. Il demanda : « Pratiques-tu vraiment l’oniromancie ? »

« Je suis venu interpréter votre rêve, puissant Seigneur. »

A nouveau, le Prince haussa les épaules. Ce personnage masqué le rendait nerveux. Il regarda dans la direction de Tyekanik, qui demeurait impassible, les bras croisés, les yeux fixés sur la fontaine aux roses.

« Votre rêve », insista le vieil homme.

Farad’n inspira profondément et entreprit son récit. Peu à peu, les mots lui vinrent plus aisément. Il parla de l’eau qui, dans le puits, coulait vers le haut, des mondes qui étaient autant d’atomes qui dansaient dans sa tête, du serpent qui se changeait en ver des sables pour finir en un nuage de poussière. Il fut surpris de s’apercevoir qu’il avait quelque difficulté à évoquer le serpent. Quelque chose en lui s’y opposait et il en conçut de la colère tandis qu’il parlait.

Le vieil homme demeura silencieux et impassible jusqu’à l’instant où Farad’n se tut. Son souffle animait doucement, régulièrement, le masque de gaze noire.

Comme le silence s’établissait et persistait, Farad’n demanda :

« Vous n’allez pas interpréter mon rêve ? »

« Je l’ai interprété. » La voix du vieil homme semblait venir d’une distance énorme.

« Et alors ? »

Il y avait un ton grinçant dans la voix de Farad’n, et il prit conscience de la tension créée par le récit de son rêve.

Le vieil homme demeurait silencieux.

« Dis-moi ! » Maintenant, il y avait de la colère dans le ton du Prince.

« J’ai dit que j’interpréterais votre rêve, mais je n’ai pas dit que je vous ferais part de mon interprétation. »

Tyekanik lui-même réagit à ces mots. Il laissa tomber ses bras et serra les poings et il grommela : « Comment ? »

« Je n’ai pas dit que je révélerais mon interprétation », répéta le vieil homme.

« Tu désires plus d’argent ? » demanda Farad’n.

« Je n’en ai pas demandé pour être conduit ici. »

Il y avait une fierté glacée dans cette réponse et la colère de Farad’n s’adoucit. Ce vieil homme était courageux, quoi qu’il en fût. Il devait savoir que la désobéissance pouvait entraîner la mort.

« Permettez-moi, Mon Prince, intervint Tyekanik, voyant que Farad’n allait reprendre la parole. Puis, se tournant vers le vieil homme : « Veux-tu nous dire pourquoi tu refuses de nous révéler ton interprétation ? »

« Oui, Mes Seigneurs. Le rêve me dit qu’il serait vain d’expliquer de telles choses. »

Farad’n ne put se contenir plus longtemps.

« Veux-tu dire que je connais déjà la signification de mon rêve ? »

« Peut-être, Mon Seigneur, mais tel n’est pas mon propos. »

Tyekanik s’avança pour se retrouver au côté de Farad’n. Ensemble, ils regardèrent le vieil homme.

« Explique-toi », dit le Sardaukar.

« Sur l’heure », ajouta Farad’n.

« Si je devais parler de ce rêve, explorer cette eau, cette poussière, ces serpents et ces vers, analyser ces atomes qui dansent dans votre tête comme dans la mienne… Ah ! Puissant Seigneur, mes mots ne pourraient que vous troubler et vous prétendriez que je n’ai pas compris ! »

« Crains-tu que tes paroles ne provoquent ma colère ? » demanda Farad’n.

« Mon Seigneur ! vous êtes déjà en colère ! »

« Ne nous fais-tu pas confiance ? » demanda Tyekanik.

« C’est presque cela, Mon Seigneur. Je ne vous fais nulle confiance, à l’un comme à l’autre, pour la simple raison que vous n’avez nulle confiance en vous-mêmes. »

« Tu t’approches dangereusement du bord, dit Tyekanik. Des hommes ont été exécutés pour s’être montrés moins retors que toi. »