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« Les fauves les ont repérés. »

« Nous les voyons », dit une voix dans les récepteurs implantés derrière ses oreilles.

« Maintenant ? » demanda le Levenbrech.

« Attaqueraient-ils sans en avoir reçu l’ordre ? »

« Ils sont prêts. »

« Très bien. Voyons donc si ces quatre séances auront suffi. »

« Dites-moi lorsque vous serez prêts. »

« Quand vous voudrez. »

« Alors, allons-y », dit le Levenbrech.

Il libéra tout d’abord une barre qui protégeait une touche rouge, à droite du clavier, sur laquelle il appuya. Les deux tigres, désormais, étaient libérés de leur laisse électronique. Néanmoins, le Levenbrech garda un doigt près de la touche noire, juste à côté de la rouge. Il lui suffirait de l’enfoncer pour arrêter net les fauves si jamais ils venaient à l’attaquer. Mais ils ne lui prêtèrent pas attention. Pour l’instant, ramassés sur eux-mêmes, ils venaient d’entamer leur progression en direction des enfants. Leurs énormes pattes effleuraient à peine le sable.

Rassuré, le Levenbrech s’assit pour les observer. Il n’était pas sans savoir que, quelque part, dissimulé, un transœil captait la scène pour quelque surveillant installé dans le Donjon de son Prince.

Tout à coup, les tigres progressèrent par bonds et se ruèrent à l’attaque.

Les enfants, tout occupés à leur escalade, n’avaient pas conscience du danger. L’un d’eux émit un rire aigu qui laissa dans l’air glacé des échos cristallins. L’autre, à la même seconde, perdit l’équilibre, se rétablit de justesse et, se retournant, aperçut les fauves. Il tendit la main : « Regarde ! »

Ils étaient encore ainsi, tournant la tête, étonnés, lorsque les deux Lazas bondirent. Ils moururent dans l’instant, sans drame, le cou brisé, et chacun des fauves entama son repas.

« Faut-il les rappeler ? » demanda le Levenbrech.

« Laissez-les finir. Ils ont bien travaillé. J’en étais certain : ils sont absolument superbes. »

« Ce sont les meilleurs que je connaisse », dit le Levenbrech.

« Oui, ils sont vraiment excellents. Nous vous envoyons un véhicule. A présent, nous devons décrocher. »

Tout en s’étirant, le Levenbrech se redressa. Il évitait soigneusement de regarder sur sa gauche, vers le haut, là où il avait repéré un reflet qui trahissait la présence du transœil qui avait transmis son exploit au Bashar installé là-bas, dans les vertes étendues du Capitol. Il eut un sourire. Ce beau travail lui vaudrait une promotion. C’était presque comme s’il sentait le nouvel insigne à son cou, celui de Bator. Plus tard, il serait Burseg, et, un jour, peut-être, Bashar à son tour. Ceux qui servaient avec talent et loyauté dans le corps de Farad’n, le petit-fils de feu Shaddam IV, en étaient récompensés par des promotions généreuses. Plus tard encore, lorsque son Prince aurait pris la place qui lui revenait sur le trône, il y aurait des promotions plus importantes encore. Il pouvait espérer être plus qu’un Bashar : tant de Comtés et de Baronnies seraient disponibles sur les mondes innombrables de ce royaume… lorsque les jumeaux Atréides en auraient été bannis.

5

Le Fremen se doit de retrouver sa foi ancienne, son ancien génie de former des communautés humaines. Il doit retrouver son passé et cette leçon de survie qu’il a apprise en luttant pour Arrakis. Le seul souci d’un Fremen devrait être d’ouvrir son âme aux enseignements intérieurs. Il n’y a nul message pour lui qui puisse venir des mondes de l’Imperium, du Landsraad, de la CHOM. Ceux-là ne sauraient que lui dérober son âme.

Le Prêcheur en Arrakeen.

Le transport spatial craquait et gémissait après sa traversée brûlante de l’atmosphère et, tout autour de Dame Jessica, aussi loin que pouvait porter son regard, un océan humain venait déferler sur l’étendue désertique. Un demi-million d’êtres, songea-t-elle, dont seulement moins d’un tiers de pèlerins, sans doute. Tous observaient un silence impressionnant, tous les regards étaient rivés sur la plate-forme de la nef. Dame Jessica et sa suite étaient encore invisibles dans l’ombre du panneau de débarquement.

Dans deux heures, le soleil serait au zénith mais déjà le ciel, au-dessus de la multitude, avait cette scintillance brumeuse qui annonçait un jour torride.

Jessica porta la main à ses cheveux de cuivre entretissés d’argent qui soulignaient l’ovale de son visage. Elle s’abritait sous le capuchon aba de Révérende Mère. Elle n’aimait guère le noir et n’ignorait pas que la fatigue du long voyage devait se lire sur ses traits. Mais la circonstance exigeait qu’elle fût ainsi vêtue. Les Fremen comprendraient le sens de l’aba. Elle eut un soupir. Les voyages spatiaux ne lui convenaient guère.

Au cours de celui-ci, elle avait pu sentir le poids écrasant des souvenirs, de cet autre voyage de Caladan vers Arrakis en compagnie de son Duc, lorsqu’il avait été contraint de prendre possession de ce fief, contre le sentiment de sa raison.

Lentement, son regard parcourut l’étendue humaine en quête de l’infime détail qui ne pouvait échapper à ses sens de Bene Gesserit. Des capuches de distille du même gris terne : les Fremen du désert profond. Des robes blanches portant les marques de pénitence aux épaules : des pèlerins. Et, ça et là, des îlots de riches marchands, tête nue et légèrement vêtus pour bien marquer leur dédain de l’économie d’eau. Et puis, aussi… une délégation de la Société des Fidèles, robes vertes, capuchons lourds, isolés, enfermés dans leur sainteté.

Le regard de Jessica monta vers le ciel et, à cet instant seulement, elle retrouva l’atmosphère d’autrefois, du jour lointain où elle était arrivée sur Arrakis avec son Duc bien-aimé. Il y avait de cela combien de temps ? Plus de vingt années ! Tant de battements de cœur… Cette idée l’emplissait d’effroi. En elle, le temps était une chose morte, un poids d’absence, comme si toutes ces années passées loin de ce monde ne pouvaient avoir rang d’existence réelle.

Une fois encore, me revoici dans la gueule du dragon, songea-t-elle. Ici même, dans cette plaine, son fils avait vaincu l’empereur Shaddam IV. Ces lieux avaient connu une convulsion historique dont l’empreinte sur l’esprit et les croyances des hommes n’étaient pas près de s’effacer.

Derrière elle, Jessica devina les murmures nerveux des gens de sa suite et, pour la seconde fois, elle émit un soupir. Ils attendaient tous Alia qui, pour quelque raison inconnue, avait été retardée. Mais la suite d’Alia approchait, là-bas, créant une espèce de vague à mesure que les Gardes Royaux ouvraient un chemin au sein de la foule.

Une fois encore, le regard de Jessica balaya la scène. Déjà, elle avait remarqué bien des différences. Un balcon de prière avait été ajouté à la tour de contrôle. Là-bas, sur la gauche, loin dans la plaine, se dressait l’amas terrifiant de plastacier qui avait été le bastion de Paul, sa « forteresse au-dessus des sables ». La plus gigantesque construction jamais conçue par un cerveau humain, qui aurait pu aisément contenir des cités entières et qui, pour l’heure, abritait le plus puissant gouvernement de l’Imperium, la Société des Fidèles qu’Alia avait construite sur le corps de son frère.

Il faut balayer ça, se dit Jessica.

A présent, la délégation d’Alia, qui avait atteint le bas de la rampe, attendait. Jessica reconnut le visage parcheminé de Stilgar ! Et… oui, plaise à Dieu ! C’était bien la Princesse Irulan, là-bas, son corps si séduisant, le casque d’or de ses cheveux à peine soulevés par la brise dissimulant parfaitement sa férocité. Irulan, qui semblait ne pas avoir vieilli d’un jour ! Quel affront ! Et là, à l’extrême pointe du triangle… Alia. Ses yeux étaient fixés sur la plate-forme noyée dans l’ombre, et Jessica, sondant le moindre trait du visage de sa fille, si impudent par sa jeunesse, fut soudain gagnée par un sentiment oppressant. Et le ressac de son existence revint tonner à ses oreilles. Non, les rumeurs n’avaient pas menti ! Horrible ! Horrible ! Alia était partie sur la voie interdite. N’importe quelle initiée aurait lu cela sur son visage. Une Abomination !