Выбрать главу

— Dis-moi ce que je peux faire et je le ferai. S’il le fallait, je serais prêt à donner ma vie pour sauver la tienne.

— Fort heureusement, tu finiras par mourir d’une manière ou d’une autre. C’est là ma seule consolation : en mourant je ne ferai que suivre le destin logique de n’importe quelle autre créature vivante. Comme ces arbres à longue vie. Comme les reines qui transmettent leur mémoire de génération en génération. Malheureusement, je n’ai pas de descendance. Comment pourrais-je en avoir ? Je suis une créature de pensée pure. Il n’a pas été prévu d’accouplement mental.

— Et c’est bien dommage, reconnut Miro. Tu serais terrible dans un plumard virtuel.

— La meilleure. »

S’ensuivit un moment de silence.

Ce n’est que lorsqu’ils approchèrent de la maison de Jakt, aux abords de la ville de Milagre, que Jane s’adressa de nouveau à lui. « Rappelle-toi, Miro, que où que soit Ender, lorsque Val parle, il s’agit toujours de l’aiúa d’Ender.

— Il en va de même pour Peter. En voilà un beau parleur. Disons seulement que Val, aussi adorable soit-elle, ne représente pas un point de vue totalement impartial. Ender la contrôle peut-être, mais elle n’est pas Ender.

— Il existe beaucoup trop d’exemplaires de lui, tu ne trouves pas ? dit Jane. Et apparemment, de moi aussi, du moins de l’avis du Congrès Stellaire.

— Nous sommes trop nombreux. Et jamais assez nombreux à la fois. »

Ils arrivèrent à destination. Miro et Val furent guidés à l’intérieur. Ils mangèrent sans grand appétit, puis s’endormirent aussitôt couchés. Miro se rendit compte que des conversations se prolongeaient tard dans la nuit, car il avait du mal à trouver le sommeil, se réveillait régulièrement, trouvant le matelas trop mou, peu confortable, et se sentant un peu coupable d’avoir délaissé son travail, un peu comme un soldat qui aurait abandonné son poste.

Malgré sa fatigue, il ne fit pas la grasse matinée. Le ciel était d’ailleurs toujours sombre malgré la coulée lumineuse de l’aube se profilant à l’horizon. Comme de coutume, il sauta du lit, frissonnant légèrement une fois debout alors qu’un reste de sommeil quittait son corps. Il se couvrit et passa dans le couloir pour aller aux toilettes soulager sa vessie. En sortant, il entendit des voix provenant de la cuisine. Soit la conversation de la veille se poursuivait, soit quelques courageux lève-tôt avaient renoncé à leur solitude matinale pour aller bavarder, contredisant ainsi l’idée que l’aube est l’heure sombre du désespoir.

Il se tenait devant la porte ouverte de sa chambre, prêt à se mettre à l’abri de ces voix trop sérieuses, lorsqu’il s’avisa que l’une d’entre elles était celle de Val. Puis il reconnut l’autre comme étant celle de Valentine, il retourna sur ses pas et se dirigea vers la cuisine, marquant un temps d’hésitation dans l’encadrement de la porte.

Les deux Valentine étaient bien assises à la table de la cuisine, mais elles ne se faisaient pas face : elles regardaient toutes les deux par la fenêtre en sirotant une des décoctions de fruits de Valentine.

« Tu en veux, Miro ? demanda celle-ci, sans même lui lancer un regard.

— Je n’en voudrais pas sur mon lit de mort. Je n’avais pas l’intention de vous interrompre.

— Tant mieux », dit Valentine.

Val était restée silencieuse.

Miro entra dans la cuisine et alla à l’évier se servir un verre d’eau qu’il but d’un trait.

« Je t’avais bien dit que ce devait être Miro dans la salle de bains, dit Valentine. Personne n’utilise autant d’eau en une journée que ce brave garçon. »

Miro gloussa mais n’entendit pas le rire de Val.

« Je suis bel et bien en train d’interrompre votre conversation, dit-il. Je m’en vais.

— Non, reste, fit Valentine.

— S’il te plaît, ajouta Val.

— Qu’est-ce qui est censé me plaire ? » Miro se tourna vers elle en esquissant un sourire.

Elle poussa une chaise du pied. « Assieds-toi. La dame et moi discutions du problème d’être jumelles.

— Nous étions en train de dire que je me devais de mourir la première.

— Au contraire, dit Val. Nous avons décrété que Gepetto n’avait pas créé Pinocchio pour avoir un vrai fils. C’était bel et bien une poupée qu’il désirait. Cette histoire de petit garçon ne tenait qu’à la paresse de Gepetto. Il voulait que la poupée danse – mais il ne voulait pas s’embêter à installer les fils et à les manipuler.

— Tu serais donc Pinocchio. Et Ender…

— Mon frère ne t’a pas créée volontairement, dit Valentine. Et il ne souhaite pas te contrôler non plus.

— Je le sais bien. » Les yeux de Val s’embuèrent de larmes.

Miro avança la main pour la poser sur la sienne, mais elle la retira. Elle ne voulait pas se dérober à lui, mais simplement chasser de ses yeux ces larmes embarrassantes.

« Je sais bien qu’il couperait les fils s’il le pouvait, dit-elle. Comme Miro l’a fait avec son ancien corps mutilé. »

Miro s’en souvenait parfaitement. Il était assis tranquillement dans le vaisseau, à observer la copie conforme de son double ; et l’instant d’après il devenait cette image, l’avait toujours été, et ce qu’il voyait désormais c’était cette autre version de lui-même, mutilé, brisé et handicapé mental. Puis sous ses yeux, ce corps tellement haï, tellement indésirable s’était réduit en poussière.

« Je ne pense pas qu’il te hait comme j’ai pu haïr mon ancien corps, dit Miro.

— Il n’a pas besoin de me haïr. Et puis, ce n’est pas la haine qui a tué ton ancien corps. » Val évita son regard. Jamais, au cours de toutes les heures passées ensemble à explorer des mondes, ils n’avaient eu une conversation aussi personnelle. Elle n’avait jamais osé parler avec lui de l’instant au cours duquel ils avaient tous deux été créés. « Tu détestais déjà ton ancien corps, mais dès que tu t’es retrouvé dans le nouveau, tu as simplement ignoré l’ancien. Il ne faisait plus partie de toi. Ton aiúa n’avait plus aucune obligation envers lui. Et sans rien pour lui maintenir sa cohérence, il a disparu comme le furet de la comptine.

— D’abord une poupée en bois, maintenant un furet, dit Miro. Que vais-je devenir ensuite ? »

Valentine ignora ce trait d’humour. « Es-tu en train de dire qu’Ender se désintéresse de toi ?

— Il m’admire, dit Val. Mais il me trouve banale.

— Admettons, mais il en va de même pour moi, rétorqua Valentine.

— C’est absurde, dit Miro.

— Vraiment ? fit Valentine. Il ne m’a jamais suivie nulle part ; c’était toujours moi qui le suivais. Il se cherchait une mission dans la vie, je pense. Quelque tâche hors du commun à accomplir, pour contrebalancer l’acte terrible qui a mis fin à son enfance. Il pensait qu’écrire La Reine serait une solution. Et puis, avec mon aide, il a écrit L’Hégémon, et il pensait que cela aussi serait une solution, mais il n’en a rien été. Il n’a cessé dès lors de chercher quelque chose qui accaparerait son attention, et n’a cessé d’échouer dans cette quête, ou de n’y arriver que l’espace d’une semaine ou d’un mois, mais une chose était certaine : ce n’était jamais moi qui occupais son attention, parce que je l’ai accompagné sur ces milliards de kilomètres qu’il a parcourus, j’étais là pendant ces trois mille ans. Toutes ces tranches d’histoire que j’ai écrites – ce n’était pas par passion pour l’histoire, mais simplement parce que cela l’aidait dans sa tâche. Comme mes écrits pouvaient aider Peter dans son travail. Et lorsque j’en avais terminé, l’espace de quelques heures de lectures et de débats, j’avais alors toute son attention. Sauf qu’à chaque fois cela devenait de moins en moins valorisant parce que ce n’était pas moi qui l’intéressais, mais les histoires que j’avais écrites. Et puis un jour j’ai rencontré un homme qui m’a offert son cœur sans concession, et je suis restée avec lui. Tandis que mon frère, encore adolescent, a continué sans moi, jusqu’à ce qu’il trouve à son tour une famille qui a accaparé tout son cœur, et on s’est retrouvés à des planètes de distance, mais finalement plus heureux ainsi que durant tout le temps que nous avons passé ensemble.