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— L’homme que Jane nous conseille de rencontrer est un philosophe.

— Comme moi ? dit Wang-mu, déjà prise par son nouveau rôle.

— C’est justement de cela que nous devons discuter. Il y a deux types de philosophes sur Vent Divin. Aimaina Hikari, l’homme que nous allons rencontrer, est un philosophe analytique. Vous n’avez pas l’éducation nécessaire pour le suivre sur ce terrain. Vous faites donc partie de la deuxième catégorie. Gnomique et mantique. Il s’agit de lancer des remarques piquantes qui laissent les autres pantois devant leur apparente incohérence.

— Est-il indispensable que mes prétendus mots d’esprit aient l’air simplement incohérents ?

— Vous n’aurez même pas à vous soucier de cela. Les philosophes gnomiques ont besoin des autres pour relier leurs incohérences avec le monde réel. C’est pour cela que c’est à la portée du premier imbécile venu. »

Wang-mu sentit la colère monter en elle comme le mercure d’un thermomètre. « C’est gentil de m’avoir trouvé cette occupation.

— Ne le prenez pas mal, dit Peter. Jane et moi devions trouver un rôle plausible pour que personne s’aperçoive que vous n’êtes en réalité qu’une autochtone inculte de La Voie. Il faut savoir qu’aucun enfant de Vent Divin ne grandit dans la même ignorance crasse que la classe ouvrière de La Voie. »

Wang-mu ne souhaitait pas poursuivre le débat. À quoi bon ? Si elle devait, lors d’une dispute, affirmer : « Mais si, je suis intelligente ! Je connais beaucoup de choses ! », autant s’arrêter de discuter. Ce qui lui sembla d’ailleurs être exactement le genre de phrase gnomique dont parlait Peter. Elle lui fit part de sa réflexion.

« Non, non, je ne parlais pas d’épigrammes, dit Peter. Trop analytiques. Je parlais de choses vraiment étranges. Par exemple vous auriez pu dire : « Le pivert s’attaque à l’arbre pour avoir l’insecte », et j’aurais dû alors essayer de trouver le rapport avec notre situation présente. Suis-je le pivert ? L’arbre ? L’insecte ? C’est là tout l’intérêt de la chose.

— Il me semble que vous venez de prouver que vous êtes le plus gnomique de nous deux. »

Peter roula des yeux et se dirigea vers la porte.

« Peter », dit-elle, sans bouger.

Il se retourna pour lui faire face.

« Ne serais-je pas plus utile si je savais qui est cet homme, et pourquoi nous devons le rencontrer ? »

Peter haussa les épaules. « Je suppose que oui. Bien que nous sachions qu’Aimaina Hikari ne fait pas partie de ceux que nous recherchons.

— Mais alors qui cherchons-nous ?

— Nous cherchons le centre du pouvoir des Cent Planètes.

— Alors pourquoi sommes-nous ici et non au Congrès Stellaire ?

— Le Congrès Stellaire n’est qu’une farce. Et ses délégués des acteurs. Le scénario s’écrit ailleurs.

— Ici.

— Le groupe du Congrès qui contrôle la Flotte lusitanienne n’est pas celui qui prône la guerre. Ce groupe-là trouve tout cela follement amusant, bien évidemment, puisqu’ils pensent toujours pouvoir mater une insurrection par la manière forte et ainsi de suite… Mais ils n’auraient jamais pu avoir les votes nécessaires pour envoyer la flotte sans un groupe de pression fortement influencé par une école philosophique de Vent Divin.

— Dont Aimaina Hikari est le chef ?

— C’est un peu plus subtil que ça. C’est en réalité un philosophe solitaire hors de tout courant philosophique. Mais il représente en quelque sorte une forme pure de pensée japonaise qui en fait une référence chez les philosophes ayant une influence sur le groupe de pression au Congrès.

— Combien de dominos pensez-vous pouvoir aligner pour qu’ils tombent ainsi les uns sur les autres ?

— Ce n’est pas assez gnomique. Encore un peu trop analytique.

— Je ne suis pas dans mon rôle, Peter. De quel genre d’idée issue de ce courant philosophique le groupe de pression s’inspire-t-il ? »

Peter lâcha un soupir puis s’assit – sur une chaise, bien sûr. Wang-mu en fit autant sur le sol en réfléchissant : voilà comment un Européen aime se voir, une tête au-dessus des autres, donnant des leçons à la femme orientale. Mais pour moi, il s’est éloigné des choses de la terre. Je vais écouter ce qu’il a à dire, tout en sachant que c’est à moi de donner vie à ses paroles.

« Le groupe de pression n’utiliserait jamais une telle puissance contre ce qui ressemble finalement à une dispute mineure au sein d’une petite colonie. Le véritable problème, comme vous le savez, c’est que deux xénobiologistes, Miro Ribeira et Ouanda Mucumbi, ont été surpris à inculquer des notions d’agriculture aux pequeninos de Lusitania. Ce qui constituait une ingérence culturelle. Ils ont donc été rappelés pour être jugés. Bien sûr, avec les anciens vaisseaux voyageant à vitesse luminique relative, ramener une personne d’une planète signifiait qu’à son retour, si retour il y avait, tous ceux qu’elle connaissait seraient des vieillards ou seraient morts. Il s’agissait donc d’un traitement plutôt radical qui, finalement, avait tout du procès hâtif. Le Congrès s’attendait sans doute à des signes de protestation de la part du gouvernement lusitanien, mais la réaction de celui-ci a été une méfiance totale et une coupure des communications ansibles. Les gros bras du Congrès ont immédiatement décidé d’envoyer un simple transport de troupes pour aller prendre le pouvoir sur Lusitania. Mais ils n’ont pas eu les votes suffisants, jusqu’à ce que…

— Jusqu’à ce qu’ils brandissent le spectre du virus de la descolada.

— Exactement. Le groupe farouchement opposé à l’usage de la force a utilisé le virus descolada comme argument contre l’envoi de troupes – puisque à cette époque toute personne contaminée par le virus devait rester sur Lusitania et prendre indéfiniment un inhibiteur empêchant la descolada de détruire son corps de l’intérieur. C’était la première fois que l’on prenait conscience du danger que représentait le virus. Le groupe de pression s’est fait connaître ; il était constitué de tous ceux qui étaient effarés qu’aucune quarantaine n’ait été déclarée plus tôt sur Lusitania. Qu’y avait-il de plus dangereux qu’un virus, en partie intelligent, dans les mains de rebelles ? Ce groupe était principalement constitué de délégués fortement influencés par l’école Nécessarienne de Vent Divin. »

Wang-mu acquiesça. « Et quels sont les enseignements des Nécessariens ?

— Vivre en paix et en harmonie avec son environnement, sans rien déranger, en supportant patiemment les soucis, graves ou non. Cependant, lorsqu’il y a menace et qu’il s’agit d’une question de survie, on se doit d’agir avec une efficacité brutale. La maxime est : « Agir seulement quand cela est nécessaire, et avec le maximum de puissance et de rapidité. » Ainsi, lorsque les militaires ont réclamé des transports de troupes, les délégués sous l’influence du courant de pensée Nécessarienne ont insisté pour que l’on envoie une flotte armée du Dispositif DM pouvant réduire à néant la menace de la descolada. Il y a finalement une sorte d’ironie subtile dans tout cela, vous ne trouvez pas ?

— Non, pas vraiment.

— Et pourtant tout cadre parfaitement. Ender Wiggin a utilisé le Petit Docteur pour détruire la planète des doryphores. Maintenant ils sont sur le point de l’utiliser pour la seconde fois dans leur histoire – contre la planète sur laquelle Ender Wiggin lui-même vit ! C’est ici que ça se complique. Le premier philosophe Nécessarien, Ooka, a vu en Ender la parfaite illustration de ses idées. Tant que les doryphores représentaient une menace sérieuse pour l’humanité, la seule réponse possible était l’éradication de la race tout entière. On ne pouvait se contenter de demi-mesures. Évidemment, il s’est avéré au bout du compte que les doryphores ne représentaient pas réellement une menace, ainsi que l’a écrit Ender un peu plus tard dans La Reine, mais Ooka a justifié cette erreur en faisant valoir que la vérité n’était pas connue lorsque ses supérieurs ont utilisé Ender contre l’ennemi. Ooka avait dit : « Ne jamais échanger de coups avec l’adversaire. » Son idée était de ne jamais frapper qui que ce soit, mais si cela devenait nécessaire, il fallait le faire une bonne fois pour toutes, en usant d’une violence telle que l’ennemi ne puisse être en état de répondre.