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Wang-mu se demanda si Peter s’était rendu compte qu’elle venait d’être la victime de l’ironie très orientale d’Hikari.

« Nous venons recevoir votre enseignement, dit Peter.

— Dans ce cas je vous donnerai à manger, mais vous laisserai repartir très déçus, dit Hikari. Car je n’ai rien à enseigner à un scientifique ou à une philosophe. Si je n’avais pas d’enfants, je n’aurais personne à qui enseigner, car ce sont les seuls à en savoir moins que moi.

— Non, protesta Peter. Vous êtes un homme d’une grande sagesse. Le gardien de l’esprit Yamato.

— J’ai dit que c’était ainsi que l’on m’appelait. Mais l’esprit Yamato est bien trop grand pour une âme aussi petite que la mienne. Et pourtant, il est en même temps trop insignifiant pour être remarqué par les puissantes âmes des Chinois et des Européens. Vous êtes les maîtres, tout comme la Chine et l’Europe ont toujours été les maîtres du Japon. »

Wang-mu ne connaissait pas encore très bien Peter, mais suffisamment pour constater qu’il était fébrile, incapable de poursuivre. Au cours de sa vie et de ses pérégrinations, Ender avait vécu au sein de différentes cultures orientales et, si l’on en croyait Han Fei-Tzu, il parlait aussi le coréen, ce qui impliquait qu’il n’aurait sans doute eu aucun mal à faire face à l’humilité théâtrale d’un homme comme Hikari – en particulier lorsqu’il utilisait de toute évidence cette humilité pour se moquer des autres. Mais il y avait une grande différence entre ce qu’Ender savait et ce qu’il avait transmis à Peter. C’était désormais à elle de mener la conversation, et elle comprit que la meilleure façon de jouer avec Hikari était de ne pas le laisser diriger le jeu.

« Très bien, fit-elle. C’est donc à nous de vous enseigner quelque chose. Ainsi, lorsque nous vous démontrerons l’étendue de notre ignorance, vous pourrez nous dire dans quel domaine votre sagesse peut nous éclairer. »

Hikari fixa Peter l’espace de quelques instants. Puis il frappa dans ses mains. Une servante apparut dans l’encadrement de la porte.

« Le thé », lança Hikari.

Wang-mu se leva aussitôt. Ce ne fut qu’une fois debout qu’elle se rendit compte de ce qu’elle s’apprêtait à faire. Cet ordre formel d’apporter le thé lui rappelait ceux qu’elle avait reçus à de nombreuses reprises dans sa vie, mais ce n’était pas un réflexe conditionné qui l’avait poussée à se lever. Plutôt une intuition lui disant que le seul moyen de battre Hikari à son propre jeu était de le mettre au pied du mur : elle allait faire preuve d’une plus grande humilité que lui.

« J’ai été servante toute ma vie, dit-elle en toute franchise. Mais j’étais plutôt maladroite dans cette fonction. » Ce qui était un peu moins vrai. « Puis-je accompagner votre servante pour qu’elle m’enseigne quelque chose ? Je n’ai sans doute pas la sagesse nécessaire pour bénéficier des pensées d’un grand philosophe, mais peut-être pourrai-je apprendre ce qui est à ma portée de la part d’une servante digne de servir le thé à Aimaina Hikari. »

La seconde d’hésitation que marqua Hikari lui apprit que celui-ci était conscient d’avoir été contré. Mais l’homme était subtil. Il se leva à son tour. « Vous venez déjà de m’enseigner une grande leçon, dit-il. Nous allons tous voir Kenji préparer le thé. Si elle doit être votre maîtresse dans ce domaine, Si Wang-mu, elle doit aussi être la mienne. Car comment pourrais-je accepter l’idée que l’on puisse enseigner chez moi quelque chose que j’ignorerais ? »

Wang-mu ne pouvait qu’être admirative devant tant de ressources. Il s’était encore une fois montré le plus humble.

Pauvre Kenji ! La servante était habile et compétente, mais ainsi que Wang-mu put s’en rendre compte, le fait que trois personnes, dont son maître, la regardent préparer le thé dans sa cuisine la rendait nerveuse. Wang-mu décida donc d’intervenir pour « aider » – commettant délibérément une erreur. Kenji se retrouva immédiatement dans son élément et reprit confiance en elle. « Vous avez oublié, dit gentiment Kenji. Parce que ma cuisine n’est pas rangée de manière très fonctionnelle. » Puis elle montra à Wang-mu comment préparer le thé. « Tel qu’on le fait à Nagoya, dit-elle avec modestie. En tout cas, dans cette maison. »

Wang-mu l’observa attentivement, se concentrant uniquement sur Kenji et sur ce que celle-ci faisait, car elle s’aperçut rapidement que la manière japonaise de préparer le thé – à moins que ce ne soit la manière de le préparer sur Vent Divin, ou seulement à Nagoya, ou chez les philosophes qui conservaient l’esprit Yamato – suivait un rituel très différent de celui qu’elle observait si scrupuleusement chez Han Fei-Tzu. Lorsque le thé fut enfin prêt, elle avait réellement appris quelque chose. Car, ayant déclaré qu’elle avait été servante, et possédant un fichier informatique stipulant qu’elle avait passé toute sa vie dans une communauté chinoise sur Vent Divin, Wang-mu était censée être capable de servir le thé de cette manière.

Ils retournèrent dans la pièce centrale de la demeure d’Hikari, Kenji et Wang-mu portant toutes les deux une petite table basse. Kenji offrit la table qu’elle portait à Hikari, mais celui-ci la dirigea vers Peter d’un signe de la main accompagné d’une révérence. Wang-mu alla servir Hikari. Et lorsque Kenji s’éloigna de Peter en reculant, elle en fit autant avec Hikari.

Pour la première fois Hikari parut… furieux ? En tout cas, ses yeux s’enflammèrent. Car en se mettant au même niveau que Kenji, elle le plaçait dans une situation où il devait soit, fort honteusement, se montrer plus fier que Wang-mu en renvoyant sa servante dans sa cuisine, soit changer l’ordre établi au sein de son foyer en proposant à Kenji de venir s’asseoir avec eux en égale.

« Kenji, dit Hikari. Laissez-moi vous servir du thé. »

Échec, pensa Wang-mu. Et mat.

Son plaisir fut multiplié lorsque Peter, qui venait de rentrer dans ce petit jeu, lui proposa de lui servir son thé et renversa quelques gouttes sur elle, obligeant Hikari à en faire autant pour ne pas mettre ses invités dans l’embarras. La douleur du thé brûlant et la gêne qu’il créait en séchant étaient compensées par la joie de savoir que si elle avait réussi à être à la hauteur d’Hikari en terme de courtoisie théâtrale, Peter, lui, n’avait réussi qu’à se ridiculiser.

Mais était-elle vraiment à la hauteur d’Hikari ? Il s’était forcément rendu compte de ses tentatives ostentatoires pour se rabaisser par rapport à lui. Dans ce cas, peut-être lui laissait-il – en toute humilité – l’honneur d’être la plus humble des deux. Dès qu’elle se fut avisée qu’il pouvait très bien avoir agi ainsi, son hypothèse devint une certitude et elle dut admettre que c’était lui qui remportait la partie.

Je ne suis pas aussi futée que je le pensais.

Elle se tourna vers Peter, en espérant le voir prendre le relais et mettre en pratique une de ses lumineuses idées. Mais il semblait tout à fait satisfait de la voir mener le bal et ne se jeta pas à l’eau. Avait-il, lui aussi, réalisé qu’elle venait de se faire prendre à son propre jeu en n’osant pas aller jusqu’au bout ? Lui tendait-il la corde pour se pendre ?

Dès lors, il ne restait plus qu’à serrer le nœud.

« Aimaina Hikari, certains vous appellent le gardien de l’esprit Yamato. Peter et moi-même avons grandi dans un monde japonais, pourtant les Japonais autorisent que l’on utilise le stark à l’école, ce qui explique que nous ne parlons pas japonais. Dans mon quartier chinois et dans la ville américaine de Peter, nous avons tous deux vécu en périphérie de la culture japonaise, en la regardant de l’extérieur. L’élément de notre ignorance qui vous semblera donc le plus évident sera notre manque de connaissance de l’esprit Yamato.