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— Ah, Wang-mu, vous faites un mystère de ce qui est a priori évident. Personne ne peut mieux cerner l’esprit Yamato que ceux qui l’observent de l’extérieur, comme un parent est plus à même de comprendre son enfant que l’enfant ne se comprend lui-même.

— Je vais donc vous éclairer, dit Wang-mu, arrêtant là le jeu d’humilité. Car je vois le Japon comme une nation Périphérique, et je ne suis pas encore en mesure de juger si vos idées pourront en faire de nouveau une nation Centrale, ou le pousser à la décadence comme c’est souvent le cas chez les autres nations Périphériques lorsqu’elles prennent le pouvoir.

— Le terme de « nation Périphérique » que vous utilisez peut être interprété de cent façons différentes, toutes pouvant parfaitement s’appliquer à mon peuple, dit Hikari. Mais qu’est-ce qu’une nation Centrale, et comment un peuple y accède-t-il ?

— Je ne suis pas spécialiste de l’histoire terrienne, dit Wang-mu. Mais le peu que j’ai appris, je l’ai approfondi, et il me semble qu’il y a eu des nations Centrales possédant une culture tellement riche qu’elles ont englouti leurs envahisseurs. L’Egypte en faisait partie, ainsi que la Chine. Chacune d’elles s’est unifiée, puis s’est développée suffisamment pour protéger ses frontières, pour pacifier dans un second temps l’intérieur des terres. Chacune d’elles a intégré ses envahisseurs des milliers d’années durant. L’écriture égyptienne et l’écriture chinoise ont réussi à perdurer malgré quelques modifications mineures d’ordre stylistique, de sorte que le passé est resté présent pour tous ceux qui savaient lire. »

Wang-mu, voyant Peter se raidir, comprit qu’il était inquiet. Après tout, ce qu’elle racontait n’avait rien de gnomique. Mais, désemparé face à un Asiatique, il ne tenta aucune intervention.

« Ces deux nations sont nées en des temps barbares, dit Hikari. Êtes-vous en train de suggérer qu’aucune nation ne peut devenir une nation Centrale de nos jours ?

— Je ne sais pas. Je ne suis même pas sûre que mes définitions de nations Périphériques ou de nations Centrales aient une quelconque valeur, ni soient tout à fait exactes. Je sais en revanche qu’une nation Centrale peut maintenir son pouvoir culturel bien après avoir perdu son pouvoir politique. La Mésopotamie n’a cessé d’être envahie par ses voisins, pourtant, à chaque fois, ses envahisseurs ont subi plus de transformations qu’elle. Les rois assyriens, chaldéens et perses étaient pratiquement indifférenciables après avoir goûté à la culture du pays entre deux fleuves. Mais une nation Centrale peut aussi tomber suffisamment bas au point de disparaître. L’Egypte a vacillé sous le choc culturel de l’hellénisme, elle a plié sous l’influence idéologique du christianisme, et a fini par être complètement éradiquée par l’islam. Seuls les monuments de pierre étaient là pour rappeler aux enfants ce qu’avaient été leurs ancêtres. L’histoire n’obéit à aucune règle, et tous les schémas que nous y trouvons ne sont que des illusions bien pratiques.

— Je vois que vous êtes réellement une philosophe, observa Hikari.

— Vous me faites trop d’honneur en qualifiant ainsi mes spéculations puériles. Laissez-moi cependant vous exposer ma théorie sur les nations Périphériques. Celles-ci sont nées dans l’ombre – ou dans la lumière réfléchie, diraient certains – des autres nations. Comme le Japon s’est civilisé sous l’influence de la Chine. Ou comme Rome s’est révélée dans l’ombre des Grecs.

— Des Étrusques au départ », précisa Peter.

Hikari le regarda d’un air affable, puisse retourna vers Wang-mu sans autre commentaire. Celle-ci crut voir Peter s’affaisser après avoir ainsi été jugé complètement insignifiant. Elle eut un peu pitié de lui. Rien qu’un peu.

« Les nations Centrales sont tellement sûres d’elles qu’elles n’éprouvent pas le besoin de se lancer dans des guerres de conquêtes. Convaincues d’être supérieures aux autres nations, elles s’imaginent que celles-ci n’ont d’autre ambition que de leur ressembler. Les nations Périphériques, quant à elles, lorsqu’elles se sentent puissantes, éprouvent le besoin de s’affirmer, le plus souvent par l’épée. C’est ainsi que les Arabes ont brisé l’Empire romain pour engloutir ensuite la Perse. C’est ainsi que les Macédoniens, alors aux frontières de la Grèce, en ont entrepris la conquête ; ils ont été par la suite tellement imprégnés de la culture locale qu’ils ont fini par se déclarer grecs et sont allés conquérir l’empire qui avait jadis influencé la Grèce : l’Empire perse. Les Vikings, eux, ont mis l’Europe à feu et à sang avant d’aller grappiller des territoires à Naples, en Sicile, en Normandie, en Irlande, puis en Angleterre. Quant au Japon…

— Nous, nous avons choisi de rester sur nos îles, dit Hikari à voix basse.

— Lorsqu’il a explosé, le Japon a étendu son influence sur le Pacifique, essayant de conquérir la grande nation Centrale qu’était la Chine, avant d’être finalement arrêté par les bombes d’une nouvelle nation Centrale : l’Amérique.

— J’aurais pourtant cru que l’Amérique était la nation Périphérique par excellence, dit Hikari.

— L’Amérique a été construite par des gens provenant de nations Périphériques, mais l’idée même d’Amérique est devenue un concept suffisamment motivant pour en faire une nation Centrale. Une communauté tellement arrogante qu’à part la conquête de l’arrière-pays, elle n’avait aucune envie de développer son empire. Elle partait du principe que toutes les autres nations voulaient lui ressembler. Elle engloutissait toutes les autres cultures. Même sur Vent Divin, quelle est la langue enseignée à l’école ? Ce n’est pas l’Angleterre qui nous a imposé le Starways Common Speech, cette Langue Commune Stellaire devenue le stark.

— Ce n’est que par hasard que l’Amérique s’est trouvée la nation la plus avancée sur le plan technologique lorsque la Reine nous a obligés à fuir vers les étoiles.

— L’idée de l’Amérique est devenue une idée Centrale, du moins je le pense, dit Wang-mu. Dès lors, toutes les nations devaient se conformer aux règles de la démocratie. Nous sommes en ce moment même gouvernés par le Congrès Stellaire. Nous vivons tous au milieu d’une culture américanisée, que cela nous plaise ou non. Ainsi la question que je pose est la suivante : maintenant que le Japon contrôle cette nation Centrale, sera-t-il avalé, comme les Mongols l’ont été en Chine ? Où la culture japonaise réussira-t-elle à préserver son identité culturelle, pour décliner jusqu’à perdre le pouvoir, comme les Turcs ont perdu le contrôle de l’Islam et la Mandchourie celui de la Chine ? »

Hikari semblait contrarié. Fâché, peut-être ? Perplexe ? Wang-mu ne pouvait le savoir.

« La philosophe Si Wang-mu vient de dire quelque chose qu’il m’est difficile d’admettre, dit Hikari. Comment pouvez-vous affirmer que les Japonais contrôlent le Congrès Stellaire et les Cent Planètes ? Quand cette révolution, dont personne n’a eu vent, a-t-elle eu lieu ?

— Je pensais que vous étiez conscient de ce que votre enseignement de l’esprit Yamato avait accompli, dit Wang-mu. L’existence même de la Flotte lusitanienne est la preuve flagrante du contrôle japonais. C’est là la grande découverte dont m’a fait part mon ami scientifique ici présent, et c’est aussi ce qui nous amène. »

L’expression horrifiée qui se dessinait sur le visage de Peter n’était pas feinte. Wang-mu pouvait deviner ce qui lui traversait l’esprit en ce moment même. Était-elle folle pour abattre ainsi ses cartes ? Elle savait cependant qu’elle avait procédé de telle manière qu’elle ne révélait pas leurs véritables intentions.

Peter, sans se démonter, prit le relais et expliqua les analyses de Jane sur le Congrès Stellaire, les Nécessariens, ainsi que la Flotte lusitanienne, tout en les présentant bien évidemment comme ses propres idées. Hikari écoutait, acquiesçant de temps en temps, secouant la tête à d’autres moments ; son impassibilité avait désormais disparu, sa distance ironique aussi.