« Vous êtes donc en train de me dire, dit-il lorsque Peter eut terminé son exposé, qu’à cause de mon traité sur les bombes américaines, les Nécessariens ont pris le pouvoir au Congrès et lancé la Flotte lusitanienne ? Vous me mettez donc en cause ?
— Je ne vous accuse ni ne vous blâme, dit Peter. Vous ne l’aviez pas prévu, encore moins planifié. Et autant que je le sache, vous ne l’approuvez pas.
— Je ne m’occupe même pas de la politique du Congrès Stellaire. Je ne m’occupe que de Yamato.
— C’est précisément ce que nous souhaitons apprendre, dit Wang-mu. Je vois que vous êtes un Périphérique et non un Central. C’est pourquoi vous ne pouvez laisser l’esprit Yamato se faire engloutir par la nation Centrale. Les Japonais préféreront s’écarter de leur propre hégémonie, et elle finira par leur glisser des mains pour finir entre celles d’un autre peuple. »
Hikari secoua la tête. « Je ne peux pas vous laisser accuser le Japon dans cette histoire de Flotte lusitanienne. Nous sommes le peuple qui a été puni par les dieux, nous n’envoyons pas des flottes détruire d’autres nations.
— Les Nécessariens en sont capables, dit Peter.
— Les Nécessariens ne font que parler, personne ne les écoute, rétorqua Hikari.
— Vous, peut-être pas, dit Peter. Le Congrès, si.
— Et les Nécessariens vous écoutent, ajouta Wang-mu.
— Je suis un homme d’une parfaite simplicité ! hurla Hikari en se levant d’un bond. Vous êtes venus me torturer avec vos accusations injustes !
— Nous n’accusons personne. » Wang-mu parla calmement, refusant de se lever. « Nous vous faisons part d’un point de vue. Si nous sommes dans l’erreur, je vous en prie, corrigez-nous. »
Hikari tremblait, le poing gauche refermé sur le médaillon qui pendait à son cou au bout d’un ruban de soie. « Non, dit-il. Je ne laisserai pas passer cela. Vous prétendez n’être que d’humbles chercheurs de vérité ? Vous êtes des assassins. Des assassins de l’âme, venus ici pour me détruire, pour me jeter à la face qu’en cherchant la voie de Yamato, j’ai d’une certaine façon poussé mon peuple à dominer les autres planètes humaines et à utiliser sa puissance pour détruire une espèce intelligente inoffensive ! C’est un mensonge monstrueux que de me dire que l’œuvre de ma vie a été à ce point inutile. J’aurais préféré que vous empoisonniez mon thé, Si Wang-mu. Quant à vous, Peter Wiggin, vous auriez mieux fait de me tirer une balle dans la tête. Vos parents ont bien choisi vos noms, à l’un comme à l’autre – quels noms terribles et fiers vous portez ! Mère Royale de L’Ouest ? Une déesse ? Et Peter Wiggin, le premier Hégémon ! Qui oserait donner à un enfant un nom pareil ? »
Peter s’était levé à son tour. Il aida Wang-mu à en faire autant.
« Si nous vous avons offensé, ce n’était pas notre intention, dit Peter. J’ai honte. Nous devons partir immédiatement. »
Wang-mu fut surprise de l’entendre parler comme un Oriental. La méthode américaine consistait d’habitude à s’excuser, rester et continuer le débat.
Elle se laissa guider jusqu’à la porte. Hikari ne les accompagna pas ; cette tâche avait été laissée à la pauvre Kenji, terrifiée de voir son maître, d’habitude si calme, ainsi remonté. Mais Wang-mu était bien décidée à ne pas partir sur cet échec désastreux. Au dernier moment, elle courut se jeter aux pieds d’Hikari, dans une posture qu’elle s’était jurée, il n’y avait pas si longtemps, de ne jamais plus adopter. Mais elle savait que tant qu’elle s’humilierait ainsi, Hikari serait obligé de l’écouter.
« Oh, Aimaina Hikari, dit-elle, vous venez de citer nos noms, mais avez-vous oublié le vôtre ? Comment un homme qui se fait appeler « Lumière Ambiguë » pourrait-il espérer que ses enseignements n’auront que les effets attendus ? »
À ces mots, Hikari lui tourna le dos et quitta la pièce. Avait-elle mis de l’huile sur le feu ? Wang-mu n’avait aucun moyen de le savoir. Elle se releva et, dépitée, se dirigea vers la porte. Peter allait être furieux. Sa fougue avait peut-être anéanti tous leurs espoirs – ainsi que ceux dont ils étaient porteurs pour arrêter la Flotte lusitanienne.
À sa grande surprise, pourtant, Peter lui parut ravi une fois qu’ils eurent franchi la grille du jardin d’Hikari. « Bravo, fit-il. Même si votre méthode était pour le moins extravagante.
— Que voulez-vous dire ? Ç’a été un véritable fiasco. » Elle n’en souhaitait pas moins qu’il ait raison ; après tout, peut-être ne s’était-elle pas si mal débrouillée que cela.
« Il est furieux, c’est indéniable, et il ne nous adressera plus la parole, mais qu’importe ? Nous ne cherchions pas à le faire changer d’opinion. Nous devions simplement apprendre qui était celui ou celle qui pouvait avoir une quelconque influence sur lui. Et maintenant, nous le savons.
— Ah bon ?
— Jane l’a relevé immédiatement. Lorsqu’il a dit qu’il était un homme d’une « parfaite simplicité ».
— Est-ce qu’il y a un sens caché à cela ?
— Ma chère, notre monsieur Hikari a révélé sans le vouloir qu’il était un disciple secret de l’Ua Lava. »
Wang-mu était complètement déconcertée.
« C’est un courant religieux. Ou une vaste plaisanterie. Il est difficile de faire la différence. C’est un terme samoan, qui signifie littéralement « assez maintenant », mais qui est plus exactement traduit par « c’est assez ! »
— Je ne doute pas de vos compétences en samoan. » Wang-mu, quant à elle, ne connaissait même pas l’existence de cette langue.
« Ce sont celles de Jane, dit Peter, agacé. J’ai cette pierre à l’oreille et vous non. Vous ne voulez pas que je vous fasse part de ce qu’elle m’a dit ?
— Je vous en prie, continuez.
— C’est une sorte de philosophie – une forme de stoïcisme gai, si l’on veut. Que les choses aillent bien ou mal, on garde la même attitude. Mais selon l’enseignement d’un auteur samoan bien précis nommé Leiloa Lavea, c’est devenu un peu plus qu’une simple façon d’être. Elle a enseigné…
— Elle ? Hikari serait donc le disciple d’une femme ?
— Ce n’est pas ce que j’ai dit. Si vous voulez bien écouter jusqu’au bout, je vous dirai ce que Jane me raconte. »
Il attendit quelques instants. Elle écouta.
« Bien. Leiloa Lavea enseignait une sorte de communisme volontaire. Il ne s’agissait pas de se contenter de sa bonne fortune en se disant : « C’est assez. » Il fallait croire que c’était vraiment suffisant. En y croyant, on pouvait ainsi faire don de ce qu’il y avait en trop. De la même manière, lorsque le mauvais sort s’acharne, il faut le supporter jusqu’à l’insupportable – que votre famille meure de faim, ou que l’on ne puisse plus faire face au travail. Il faut se répéter : « C’est assez » et agir pour faire évoluer les choses. Déménager, changer de travail, laisser sa femme prendre les décisions. N’importe quoi. Il faut refuser l’insupportable.
— Quel rapport avec « la parfaite simplicité » dont parlait Hikari ?
— Leiloa Lavea enseignait que lorsque l’on avait atteint le parfait équilibre dans la vie – en partageant sa bonne fortune, la malchance étant oubliée une bonne fois pour toutes –, ce qui reste est une vie de « parfaite simplicité ». C’est ce qu’Aimaina Hikari voulait nous dire. Jusqu’à notre arrivée, sa vie était d’une parfaite simplicité. Mais maintenant nous avons perturbé son équilibre. Ce qui est une bonne chose, parce que cela signifie qu’il va devoir faire tout ce qui est en son pouvoir pour retrouver cette parfaite simplicité. Il sera influençable pendant ce laps de temps. Pas par nous, bien sûr.