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— Par Leiloa Lavea ?

— Ce sera difficile. Elle est morte depuis deux mille ans. Ender l’avait d’ailleurs rencontrée. Il était venu raconter la mort de quelqu’un sur sa planète d’origine – le Congrès Stellaire l’appelle Pacifica, mais l’enclave samoane l’appelle Lumana’i. « L’Avenir ».

— Pas sa mort à elle, j’imagine.

— C’était en fait celle d’un meurtrier fidjien. Un type qui avait tué plus d’une centaine d’enfants, tous tongiens. De toute évidence, il ne devait pas aimer les Tongiens. On avait repoussé ses funérailles de trente ans pour qu’Ender puisse venir raconter sa mort. Ils espéraient que le Porte-Parole des Morts pourrait donner un sens quelconque à ses actes.

— Y est-il parvenu ? »

Peter ricana. « Bien sûr, il a été fabuleux. Ender ne se trompe jamais. Bla-bla-bla. »

Elle ignora son hostilité envers Ender. « Il a donc rencontré Leiloa Lavea ?

— Son nom signifie « être perdu », « être blessé ».

— C’est elle qui s’est choisi ce nom, j’imagine.

— Exactement. Vous savez comment sont les écrivains. Comme Hikari, ils se créent eux-mêmes en créant leur œuvre. Ou peut-être créent-ils leur œuvre pour se créer eux-mêmes.

— C’est très gnomique, commenta Wang-mu.

— Oh, ça suffit avec ça. Vous pensiez vraiment ce que vous disiez en parlant des nations Périphériques et Centrales ?

— J’ai commencé à y réfléchir lorsque j’apprenais l’histoire terrienne avec Han Fei-Tzu. Lui ne m’a pas ri au nez lorsque je lui ai fait part de mes réflexions.

— Ah mais, je ne ris pas non plus. Je pense simplement que c’est d’une naïveté consternante, mais ça n’a rien de drôle. »

Wang-mu ignora sa raillerie. « Si Leiloa Lavea est morte, où allons-nous aller ?

— Sur Pacifica. Lumana’i. Hikari a reçu l’enseignement de l’Ua Lava d’une étudiante samoane quand il était adolescent – la petite-fille de l’ambassadeur de Pacifica. Elle n’avait, bien entendu, jamais mis les pieds à Lumana’i, et s’attachait d’autant plus à ses coutumes, allant jusqu’à se poser en prosélyte de Leiloa Lavea. Cela s’est passé bien avant qu’Hikari n’écrive la moindre ligne. Lui n’en parle jamais, il n’a jamais rien écrit sur l’Ua Lava, mais maintenant qu’il s’est découvert, Jane trouve de nombreuses influences dans ses œuvres. Et puis, il a des amis sur Lumana’i. Il ne les a jamais rencontrés, mais ils correspondent sur le réseau ansible.

— Et la petite-fille de l’ambassadeur ?

— Elle est à bord d’un vaisseau en ce moment, elle rentre chez elle sur Lumana’i. Elle est partie il y a vingt ans, quand son grand-père est mort. Elle devrait arriver là-bas dans… disons, une petite dizaine d’années. Elle sera sans aucun doute reçue avec tous les honneurs, et son grand-père sera enterré ou brûlé, quelle que soit la coutume locale – brûlé me fait savoir Jane –, en grande pompe.

— Mais Hikari n’essayera pas de lui parler.

— Cela prendrait au moins une semaine pour lui envoyer un simple message à travers l’espace, si l’on considère la vitesse de ce vaisseau. Difficile d’avoir une discussion philosophique dans de telles conditions. Elle sera arrivée avant qu’il n’ait terminé de poser sa question. »

Pour la première fois, Wang-mu comprit les avantages du voyage instantané qu’elle et Peter avaient utilisé. Ces interminables et épuisants voyages n’étaient plus nécessaires.

« Si seulement…, dit-elle.

— Je sais. Mais nous ne pouvons pas. »

Elle savait qu’il avait raison. « Admettons que nous nous rendions là-bas, dit-elle, revenant sur le sujet. Que se passera-t-il ensuite ?

— Jane est en train de vérifier le nom du correspondant d’Hikari. C’est la personne capable d’avoir une quelconque influence sur lui. Donc…

— C’est à elle que nous allons nous adresser.

— Exactement. Avez-vous besoin d’aller au petit coin avant que l’on se prépare à regagner notre cabane au fond des bois ?

— J’aimerais bien. Quant à vous, ça ne vous ferait pas de mal de changer de vêtements.

— Pourquoi ? Ces vêtements sont trop fantaisistes ?

— Que porte-t-on sur Lumana’i ?

— Eh bien, la plupart des gens se contentent de se promener tout nus. Normal, sous les tropiques. Jane dit qu’étant donné le gabarit massif des Polynésiens, c’est un spectacle assez étonnant. »

Wang-mu frissonna. « Nous n’allons quand même pas nous faire passer pour des locaux ?

— Non, pas cette fois. Jane va nous faire passer pour les passagers d’un vaisseau arrivé la veille de Moscou. Nous serons probablement des agents officiels gouvernementaux, ou quelque chose dans le genre.

— N’est-ce pas illégal ? »

Peter la regarda d’un air bizarre. « Wang-mu, nous avons déjà trahi le Congrès en quittant Lusitania. C’est un délit majeur. Je ne pense pas que se faire passer pour des agents gouvernementaux puisse empirer les choses.

— Mais je n’ai pas quitté Lusitania. Je n’ai même jamais vu Lusitania.

— Bof, vous n’avez pas perdu grand-chose. Il n’y a que de la savane, quelques forêts, et ici et là, les usines des reines où sont construits les vaisseaux, ainsi que des créatures ressemblant à des cochons qui vivent dans les arbres.

— Je suis pourtant complice de trahison, non ?

— Et maintenant, vous êtes aussi coupable d’avoir gâché la journée d’un philosophe japonais.

— On va certainement me couper la tête pour ça. »

Une heure plus tard, ils étaient dans un flotteur privé – tellement privé que le chauffeur ne leur posa aucune question. Jane s’était aussi assurée que tous leurs papiers étaient en règle. Ils retrouvèrent leur vaisseau avant la nuit.

« Nous aurions dû rester dormir à l’appartement », dit Peter en regardant d’un œil torve le couchage rudimentaire.

Wang-mu se contenta d’un rire moqueur et s’allongea sur le sol. Au petit matin, frais et dispos, ils constatèrent que Jane les avait transportés sur Pacifica pendant leur sommeil.

Aimaina Hikari émergea de son rêve alors que la lumière n’était déjà plus celle de la nuit ni tout à fait celle du jour, et se redressa dans son lit ni tout à fait chaud, ni tout à fait froid. Son sommeil avait été agité, et ses rêves déplaisants, frénétiques : tout ce qu’il y accomplissait avait des résultats aux antipodes de ses prévisions. Aimaina essayait d’escalader un canon pour en rejoindre le fond. Il parlait et tous les gens s’éloignaient de lui. Il écrivait un livre et les pages s’arrachaient toutes seules pour tomber de manière désordonnée sur le sol.

Il savait que c’était la conséquence de la visite des deux menteurs étrangers. Il avait essayé de les oublier tout l’après-midi en lisant des contes et des essais ; puis toute la soirée en discutant avec sept de ses amis venus lui rendre visite. Mais les contes et les essais semblaient tous lui crier : Ce ne sont que les mots de gens de nations Périphériques manquant de confiance ; quant à ses sept amis, il s’était aperçu que c’étaient tous des Nécessariens, et lorsqu’il avait orienté la conversation sur la Flotte lusitanienne, il s’était vite rendu compte qu’ils partageaient les mêmes points de vue que les deux menteurs aux noms ridicules.

C’est ainsi qu’Aimaina se retrouva à l’aube naissante, assis sur une natte dans son jardin, le médaillon de ses ancêtres entre ses doigts, perdu dans ses réflexions. Ces rêves proviennent-ils de mes ancêtres ? Les menteurs qui m’ont rendu visite ont-ils été eux aussi envoyés par eux ? Mais si leurs accusations à mon sujet étaient fondées, que pouvaient-ils bien cacher ? Car il avait remarqué dans les regards qu’ils s’étaient échangés, et dans les temps d’hésitation suivis d’une certaine audace de la jeune femme, qu’ils semblaient jouer une pièce qui, bien que non répétée, suivait une trame bien précise.