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Murmures Divins de Han Qing-Jao

L’hovercar rasa les champs d’amarante où s’activaient les doryphores sous le soleil matinal de Lusitania. Au loin, alors qu’il n’était pas encore midi, les nuages se profilaient par gros paquets de cumulus.

« Pourquoi n’allons-nous pas au vaisseau ? » demanda Val.

Miro secoua la tête. « Nous avons trouvé assez de planètes.

— C’est ce que dit Jane ?

— Jane n’a pas fait preuve de beaucoup de patience aujourd’hui. Nous sommes donc plus ou moins quittes. »

Val le dévisagea. « Tu peux donc comprendre mon impatience. Tu n’as même pas pris la peine de me demander mon avis. Ai-je donc si peu d’importance ? »

Il lui retourna son regard. « C’est toi qui es en train de mourir. J’ai essayé de parler à Ender, mais ça n’a servi à rien.

— Est-ce que je t’ai demandé de m’aider ? Et que fais-tu en ce moment même pour m’aider ?

— Je vais voir la Reine.

— Autant me raconter que tu vas rendre visite à ta marraine la fée.

— Ton problème, Val, c’est que tu dépends trop de la volonté d’Ender. S’il se désintéresse de toi, tu es finie. Eh bien, je vais tâcher de voir s’il est possible de te trouver une volonté bien à toi. »

Val s’esclaffa et détourna son regard. « Tu es tellement romantique, Miro. Mais tu ne penses pas à tout.

— Je dirais plutôt le contraire. Je passe la majeure partie de mon temps à penser à tout. Mais c’est le passage à l’acte qui est délicat pour moi. Quand dois-je agir, quand dois-je m’abstenir ?

— Pour l’instant, ce serait une bonne idée de piloter sans nous envoyer dans le décor. »

Miro fit une embardée pour éviter un vaisseau en construction.

« Elle en construit toujours plus, alors que nous en avons largement assez, dit-il.

— Peut-être sait-elle qu’à la mort de Jane, il n’y aura plus de voyage stellaire. Donc plus nous aurons de vaisseaux, plus nous pourrons avancer avant qu’elle disparaisse.

— Qui sait ce que la Reine a en tête ? Elle fait des promesses sans savoir si elle pourra les tenir.

— Alors pourquoi veux-tu la voir ?

— Les reines ont construit un pont temporel autrefois, un pont vivant qui les relie à l’esprit d’Andrew Wiggin quand il était encore enfant et leur ennemi le plus dangereux. Elles ont appelé un aiúa des ténèbres pour l’installer quelque part dans les étoiles. C’était une entité pas très différente des reines, ni des humains, et en particulier d’Ender Wiggin, du moins de l’idée qu’elles s’en faisaient. Lorsqu’elles ont eu terminé le pont – lorsque Ender les a détruites, à l’exception du cocon qu’elles avaient préparé à son intention – le pont est demeuré intact parmi les faibles connexions ansibles des hommes, stockant sa mémoire dans les premiers réseaux informatiques, encore fragiles et peu développés, de la toute première colonie humaine et de ses avant-postes. Le développement du pont a suivi celui du réseau informatique, et cette entité s’est rapprochée d’Ender Wiggin, attirée par sa vie et sa personnalité.

— Jane, dit Val.

— Oui, Jane. Ce que je vais tenter, Val, c’est de trouver un moyen de faire passer l’aiúa de Jane dans ton corps.

— Mais alors, je deviendrai Jane. Je ne serai plus moi-même. »

Miro frappa du poing la manette de l’hovercar. L’engin oscilla dangereusement pour se stabiliser de nouveau quelques instants plus tard.

« Tu crois que je n’ai pas pensé à cela ? s’exclama Miro. Tu n’es déjà plus toi-même en ce moment ! Tu es Ender – le rêve d’Ender, un besoin qu’il a ou quelque chose dans ce goût-là.

— Je n’ai pas l’impression d’être Ender. Je suis moi-même.

— C’est exact. Tu as des souvenirs. Les sensations que te procure ton propre corps. Tes propres expériences. Mais tout cela ne sera pas perdu. Personne n’est jamais vraiment conscient de sa volonté sous-jacente. Tu ne feras pas la différence. »

Elle s’esclaffa. « Ah, tu es donc devenu le grand expert, capable de prédire ce qui va se passer en tentant quelque chose qui n’a jamais été tenté auparavant.

— Exactement. Il faut bien que quelqu’un prenne une décision, décide de ce qu’il faut croire, et agisse en conséquence.

— Et si je te disais que je ne veux pas que tu fasses cela ?

— Tu veux vraiment mourir ?

— Il me semble que c’est toi qui penses à me tuer en ce moment. Ou, pour être moins dure avec toi, tu veux commettre un crime légèrement moins grave en déconnectant ma volonté pour la remplacer par celle d’une d’autre.

— Tu es déjà en train de mourir. Ta volonté te quitte déjà.

— Miro, j’irai voir la Reine avec toi parce que cela me semble être une expérience intéressante. Mais je ne vais pas te laisser me débrancher pour me sauver la vie.

— Très bien. Puisque tu es supposée être la partie altruiste du caractère d’Ender, je vais te présenter les choses sous un autre angle. Si son aiúa peut être transféré dans ton corps, Jane ne risquera plus de mourir. Et si elle ne meurt pas, il se peut qu’après qu’on l’aura déconnectée des réseaux informatiques dans lesquels elle évolue pour les reconnecter une fois sa mort confirmée, il se peut – je dis bien : il se peut – qu’elle puisse se regreffer sur eux et que ce ne soit pas la fin du voyage instantané. Ainsi, en mourant, tu sauveras non seulement Jane, mais aussi notre capacité et notre liberté de nous étendre comme nous ne l’avons encore jamais fait. Non seulement nous, mais aussi les pequeninos et les reines. »

Val demeura silencieuse.

Miro se concentrait sur sa route. L’antre de la Reine se profilait sur leur gauche, en haut d’un remblai au bord d’un ruisseau. Il s’y était déjà rendu, dans son ancien corps. Il connaissait le chemin. Bien sûr, Ender était avec lui ce jour-là, et c’était pour cette raison qu’il pouvait communiquer avec la Reine – elle pouvait parler avec Ender, et comme ceux qui l’aimaient et le suivaient étaient reliés à lui par les liens philotiques, ils pouvaient attraper des bribes de conversation. Mais Val n’était-elle pas une partie d’Ender ? Et lui, Miro, n’était-il pas plus proche d’elle qu’il ne l’avait jamais été d’Ender ? Il avait besoin que Val soit à ses côtés pour parler à la Reine ; il le fallait pour éviter à Val de subir le même sort que l’ancien corps de Miro.

Ils sortirent et, comme de bien entendu, la Reine avait prévu leur venue ; une ouvrière isolée les attendait à l’entrée de la caverne. Elle prit Val par la main et les guida sans un mot dans l’obscurité, Miro s’accrochant à Val qui, de son côté, s’accrochait à l’étrange créature. Comme la première fois, Miro avait peur ; Val, en revanche, ne semblait pas inquiète.

Ou bien ne se sentait-elle pas concernée ? En son for intérieur, elle était Ender, et Ender ne se souciait guère de ce qui pouvait lui arriver. Ce qui la rendait téméraire. Survivre lui importait peu. Tout ce qu’elle voulait, c’était garder le lien qui l’unissait à Ender – la seule chose qui risquait de la tuer s’il se maintenait. Elle avait l’impression que Miro cherchait à se débarrasser d’elle, mais Miro savait que son plan était le seul moyen de sauver ne serait-ce qu’une infime partie d’elle-même. Son corps. Ses souvenirs. Ses habitudes, sas manières, chaque aspect qu’il connaissait d’elle, tout cela serait sauvé. Chaque partie dont elle était consciente et dont elle se souvenait, tout cela existerait encore. Selon Miro, si tous ces éléments étaient préservés, elle serait pour ainsi dire sauvée. Et une fois les changements effectués, si tant est que cela soit possible, Val lui serait reconnaissante.