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« Si je vous promets d’essayer, vous poursuivrez votre travail ? »

Là était le problème : il y avait de cela bien longtemps, Ender avait prévenu Miro que la Reine avait tendance à prendre ses désirs pour des réalités, comme c’était le cas avec ses souvenirs. Mais lorsque ses désirs changeaient, le reste suivait aussi, et elle oubliait complètement ses premières intentions. Ainsi ne fallait-il considérer la promesse de la Reine que comme une parole en l’air. Elle tiendrait les promesses qu’elle jugerait bon de tenir.

Mais pour l’instant, il n’y avait pas de meilleure proposition.

« Vous allez essayer », dit Miro.

« Je suis déjà en train de voir comment la chose pourrait se faire. Je suis en contact avec Humain, Rooter et les autres arbres-pères. Je consulte aussi toutes mes filles, ainsi que Jane, qui pense que tout cela est ridicule. »

« Personne ne souhaite connaître mon avis ? » demanda Val.

« Vous êtes déjà en train d’acquiescer. »

Val soupira. « Je suppose que oui. Au fond de moi, là où je ne suis qu’un vieillard complètement indifférent à la survie de cette jeune marionnette… Je suppose que vu sous cet angle, cela ne me dérange pas, en effet. »

« Vous étiez d’accord depuis longtemps. Mais vous aviez peur. Peur de perdre ce que vous aviez, sans savoir ce que vous alliez devenir. »

« C’est exactement cela. Et n’allez pas me resservir ce mensonge absurde selon lequel vous n’auriez pas peur de mourir parce que vos filles possèdent votre mémoire. L’idée de mourir doit vous inquiéter, et si sauver Jane peut vous sauver, vous en aurez le désir. »

« Prenez la main de mon ouvrière, et parlez retrouver la lumière du jour. Retournez dans les étoiles et continuez votre travail. Je resterai ici à chercher un moyen de vous sauver la vie. Celle de Jane. Et toutes les nôtres avec. »

Jane boudait. Miro essaya de lui parler tandis qu’il regagnait Milagre, puis le vaisseau, mais elle resta aussi muette que Val, qui lui adressa à peine un regard, encore moins la parole.

« Ainsi, je suis le salaud de l’histoire, dit-il. Ni l’une ni l’autre n’était prête à faire quoi que ce soit, et parce que je décide d’agir, je devrais être le méchant et vous les victimes. »

Val secoua la tête mais ne dit rien. « Tu es en train de mourir, hurla-t-il pour couvrir le bruit du vent et celui du moteur. Jane va bientôt être exécutée ! Quelle vertu y a-t-il à rester passif ? Personne n’est donc prêt à faire un petit effort ? »

Val articula quelque chose qu’il n’entendit pas.

« Quoi ? »

Elle détourna la tête.

« Tu as dit quelque chose, j’aimerais bien l’entendre ! »

La voix qui lui répondit n’était pas celle de Val, mais de Jane, qui lui parlait dans l’oreille. « Elle te dit que tu ne peux pas tout avoir.

— Comment ça, je ne peux pas tout avoir ? » Miro venait de s’adresser à Val comme si elle avait répété ses propres paroles.

Elle se tourna vers lui. « Si tu sauves Jane, c’est parce qu’elle peut garder toute sa mémoire. Sinon, à quoi bon la transférer dans mon corps comme une simple entité pensante sans réelle conscience ? Elle doit rester elle-même, ne serait-ce que pour pouvoir être reconnectée au réseau ansible lorsqu’il sera de nouveau opérationnel. Ce qui veut dire que je disparaîtrai. Et si je dois être sauvée, en gardant ma mémoire et mon caractère, quelle importance que ma volonté soit celle de Jane ou d’Ender ? Tu ne peux pas nous sauver toutes les deux.

— Comment en es-tu sûre ?

— De la même manière que toi quand tu affirmes comme des faits des choses dont personne ne peut rien savoir ! hurla Val. Je m’en remets à la raison ! Tout cela me paraît parfaitement sensé. Et en ce qui me concerne, ça me suffit.

— Pourquoi ne serait-il pas aussi sensé d’imaginer que tu puisses garder ta mémoire et la sienne en même temps ?

— Ce serait pour moi la folie assurée, tu ne crois pas ? répondit Val. Ainsi, je me rappellerais avoir été créée à bord d’un vaisseau spatial, avec comme premier souvenir tangible celui de t’avoir vu mourir pour renaître aussitôt. Mais je me souviendrais aussi des trois mille ans passés à vivre Dieu sait comment dans l’espace, sans corps physique – qui pourrait vivre avec de tels souvenirs ? Est-ce que tu y as pensé ? Comment un être humain pourrait-il contenir Jane et tout ce qu’elle représente, toute sa mémoire, tout ce qu’elle connaît et tous ses pouvoirs ?

— Jane est très puissante. Mais elle ne sait pas utiliser un corps. Elle ne possède pas cet instinct. Elle ne l’a jamais possédé. Il lui faudra ta mémoire. Et c’est pour cela qu’elle devra te maintenir intacte.

— Comme si tu en savais quelque chose.

— Je le sais. Je ne sais ni comment ni pourquoi, mais je le sais.

— Et moi qui pensais que les hommes étaient censés être les plus rationnels, laissa-t-elle tomber d’un air méprisant.

— Personne n’est rationnel. Nous agissons tous parce que nous savons ce que nous voulons, et nous sommes persuadés qu’en agissant ainsi nous l’obtiendrons. Mais nous ne sommes jamais sûrs de rien ; c’est pour cela que nous justifions de manière rationnelle ce que nous allons faire avant même d’avoir une bonne raison de le faire.

— Jane est rationnelle. Et c’est aussi pour cela que mon corps ne saurait lui convenir.

— Jane n’est pas plus rationnelle qu’une autre. Elle est comme nous. Comme la Reine. Parce qu’elle est vivante. Les ordinateurs sont rationnels, je te l’accorde. On leur file des données, et en fonction d’elles, ils en tirent les seules conclusions possibles – mais cela implique qu’ils seront éternellement dépendants des informations et des programmes que nous voudrons bien leur donner. Nous, les espèces intelligentes, ne sommes pas les esclaves des données que nous recevons. Notre environnement nous inonde de données, nos gènes nous donnent des impulsions, mais nous n’agissons pas systématiquement selon ces données, nous n’obéissons pas systématiquement à nos besoins profonds. Nous faisons des bonds en avant. Nous connaissons ce qui ne peut être connu, et passons le restant de nos jours à justifier ce savoir. Je sais que ce que j’essaye de faire est possible.

— En fait, tu veux que ce soit possible.

— Peut-être. Mais ce n’est pas infaisable pour autant.

— Mais tu n’en sais rien.

— J’en sais autant que n’importe qui sur n’importe quel sujet. Le savoir n’est qu’une opinion à laquelle on se fie assez pour agir. Je ne suis pas sûr que le soleil se lèvera demain matin. Le Petit Docteur aura peut-être fait sauter la planète avant mon réveil. Un volcan peut très bien se réveiller sous nos pieds et nous réduire en cendres. Mais je veux croire qu’il y aura un lendemain, et j’agis en fonction de cette foi.

— Eh bien, moi je ne crois pas que remplacer Ender par Jane à l’intérieur de moi me laissera quoi que ce soit qui ressemble à une existence personnelle.

— Mais je sais – vraiment – que c’est là notre unique chance, parce que si nous ne te trouvons pas un autre aiúa, Ender finira par te faire disparaître, et si nous ne trouvons pas un corps physique pour Jane, elle aussi mourra. As-tu un meilleur plan à proposer ?

— Non, je n’en ai pas. Si Jane peut, d’une manière ou d’une autre, trouver refuge dans mon corps, qu’il en soit ainsi, car de sa survie dépendra aussi celle de trois espèces intelligentes. Je ne ferai donc rien pour t’en empêcher. Je n’en ai d’ailleurs pas la possibilité. Mais ne va pas t’imaginer un seul instant que j’espère survivre au processus. Tu vis avec cette illusion parce que tu ne peux pas supporter cette vérité fondamentale : je ne suis pas un véritable être humain. Je n’existe pas, je n’ai pas le droit d’exister, mon corps est donc disponible. Tu es convaincu de m’aimer et de tout tenter pour me sauver, mais tu connais Jane depuis plus longtemps que moi ; elle a été ta compagne d’infortune pendant les années où tu étais handicapé. Je peux donc comprendre que tu l’aimes et que tu sois prêt à tout pour la sauver, mais je refuse de jouer la comédie comme tu le fais. Ton plan consiste à me tuer en laissant Jane prendre ma place. Tu peux toujours appeler cela de l’amour, moi non.