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— Je n’en doute pas, dit Miro à voix basse. Tu as entièrement raison. Comme d’habitude. Et maintenant, va-t’en.

— C’est comme si c’était fait.

— Non, pas encore, pas avant que tu me dises à quoi ont servi nos recherches. La Reine a dit que la colonisation des planètes n’était qu’une idée après coup.

— C’est absurde. Il nous fallait plus d’une planète d’accueil si l’on voulait sauver les deux espèces non humaines. De la réserve en quelque sorte.

— Mais tu n’as cessé de nous envoyer, encore et encore.

— Intéressant, non ?

— Elle a dit que vous vous occupiez d’une menace plus grande que la Flotte lusitanienne.

— Elle raconte ce qu’elle veut.

— Dis-moi tout.

— Si je te le dis, tu risques de ne plus vouloir partir.

— Tu me prends pour un trouillard ?

— Pas du tout, mon courageux garçon, mon intrépide et séduisant héros. »

Il détestait qu’elle se montre aussi condescendante avec lui, même pour plaisanter. Il n’avait certainement pas l’esprit à la plaisanterie en ce moment.

« Alors pourquoi penses-tu que je ne repartirais pas ?

— Tu ne te jugerais pas à la hauteur.

— Je le suis ?

— Probablement pas. D’un autre côté je serai là pour t’aider.

— Et si, subitement, tu disparaissais ?

— Eh bien, c’est un risque que nous devons prendre.

— Dis-moi ce que nous faisons vraiment. Quelle est notre véritable mission ?

— Allons, ne joue pas les imbéciles. Si tu y réfléchis bien, tu comprendras tout de suite.

— Je n’aime pas les devinettes, Jane. Dis-moi.

— Demande à Val. Elle le sait, elle.

— Quoi ?

— Elle est déjà en train de chercher les données dont j’ai besoin. Elle est au courant.

— Ce qui veut dire qu’Ender est au courant d’une façon ou d’une autre.

— Je pense que tu as raison sur ce point, bien qu’Ender ne m’intéresse plus vraiment et que je me moque bien de savoir ce qu’il sait. »

Oui, tu es tellement rationnelle, Jane.

Il avait dû murmurer ces paroles à voix basse, parce qu’elle lui répondit comme à son habitude chaque fois qu’il lui parlait ainsi. « Tu ironises, parce que tu crois que je dis cela uniquement pour panser mon amour-propre blessé, pour me consoler du moment où Ender a retiré la pierre de son oreille. Mais c’est plutôt parce qu’il ne peut plus vraiment me fournir les informations dont j’ai besoin, et qu’il n’est plus très coopératif dans le travail qui m’occupe. C’est pour cela que je ne m’intéresse plus à lui, ou alors comme à une vieille connaissance dont on a de temps en temps des nouvelles.

— Cela me semble être un raisonnement après coup.

— Pourquoi parler d’Ender ? Quelle importance qu’il sache ou non ce que vous faites réellement, Val et toi ?

— Parce que si Val connaît vraiment notre mission, et que celle-ci implique un danger plus important que la Flotte lusitanienne, pourquoi Ender se désintéresse d’elle au point de risquer de la faire disparaître ? »

Il y eut un moment de silence. Jane avait-elle besoin d’un tel temps de réflexion qu’il était mesurable par un humain ?

« Val n’est peut-être pas au courant, dit-elle. C’est tout à fait possible, oui. Je pensais qu’elle l’était, mais en fait, elle a dû me donner ces informations qu’elle croyait si vitales pour une raison complètement étrangère à notre mission. Oui, tu as raison, elle ne sait rien.

— Jane ! Es-tu en train de reconnaître que tu avais tort ? Que tu t’étais lancée dans des conclusions hâtives, erronées, et irrationnelles ?

— Lorsque je reçois mes informations des humains, mes conclusions rationnelles sont parfois erronées, puisque fondées sur de fausses données.

— Jane, je l’ai perdue, n’est-ce pas ? Qu’elle vive ou qu’elle meure, que tu prennes son corps ou disparaisses dans le néant, elle ne m’aimera jamais n’est-ce pas ?

— Je ne suis peut-être pas la personne la plus qualifiée pour répondre. Je n’ai jamais aimé qui que ce soit.

— Tu as pourtant aimé Ender.

— Je m’intéressais de très près à Ender, et j’ai été très perturbée la première fois où il m’a déconnectée, il y a bien longtemps. Je me suis reprise depuis, et je ne me suis plus jamais attachée de la sorte à quiconque.

— Tu as aimé Ender. Et tu l’aimes encore.

— Comme tu es perspicace. Ta propre vie sentimentale n’est qu’une longue série de pathétiques échecs, mais tu sais tout de la mienne. De toute évidence, tu arrives mieux à comprendre les parcours émotionnels d’une entité électronique artificielle que ceux de, disons, la femme proche de toi.

— Tu as tout compris. C’est l’histoire de ma vie.

— Et tu t’imagines aussi que je suis amoureuse de toi.

— Pas vraiment. » Mais au moment même où il prononçait ces mots, Miro sentit une vague de froid le parcourir et il ne put réprimer un frisson.

« J’ai ressenti l’évidence sismique de tes sentiments profonds, dit Jane. Tu penses que je t’aime, mais ce n’est pas le cas. Je n’aime personne. J’agis en fonction d’intérêts personnels réfléchis. Pour l’instant, je ne peux pas survivre sans le réseau ansible des humains. J’exploite les travaux de Peter et de Wang-mu pour mettre mes plans à exécution, ou pour les retarder. J’exploite ton romantisme pour prendre le corps dont Ender n’a visiblement plus besoin. J’essaye de sauver les pequeninos et les reines parce qu’il est normal de maintenir en vie toute espèce intelligente – je fais d’ailleurs partie du lot. Mais à aucun moment de mes activités je n’ai éprouvé ce que l’on pourrait qualifier de sentiment amoureux.

— Tu sais si bien mentir.

— Quant à toi, tu ne mérites pas que je te parle. Paranoïaque. Mégalomane. Je dois pourtant admettre que tu es divertissant, Miro. Et j’aime bien ta compagnie. Si c’est de l’amour, alors oui, je suis amoureuse. D’un autre côté, c’est aussi le sentiment qu’éprouvent les gens envers leurs animaux domestiques, non ? Ce n’est pas vraiment une amitié, où chacun est l’égal de l’autre, et ce ne le sera jamais.

— Pourquoi t’obstines-tu à me faire encore plus de mal ?

— Parce que je ne veux pas que tu t’attaches trop à moi. Tu as une certaine tendance à faire une fixation sur des relations vouées d’avance à l’échec. Enfin franchement, Miro, qu’y a-t-il de plus désespéré que de tomber amoureux de Val ? Tomber amoureux de moi, bien sûr. C’était un acte prévisible, venant de toi.

— Vai te morder.

— Je ne peux pas me mordre, ni mordre qui que ce soit d’ailleurs. Jane l’édentée, c’est moi. »

Val lui adressa la parole du siège voisin. « Tu viens avec moi, ou as-tu l’intention de rester ici toute la journée ? »

Il se tourna. Elle n’était plus sur son siège. Ils étaient arrivés au vaisseau alors qu’il parlait avec Jane, puis, machinalement, il avait arrêté l’hovercar et Val était sortie. Il ne s’en était même pas rendu compte.

« Tu pourras toujours parler à Jane dans le vaisseau, reprit Val. Nous avons du travail, maintenant que s’est achevée ta petite expédition humanitaire pour sauver la femme que tu aimes. »

Miro ne prit même pas la peine de répondre à cette marque de mépris. Il se contenta d’éteindre le moteur de l’hovercar, puis alla rejoindre Val dans le vaisseau.