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— Tu as encore regardé des vidéos ?

— J’ai fait un peu de lecture. Pour tout dire, j’ai lu quelques articles de Grace Drinker.

— Ah ! Tu en avais donc entendu parler.

— Je ne savais pas qu’elle était samoane. Elle ne parle jamais d’elle. Si tu veux apprendre quoi que ce soit sur Malu et la place qu’il occupe dans la culture samoane sur Pacifica – peut-être devrions-nous l’appeler Lumana’i, comme eux –, il faut que tu lises Grace Drinker, ou ses citations, ou des extraits de débats. Elle a écrit un article sur Atatua, c’est comme cela que j’ai découvert ses livres. Elle a aussi décrit l’impact de la philosophie de l’Ua Lava sur le peuple samoan. À mon avis, lorsque Aimaina a commencé à étudier l’Ua Lava, il a lu certains de ses ouvrages, puis lui a écrit pour lui poser des questions, et c’est comme ça que leur amitié est née. Mais le lien qui la relie à Malu n’a rien à voir avec l’Ua Lava. Il est le symbole de quelque chose de plus ancien que l’Ua Lava, mais l’Ua Lava en dépend toujours, en tout cas ici, sur sa terre natale. »

Peter la fixa un long moment. Elle sentait qu’il la considérait différemment, constatant finalement qu’elle n’était pas sans cervelle et pouvait éventuellement se montrer utile. Eh bien, tant mieux Peter, pensa Wang-mu. Tu es vraiment malin de te rendre enfin compte que j’avais un esprit analytique en plus de l’esprit intuitif, gnomique et mantique pour lequel tu avais décrété que j’étais faite.

Peter s’arracha à son fauteuil. « Allons la rencontrer. Allons citer son œuvre. Allons débattre avec elle. »

La Reine était immobile. Son travail de ponte était terminé pour la journée. Ses ouvrières dormaient au cœur de la nuit, même si ce n’était pas l’obscurité qui les avait arrêtées dans la caverne où elle vivait. Elle avait plutôt besoin d’être seule avec ses pensées, de mettre de côté toutes les distractions occasionnées par la vue, les sons, les bras et les jambes de ses ouvrières. Toutes lui demandaient son attention, du moins de temps en temps, afin de travailler correctement ; mais elle avait aussi besoin de toutes ses forces mentales pour plonger dans son esprit et arpenter les réseaux que les humains appelaient « philotiques ». L’arbre-père Humain lui avait expliqué un jour que dans une des langues humaines, cela avait un rapport avec l’amour. Les liens de l’amour. Mais la Reine n’était pas dupe. L’amour était l’accouplement bestial des faux-bourdons. L’amour était le code génétique de toute créature éprouvant le besoin de se reproduire encore et toujours. Le lien philotique se plaçait sur un autre plan. Il y avait un composant volontaire, lorsqu’il s’agissait d’une espèce intelligente. Celle-ci pouvait déclarer sa loyauté à qui elle voulait. C’était un sentiment plus noble encore que l’amour, car il en ressortait autre chose qu’une descendance hasardeuse. Lorsque la loyauté soudait les créatures entre elles, celles-ci en ressortaient grandies, neuves, entières, de manière inexplicable.

« Je suis liée à toi, par exemple », avait-elle dit à Humain, pour amorcer la conversation ce soir-là. Ils parlaient ainsi tous les soirs, d’un esprit à l’autre, bien qu’ils ne se soient jamais rencontrés. Comment l’auraient-ils pu, elle, nichée en permanence au cœur de sa demeure obscure, et lui, planté aux portes de Milagre ? Mais la conversation de l’esprit était plus réelle que n’importe quelle autre langue, et ils se connaissaient mieux ainsi que par le regard ou le toucher.

« Tu commences toujours en plein milieu d’une pensée, lui dit Humain.

— Mais tu arrives toujours à la rattacher à ce qu’il y a autour, alors quelle différence cela fait-il ? » Puis elle lui raconta ce qui s’était passé dans la journée entre elle, Val et Miro.

« J’en ai entendu des bribes, dit Humain.

— J’ai dû crier pour me faire entendre. Ils ne sont pas comme Ender, ils sont bornés et durs d’oreille.

— Alors, tu penses pouvoir y arriver ?

— Mes filles sont faibles et inexpérimentées, et trop occupées à la ponte dans leurs nouvelles demeures. Comment pouvons-nous tendre un piège efficace pour capturer un aiúa ? Surtout si celui-ci a déjà un foyer. Et où est ce foyer ? Où est le pont que ma mère avait fabriqué ? Où est cette Jane ?

— Ender est en train de mourir. »

La Reine comprit qu’il s’agissait d’une réponse à sa question.

« Quelle partie de lui ? J’ai toujours pensé qu’il était comme la plupart d’entre nous. Je ne serais pas surprise qu’il soit le premier humain à pouvoir contrôler plus d’un corps comme nous le faisons.

— Difficilement. En fait, il en est incapable. Il a négligé son vieux corps depuis que les autres existent. Nous avons même pensé un instant qu’il finirait par tuer Val. Mais maintenant le problème semble réglé.

— Tu en es sûr ?

— Ela, sa fille adoptive, est venue me voir. Son corps est en train de se détériorer de manière étrange. Il ne s’agit pas d’un virus connu. Il a simplement un problème d’oxygénation. Il n’arrive pas à sortir du coma. La sœur d’Ender, Valentine, dit qu’il s’occupe tellement de ses autres corps qu’il ne trouve pas le temps de s’occuper du sien. Son corps est donc en train de s’affaiblir par endroits. Et cela commence par les poumons. Peut-être d’autres parties sont-elles concernées, mais ce sont les poumons qui montrent les premiers signes.

— Il faut qu’il fasse attention. Sinon il risque de mourir.

— C’est bien ce que j’ai dit, lui rappela doucement Humain. Ender est en train de mourir. »

La Reine avait déjà fait le rapprochement qu’espérait Humain. « Il s’agit donc bien plus qu’un simple piège pour attraper l’aiúa de cette Jane. Nous devons aussi prendre l’aiúa d’Ender et le transférer dans un de ses corps.

— Sinon, à sa mort, ils risqueront tous de mourir. Comme lorsqu’une reine meurt et que toutes ses ouvrières la suivent dans la mort.

— Certaines survivent un certain temps, mais en substance, c’est exact. Ne serait-ce que parce que les ouvrières n’ont pas la capacité de contenir l’esprit d’une reine.

— Ne vous avancez pas trop. Aucune de vous n’a jamais essayé.

— Non. Nous ne craignons pas la mort.

— C’est pour cela que tu as envoyé tes filles de planète en planète ? Parce que la mort ne t’inquiète pas ?

— Je sauve mon espèce et non moi-même, si tu fais bien attention.

— Moi aussi. En plus, mes racines sont trop profondes pour que je puisse être transplanté ailleurs.

— Ender, lui, n’a pas de racines.

— Je me demande s’il a envie de mourir. Je ne pense pas. Il n’est pas en train de mourir parce qu’il n’a plus envie de vivre. Son corps se meurt parce qu’il a perdu tout intérêt pour la vie qu’il mène. Mais il veut encore vivre la vie de Peter. Et aussi celle de Val.

— C’est ce qu’il dit ?

— Il ne peut pas parler. Il n’a jamais trouvé les liens philotiques. Il n’a jamais trouvé le moyen de se connecter comme nous, les arbres-pères. Comme toi avec tes ouvrières et avec moi en ce moment même.

— Nous l’avons pourtant déjà trouvé une fois. Contacté grâce au pont, suffisamment pour entendre ses pensées et voir à travers ses yeux. Et pendant cette période, il a rêvé de nous.

— Il a rêvé de vous, mais n’a pas compris que vous étiez pacifiable. Il n’a pas compris qu’il ne fallait pas vous tuer.

— Il ne savait pas que le jeu était réel.

— Ni que les rêves l’étaient aussi. À sa façon, il fait preuve d’une certaine sagesse, mais enfant, il n’a jamais remis ses sens en question.

— Et si je te montrais comment rejoindre un réseau, Humain ?