Wang-mu reconnut là une forme de capitulation et fut heureuse de constater que tous acquiesçaient en silence sans que l’on se sente obligé de faire un bon mot.
Elle ajouta : « Nous sommes aussi extrêmement reconnaissants que le grand sage ait bien voulu sacrifier de son temps, avec beaucoup d’autres, pour venir personnellement à notre rencontre et nous inonder de son immense sagesse, bien que nous en soyons indignes. »
À son grand dam, Grace éclata de rire au lieu d’acquiescer respectueusement.
« Tu as un peu forcé la dose, dit Peter.
— Ne la critiquez pas. Elle est chinoise. De La Voie, c’est bien ça ? Et je parie que vous étiez servante. Comment pourriez-vous faire la différence entre respect et obséquiosité ? Les maîtres se contentent rarement du simple respect de leurs serviteurs.
— Mon maître si, dit Wang-mu, cherchant à défendre Han Fei-Tzu.
— Le mien aussi, conclut Grace. Comme vous le constaterez bientôt. »
« C’est l’heure », dit Jane.
Miro et Val levèrent la tête, les yeux fatigués, des documents qu’ils étudiaient sur l’ordinateur de Miro, pour apercevoir, au-dessus de l’écran de Val, le visage virtuel de Jane qui les observait.
« Ils nous ont laissés les observer suffisamment longtemps, dit Jane. Mais trois vaisseaux viennent à l’instant de quitter la couche supérieure de l’atmosphère et se dirigent vers nous. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’armes téléguidées, mais je n’en suis pas sûre. Ils semblent aussi nous envoyer des sortes de messages, toujours les mêmes, qui reviennent en boucle.
— Quel genre de messages ?
— Le truc à base de molécules génétiques. Je peux vous donner la composition des molécules, mais je n’ai aucune idée de ce qu’elles signifient.
— Quand vont-ils nous intercepter ?
— Dans trois minutes, à peu de chose près. Ils sont en train de zigzaguer, sans doute parce qu’ils ont quitté le puits de gravité. »
Miro acquiesça. « Ma sœur Quara pensait que le virus de la descolada était en partie une forme de langage. Je pense aujourd’hui que nous pouvons conclure qu’elle avait raison. Il y a bien un sens à tout ceci. Mais je pense qu’elle avait tort en affirmant que ce virus était intelligent. À mon avis, le virus de la descolada a systématiquement reconstruit les parties de lui-même qui constituaient un rapport.
— Un rapport, reprit Val. Ce n’est pas impossible. Ceci afin de rendre compte à ses créateurs de tout ce qu’il a accompli sur les planètes qu’il a… sondées.
— La question qui se pose maintenant, dit Miro, c’est de savoir si nous nous contentons de disparaître en les laissant s’interroger sur notre arrivée et notre départ soudains. Ou si nous laissons Jane leur transmettre l’intégralité du… heu… texte de la descolada.
— C’est dangereux, dit Val. Le message qu’il contient peut aussi indiquer à ces gens tout ce qu’ils ont envie de savoir sur la génétique humaine. Après tout, nous faisons partie des créatures sur lesquelles la descolada a fonctionné, et son message les renseignera sur les stratégies employées pour lutter contre elle.
— Sauf la dernière, dit Miro. Parce que Jane ne leur enverra pas la descolada telle qu’elle existe aujourd’hui, c’est-à-dire parfaitement sous contrôle – ce qui les inciterait à la modifier pour contrer notre défense.
— Nous ne leur enverrons aucun message, et nous ne retournerons pas sur Lusitania non plus, dit Jane. Nous n’avons plus le temps.
— Nous n’avons pas non plus le temps de ne pas réagir, dit Miro. La situation a beau te sembler des plus urgentes, Jane, Val et moi ne pouvons continuer sans aide extérieure. Celle de ma sœur Ela, par exemple, qui connaît bien le virus. Et il y a Quara, qui est peut-être la deuxième plus grosse tête de mule que je connaisse – et ne cherche pas la flatterie, Val, en me demandant qui est la première –, mais dont nous pourrions bien avoir besoin.
— Et soyons honnêtes, dit Val. Nous sommes sur le point de rencontrer une autre espèce intelligente. Pourquoi les humains devraient-ils être les seuls représentés ? Pourquoi pas un pequenino ? Ou une reine – du moins une ouvrière ?
— Surtout une ouvrière, dit Miro. Si nous devons être coincés ici, la présence d’une ouvrière nous permettra de garder le contact avec Lusitania – réseau ansible ou non, Jane ou pas, des messages pourraient être…
— Très bien, dit Jane. Vous m’avez convaincue. Même l’agitation récente au sein du Congrès Stellaire me fait penser qu’ils risquent de fermer le réseau ansible à tout moment.
— Nous nous dépêcherons, dit Miro. Nous leur demanderons de se presser pour faire monter ceux dont nous avons besoin à bord.
— Ainsi que des réserves en quantité suffisante, dit Val. Et des…
— Alors faites, dit Jane. Vous venez de quitter l’orbite de la planète de la descolada. Et je leur ai transmis une infime partie du virus. Celle que Quara avait identifiée comme langage, mais qui a subi le moins de modifications lors de sa lutte contre les humains. Ce devrait être suffisant pour leur indiquer quelle est celle de leurs sondes qui nous a atteints.
— Parfait, comme ça ils pourront nous envoyer une flotte, dit Miro.
— Vu la tournure que prennent les événements, avant qu’une quelconque flotte puisse arriver où que ce soit, Lusitania est l’adresse la plus sûre qu’on puisse leur donner, dit Jane d’un ton sec. Parce qu’elle n’existera plus.
— J’aime ton optimisme, dit Miro. Je reviens dans une heure avec tout le monde. Val, occupe-toi des réserves dont nous avons besoin.
— J’en prévois pour combien de temps ?
— Charge au maximum. Comme quelqu’un l’a dit l’autre jour, la vie est une mission suicide. Nous ne savons pas combien de temps nous allons être coincés là-bas, il est donc difficile de savoir de quelle quantité nous aurons besoin. » Il ouvrit la porte du vaisseau et se retrouva sur le terrain d’atterrissage près de Milagre.
7
« Je lui offre ce pauvre vieux vaisseau »
La pirogue glissait vers la grève. Au début, et pendant un long moment, on aurait dit qu’elle faisait du surplace tant sa vitesse était faible ; les rameurs à l’horizon paraissaient seulement un peu plus gros chaque fois que Wang-mu réussissait à les apercevoir par-dessus les vagues. Puis, alors qu’elle arrivait à destination, la pirogue parut soudain énorme. Elle semblait prendre de la vitesse, survoler la crête des vagues, bondir vers le rivage à chaque rouleau. Wang-mu avait beau savoir qu’elle n’allait pas plus vite qu’auparavant, elle eut envie de crier à ses occupants de ralentir, de faire attention ; la pirogue allait trop vite pour être contrôlée, elle allait certainement s’écraser sur la grève.