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« J’aimerais que tu partes, lui dit Humain. Je préfère te savoir vivante. »

Mais pour une fois, elle ne lui répondit pas.

Jane était inflexible. L’équipe travaillant sur le langage des descoladores devait quitter Lusitania et retourner en orbite autour de leur planète. Bien sûr, cela l’incluait, mais personne n’avait la bêtise de contester la survie de la seule personne capable de transporter tous les vaisseaux, ainsi que celle de l’équipe qui pouvait sauver l’humanité des descoladores. Mais Jane se plaça sur un terrain moral plus glissant en insistant pour que Novinha, Grego, Ohaldo et la famille de ce dernier soient emmenés en lieu sûr. Valentine fut aussi informée que si elle ne suivait pas son mari et sa famille ainsi que leur équipe et leurs amis dans le vaisseau de Jakt, Jane serait obligée de gâcher une énergie précieuse pour les transporter physiquement contre leur volonté, et sans vaisseau s’il le fallait.

« Pourquoi nous ? demanda Valentine. Nous n’avons demandé aucun traitement de faveur.

— Je me moque de savoir ce que vous avez demandé ou non, dit Jane. Tu es la sœur d’Ender. Novinha, sa veuve, et ses enfants sont ses enfants adoptifs. Je ne resterai pas les bras croisés quand j’ai le pouvoir de sauver la famille de mon ami. Si cela te paraît un traitement de faveur injuste, tu pourras toujours venir te plaindre plus tard, mais dans l’immédiat, embarquez tous dans le vaisseau de Jakt pour que je puisse vous faire quitter cette planète. Et tu pourras sauver d’autres vies en ne me faisant pas perdre davantage de temps et d’énergie dans des discussions stériles. »

Un peu honteuse de bénéficier d’un tel privilège, mais néanmoins reconnaissante de pouvoir être sauvée, elle et ses proches, l’équipe des descoladores se regroupa dans la navette, désormais transformée en vaisseau, que Jane avait éloignée de la zone d’atterrissage grouillante de monde. Les autres se précipitèrent vers le vaisseau de Jakt, qu’elle avait aussi déplacé vers un secteur isolé.

D’une certaine manière, pour bon nombre d’entre eux, l’apparition de la flotte était presque un soulagement. Ils avaient vécu si longtemps dans l’ombre de sa menace, que sa présence mettait un terme à leur angoisse. En l’espace d’une heure ou deux, leur sort serait décidé.

La navette se déplaçait à grande vitesse le long de l’orbite de la planète des descoladores. À l’intérieur, Miro, l’air abattu, était assis devant son ordinateur. « Je n’arrive pas à travailler, finit-il par dire. Je n’arrive pas à me concentrer sur un langage quand mon peuple et ma demeure sont sur le point d’être détruits. » Il savait que Jane, sanglée à sa couchette à l’arrière de la navette, utilisait toute son énergie pour déplacer les vaisseaux de Lusitania vers d’autres colonies mal préparées à les recevoir. Alors que tout ce qu’il pouvait faire de son côté, c’était de se creuser la tête sur des messages moléculaires d’extraterrestres invisibles.

« Eh bien moi, si, dit Quara. Après tout, ces descoladores représentent un danger important, pas seulement pour une seule planète mais pour l’humanité tout entière.

— Quelle preuve de sagesse que de prendre un peu de distance par rapport à tout cela, dit Ela sèchement.

— Regarde ces messages que nous recevons des descoladores, reprit Quara. Peux-tu reconnaître ce que je vois ici ? »

Ela fit apparaître les données de Quara sur son propre écran ; Miro l’imita. Quara avait beau être une peste, elle dominait son sujet.

« Vous voyez ? Quoi que fasse cette molécule, elle est conçue pour travailler dans la même zone du cerveau que la molécule d’héroïne. »

Il était indéniable que tout concordait parfaitement. Ela, en revanche, avait du mal à y croire. « Ils n’ont pu réussir à faire cela qu’en s’inspirant des informations historiques contenues dans la description de la descolada que nous leur avons envoyée. Puis ils ont utilisé ces informations pour fabriquer un corps humain, l’ont étudié, et ont fini par trouver une composante chimique susceptible de nous immobiliser dans une espèce de joie béate et de nous réduire du même coup à leur merci. Mais il est impossible qu’ils aient pu fabriquer un corps humain si peu de temps après l’envoi de notre message.

— Peut-être n’ont-ils pas besoin de fabriquer un corps entier, dit Miro. Ils sont peut-être suffisamment calés en lecture d’information génétique pour pouvoir en extraire toutes les informations concernant l’anatomie, la physiologie et la génétique humaine.

— Mais ils n’avaient même pas nos codes ADN, objecta Ela.

— Peut-être peuvent-ils extraire l’information nécessaire de notre ADN primitif, dans son état naturel, dit Miro. De toute évidence, ils ont réussi à avoir cette information d’une manière ou d’une autre et ils ont trouvé un moyen de nous rendre aussi rigides que des statues, un sourire idiot aux lèvres.

— Ce qui me paraît encore plus évident, dit Quara, c’est qu’ils avaient en vue que nous lisions ces molécules de manière biologique. Que nous prenions instantanément cette drogue. En ce qui les concerne, nous sommes coincés ici, immobiles, attendant qu’ils viennent nous chercher. »

Miro changea immédiatement les données inscrites sur son écran.

« Bon Dieu, Quara, tu as raison. Regarde : trois de leurs vaisseaux se dirigent vers nous.

— Ils ne nous avaient jamais approchés jusque-là, dit Ela.

— Eh bien, ce n’est pas maintenant qu’ils vont le faire, dit Miro. On va leur montrer qu’on ne s’est pas laissé piéger par leur cheval de Troie. » Il quitta son siège pour se précipiter au fond du couloir, là où Jane se trouvait. « Jane ! cria-t-il avant même d’arriver jusqu’à elle. Jane ! »

Il lui fallut quelques instants pour se réveiller, puis elle cligna des yeux.

« Jane, dit-il. Déplace-nous de quelques centaines de kilomètres et place-nous sur une orbite plus proche. »

Elle le considéra, perplexe, puis lui fit manifestement confiance puisqu’elle ne lui posa aucune question. Elle ferma les yeux de nouveau, alors que Coupe-Feu s’écriait de la salle de contrôle : « Elle a réussi ! Nous avons bougé ! »

Miro revint tranquillement vers les autres. « Maintenant, je sais qu’ils ne peuvent pas faire cela », dit-il. En effet, son écran lui signalait que les vaisseaux extraterrestres n’avançaient plus vers eux, mais stationnaient prudemment à une vingtaine de kilomètres de là, orientés dans trois – non quatre – directions différentes. « Nous sommes au beau milieu d’un tétraèdre, observa Miro.

— Eh bien, maintenant ils savent que nous n’avons pas succombé à leur drogue mortellement hilarante, dit Quara.

— Mais nous ne pouvons toujours pas les comprendre.

— Parce que nous sommes franchement stupides, déclara Miro.

— Ce n’est pas en s’autoflagellant que nous allons faire avancer les choses, dit Quara. Même si dans ton cas, ça peut fonctionner.

— Quara ! s’exclama Ela.

— C’était pour rire, bon sang ! Si on ne peut plus taquiner son grand frère.

— C’est vrai, dit Miro d’un ton sec. Tu es une telle boute-en-train…