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— À faire du désherbage.

— À séparer les mauvaises herbes des bonnes, je crois. Les gens auront de meilleures pommes de terre parce que j’aurai enlevé les mauvaises herbes. Je n’ai pas besoin d’être d’une quelconque importance ou de me faire remarquer pour être satisfaite de ma vie. Pourtant, tu viens ici me rappeler que même ma quête de bonheur finira tôt ou tard par blesser quelqu’un.

— Ça ne se produira pas. Parce que je t’accompagne. Je vais rejoindre les Filhos avec toi. C’est un ordre qui impose le mariage et nous sommes mariés. Sans moi tu ne peux pas les rejoindre, et tu as besoin de les rejoindre. Avec moi, tu le pourras. Peut-on faire plus simple ?

— Plus simple ? » Elle secoua la tête. « Que tu ne croies pas en Dieu, ce n’est pas un problème peut-être ?

— Mais je crois en Dieu moi aussi ! protesta Ender.

— Tu es sans doute prêt à admettre l’existence de Dieu, mais ce n’est pas ce que je voulais dire par là. Je parlais de croire en Lui comme lorsqu’une mère dit à son fils qu’elle croit en lui. Elle ne veut pas dire par là qu’elle croit en son existence – quel intérêt ? Ce qu’elle veut dire c’est qu’elle croit en son avenir, qu’elle est convaincue qu’il accomplira tout ce qu’il y a de bon en lui. Elle lui met son avenir entre les mains, voilà comment elle croit en lui. Tu ne peux pas croire au Christ comme tu le fais, Andrew. Tu crois toujours en toi-même. Et aux autres. Tu as envoyé tes représentants, ces enfants que tu as créés lors de ton séjour en enfer… tu es peut-être avec moi entre ces murs, en cet instant, mais ton cœur est là-bas, explorant de nouvelles planètes et essayant d’arrêter la flotte. Tu ne laisses rien à Dieu. Tu ne crois pas en Lui.

— Excuse-moi, mais si Dieu veut tout faire lui-même, pourquoi nous a-t-il créés ?

— En effet, je crois me souvenir qu’un de tes parents était un hérétique ; c’est sans doute de là que tu tiens toutes ces idées saugrenues. » C’était une vieille plaisanterie entre eux, mais cette fois ni l’un ni l’autre n’eut envie de rire.

« Je crois en toi, dit Ender.

— Mais c’est Jane que tu écoutes. »

Il plongea la main dans sa poche pour lui montrer ce qu’il venait d’y trouver. C’était un bijou, que prolongeaient quelques fils d’une extrême finesse. Comme un organisme palpitant qui aurait été arraché à la vie de son habitat délicat dans les profondeurs de la mer. Elle le contempla un instant, sans comprendre, puis se rendit compte de ce que c’était et regarda l’oreille qui avait porté le joyau le reliant à Jane pendant toutes ces années, Jane l’ordinateur devenu vivant, celle qui avait été sa plus vieille, plus chère et plus fidèle compagne.

« Andrew, non, pas pour moi, tu n’y penses pas.

— Je ne peux pas vraiment dire que ces murs me coupent du monde, pas tant que Jane pouvait me parler à l’oreille. Je lui en ai parlé. Je lui ai expliqué. Elle me comprend. Nous sommes toujours amis, mais nous ne sommes plus des compagnons.

— Oh, Andrew… » Laissant couler ses larmes, Novinha le prit dans ses bras et le serra contre elle. « Si seulement tu avais fait cela quelques années plus tôt, ou même quelques mois.

— Je ne crois peut-être pas au Christ comme toi. Mais n’est-ce pas suffisant que je croie en toi, et toi en Lui ?

— Ta place n’est pas ici, Andrew.

— Elle l’est plus qu’ailleurs, puisque tu y es. Ce n’est pas tant une lassitude du monde que j’éprouve, qu’un manque de motivation, Novinha. J’en ai assez de prendre des décisions. J’en ai assez d’essayer de tout résoudre.

— Nous sommes en train d’essayer de résoudre quelque chose ici même, dit-elle en se reculant.

— Mais ici nous pouvons être, non pas l’esprit, mais les enfants de l’esprit. Nous pouvons être les mains et les pieds, les lèvres et la langue. Nous pouvons agir, mais nous n’avons aucun pouvoir de décision. » Il se mit à genoux, puis s’assit à même le sol, au milieu de jeunes pousses qui le chatouillaient. Il porta ses mains sales à son visage et se frotta les yeux, ce en quoi il ne fit que rajouter de la boue sur de la terre.

« Oh, je voudrais tant te croire, Andrew, tu sais si bien t’y prendre. Tu as donc décidé de ne plus être le héros de ta propre aventure ? Ou est-ce là une autre de tes ruses ? Devenir le serviteur de tous pour pouvoir être le meilleur d’entre nous ?

— Tu sais, je n’ai jamais cherché l’excellence, je ne l’ai d’ailleurs jamais atteinte.

— Oh, Andrew, tu es un tel fabulateur que tu finis par croire en tes propres contes de fées. »

Ender plongea son regard dans le sien. « Je t’en prie, Novinha, laisse-moi vivre ici avec toi. Tu es ma femme. Ma vie n’a aucun sens si je dois te perdre.

— Nous vivons ici comme mari et femme, mais nous ne faisons pas… enfin, tu sais bien…

— Je sais que les Filhos désavouent les relations sexuelles. Je suis ton mari. Si je dois me passer de relations sexuelles, autant que ce soit avec toi. » Il eut un sourire désabusé.

Celui qu’elle lui retourna n’exprimait que tristesse et compassion.

« Novinha, reprit-il, ma propre vie ne m’intéresse plus. Tu peux comprendre cela ? La seule vie qui m’intéresse dans ce monde, c’est la tienne. Si je devais te perdre, qu’est-ce qui pourrait me retenir ici ? »

Il n’était pas certain de ce qu’il cherchait à dire. Les mots étaient venus spontanément. Mais il savait en les formulant qu’il ne cherchait pas à s’apitoyer sur son sort, mais plutôt à voir la vérité en face. Non qu’il ait envisagé le suicide, l’exil ou toute autre solution dramatique. Il avait plutôt l’impression de s’effacer. De lâcher prise en quelque sorte. Lusitania lui paraissait de moins en moins réelle. Valentine était toujours ici, sa chère sœur, son amie, solide comme un roc, menant une vie tout ce qu’il y avait de réel, mais elle ne lui paraissait pas réelle, puisqu’elle n’avait pas besoin de lui. Plikt, la disciple dont il n’avait jamais vraiment voulu, avait peut-être besoin de lui, mais pas de la réalité qui était sienne, seulement de l’idée qu’elle s’en faisait. Qui d’autre y avait-il ? Les enfants de Novinha et de Libo, ces enfants qu’il avait élevés comme les siens, qu’il aimait toujours, même s’ils étaient désormais adultes et n’avaient plus besoin de lui. Jane, qu’il avait pour ainsi dire détruite à cause d’une heure d’inattention de sa part, elle non plus n’avait plus besoin de lui, puisqu’elle se trouvait maintenant dans les joyaux que Miro et Peter portaient à l’oreille…

Peter. La jeune Valentine. D’où venaient-ils ? Ils lui avaient pris son âme lorsqu’ils étaient partis. Ils accomplissaient ce qu’il aurait dû lui-même accomplir à une certaine époque. Alors qu’il patientait sur Lusitania… à se sentir lâcher prise. Voilà ce qu’il cherchait à dire. S’il perdait Novinha, qu’est-ce qui pourrait bien le lier au corps qu’il avait traîné dans l’univers pendant des milliers d’années ?

« La décision ne dépend pas de moi, dit Novinha.

— Elle dépend de toi si tu souhaites que je t’accompagne comme membre des Filhos da Mente de Cristo. Si tu le souhaites, je pense pouvoir franchir les autres obstacles. »

Elle eut un rire mauvais. « Les obstacles ? Pour les hommes comme toi, les obstacles sont de simples pierres de gué.

— Les hommes comme moi ?

— Oui, comme toi. Ce n’est pas parce que je n’en ai pas rencontré d’autres ; ni parce que Libo, aussi grand qu’ait pu être mon amour pour lui, n’a jamais été aussi vivant dans toute une vie que tu peux l’être en l’espace d’une minute ; ni parce que je me suis mise à aimer en adulte pour la première fois lorsque je t’ai aimé ; ni parce que tu m’as manqué plus que mes propres enfants, mes parents ou les autres amours disparus de ma vie ; ni parce que je ne peux pas rêver de quelqu’un d’autre que toi… ce n’est pas pour ça qu’il n’existe pas quelque part une autre personne comme toi. L’univers est vaste. Tu ne peux tout de même pas être unique à ce point, non ? »