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Plikt continua ainsi, rappelant des incidents et des souvenirs, des anecdotes et autres paroles fondamentales ; les gens réunis passèrent du rire aux larmes, puis de nouveau au rire, et gardèrent le silence à plusieurs reprises pour relier ces souvenirs à leurs propres vies. Comme je ressemble à Ender, se disaient-ils parfois, et à d’autres moments, Dieu merci, ma vie ne ressemble pas à la sienne !

Valentine, en revanche, connaissait des histoires dont Plikt ne parlerait pas, car elle ne les connaissait pas, ou du moins, ne pouvait les appréhender sous le regard du souvenir. Ce n’étaient pas des anecdotes importantes. Elles ne révélaient aucune vérité cachée. C’étaient de simples vestiges de moments passés ensemble. Des conversations, des disputes, des moments tendres et drôles sur les différentes planètes qu’ils avaient visitées ou à bord de vaisseaux lors de ces déplacements. Et au cœur de tout cela, il y avait les souvenirs d’enfance. Le bébé dans les bras de la mère de Valentine. Père le lançant en l’air. Ses premiers mots, ses premiers balbutiements. Pas de aga-aga pour bébé Ender ! Il voulait plus de syllabes pour s’exprimer : dadou-dadou. Wagada wagada. Pourquoi est-ce que je me souviens de ce langage de bébé ?

Le bébé à l’adorable visage, plein de vie. Des larmes d’enfant à cause d’une chute. Un rire pour les raisons les plus futiles – une chanson, un visage familier, parce que la vie était tendre et pure en ce temps-là, et que rien ne lui avait encore fait de mal, il était entouré d’amour et d’espoir. Les mains qui le touchaient étaient douces et puissantes à la fois, et il pouvait leur faire confiance. Oh, Ender, pensa Valentine. J’aurais tant voulu que ta vie soit aussi heureuse qu’à cette époque. Mais il n’en est jamais ainsi. Le langage nous vient, et avec lui les mensonges, les menaces, la cruauté et les désillusions. On arrive à marcher, et nos pas nous éloignent du havre protecteur de la famille. Pour préserver le bonheur de son enfance, il faudrait mourir quand on est enfant, ou vivre comme un enfant, sans jamais devenir adulte, sans jamais grandir. C’est pour cela que je pleure l’enfant disparu, sans pour autant regretter l’homme de bonté rongé par la souffrance et le remords, ce qui ne l’empêchait pas de se montrer bon envers moi et envers les autres. Celui que j’aimais, que j’ai presque connu. Presque, mais pas tout à fait.

Valentine laissa ses larmes couler en se remémorant ces souvenirs alors que les mots de Plikt résonnaient encore, la touchant par moments, et à d’autres non, car elle en savait beaucoup plus sur Ender que tous ceux qui étaient présents, et elle avait perdu bien plus qu’eux en le perdant. Plus que Novinha, assise au premier rang, ses enfants autour d’elle. Valentine l’observa alors que Miro passait son bras autour des épaules de sa mère, tout en tenant Jane de son autre main. Valentine remarqua aussi comment Ela prenait la main d’Ohaldo pour l’embrasser. Comment Grego, la larme à l’œil, posait sa tête sur l’épaule de sa sœur Quara, au visage si dur, et comment Quara l’étreignait pour le réconforter. Ils aimaient Ender eux aussi, et ils le connaissaient ; mais dans leur douleur, ils se reposaient les uns sur les autres, en famille suffisamment forte parce que Ender en avait fait partie et les avait guéris, ou du moins les avait mis sur la voie de la guérison. Novinha survivrait, et dépasserait peut-être sa colère à cause des sales tours que la vie lui avait joués. Perdre Ender n’était peut-être pas la pire chose qui lui soit arrivée ; d’une certaine manière, c’était même la meilleure, car c’était elle qui l’avait laissé partir.

Valentine regarda les pequeninos assis parmi les humains ou à part. Pour eux, cet endroit était un lieu doublement sacré, où les quelques restes d’Ender allaient bientôt reposer. Entre les arbres de Rooter et d’Humain, là où Ender avait versé le sang d’un pequenino pour sceller le pacte entre les différentes espèces. Il y avait beaucoup d’amitiés qui s’étaient créées entre pequeninos et humains, même si certaines craintes et inimitiés persistaient, mais les ponts avaient été construits, en grande partie grâce au livre d’Ender qui donnait aux pequeninos l’espoir qu’un jour, peut-être, un humain les comprendrait ; espoir auquel ils s’étaient accrochés jusqu’à ce qu’Ender en fasse une réalité.

Il y avait aussi une ouvrière, totalement inexpressive, assise à quelques mètres de là, sans aucun humain ni pequenino à côté d’elle. Elle n’était qu’un regard. Si la Reine pleurait Ender, elle ne le montrait pas. Elle faisait toujours autant de mystères, mais Ender l’avait aimée elle aussi ; elle avait été sa seule amie pendant trois mille ans, sa seule protection. Ender pouvait même, d’une certaine manière, la considérer comme l’un de ses enfants adoptifs qu’il avait toujours protégés, il ne fallut que trois quarts d’heure à Plikt pour terminer son discours. Elle conclut simplement :

« Même si l’aiúa d’Ender continue de vivre, comme le font tous les aiúas, l’homme tel que nous le connaissions n’est plus avec nous. Son corps n’est plus, et quels que soient les éléments de sa vie et de son œuvre que nous garderons, ils ne seront plus lui, mais nous, ils seront ce qu’il reste d’Ender en nous comme nous avons en nous nos amis, nos professeurs, nos pères et nos mères, nos compagnons ou compagnes, notre descendance, et même les étrangers qui regardent le monde à travers nos yeux et nous aident à lui donner un sens. Dans vos yeux je vois Ender qui me regarde. Comme vous voyez Ender vous regarder à travers les miens. Et pourtant aucun d’entre nous n’est vraiment lui ; nous sommes tous nous-mêmes, tous des étrangers sur nos propres chemins. Nous avons parcouru ce chemin avec Ender Wiggin pendant quelque temps. Il nous a montré ce que nous n’aurions peut-être pas vu autrement. Mais le chemin continue sans lui désormais. En fin de compte, il ne valait pas mieux qu’un autre. Mais il ne valait pas moins non plus. »

Puis ce fut terminé. Pas de prière – elles avaient été dites avant qu’elle ne parle, car le prêtre n’avait pas l’intention de laisser cette cérémonie païenne faire partie du culte de l’Église de la Sainte Mère. Les gens avaient déjà pleuré et surmonté la douleur. Ils se relevèrent du sol, les plus vieux courbaturés, les enfants agités, courant et criant pour se défouler après cette longue attente. Il était bon d’entendre des rires et des cris. C’était aussi une belle façon de dire au revoir à Ender Wiggin.

Valentine embrassa Jakt et ses enfants, puis Wang-mu, et poursuivit son chemin à travers la foule compacte. Tant d’humains avaient fui Lusitania pour aller sur d’autres colonies ; mais maintenant que leur planète était sauvée, bon nombre d’entre eux choisissaient de ne pas rester sur leurs planètes d’accueil. Lusitania était leur foyer. Ce n’étaient pas des pionniers. Beaucoup d’autres, cependant, étaient simplement venus assister à la cérémonie. Jane les renverrait à leurs fermes ou leurs maisons dans les territoires encore vierges. Il faudrait une génération ou deux avant que Milagre ne se repeuple.

Peter l’attendait dans la véranda. Valentine lui sourit. « Je crois que tu as un rendez-vous », dit-elle.

Ils quittèrent Milagre ensemble pour se diriger vers la nouvelle forêt qui n’arrivait pas à masquer les traces du dernier incendie. Ils marchèrent jusqu’à un grand arbre lumineux. Ils arrivèrent presque en même temps que ceux qui venaient de quitter le lieu de l’enterrement. Jane s’approcha de l’arbre-mère flamboyant et le toucha – et par ce geste, c’était une partie d’elle-même qu’elle touchait, ou du moins celle d’une sœur adorée. Puis Peter prit place à côté de Wang-mu, Miro en fit autant avec Jane, et le prêtre maria les deux couples sous l’arbre-mère, sous les yeux de quelques pequeninos et de Valentine, seul témoin humain de cette cérémonie. Personne d’autre ne savait qu’elle avait lieu. Il n’aurait pas été correct, pensaient-ils, que le mariage détourne l’attention des gens de l’enterrement et du discours de Plikt. Il serait toujours temps de leur annoncer les mariages.