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- Pendant qu'Arnal demandera son recours en grâce, nous pourrons préparer l'action, reprend Jacques.

- Sa démanderoun beaucoup plus dil temps, murmure Charles dans sa langue étrange.

- Et en attendant, on ne fait rien ? intervient Catherine qui est la seule à avoir compris ce qu'il disait.

Jan réfléchit et continue d'arpenter la pièce.

- Il faut agir maintenant. Puisqu'ils ont condamné Marcel, condamnons aussi l'un des leurs.

Demain, nous descendrons un officier allemand en pleine rue et nous diffuserons un tract pour expliquer notre action.

Je n'ai certes pas une grande expérience des actions politiques, mais une idée me trotte dans la tête et je me risque à parler.

- Si on veut vraiment leur foutre la trouille, le mieux serait encore de balancer les tracts d'abord, et de descendre l'officier allemand après.

- Et comme ça ils seront tous sur leurs gardes.

Tu as d'autres idées de ce genre ? reprend Emile qui semble décidément en pétard contre moi.

- Elle n'est pas mauvaise, mon idée, pas si les actions sont séparées de quelques minutes et exé-

cutées dans le bon ordre. Je m'explique. En dézin-guant le Boche d'abord et en balançant le tract après, nous passerons pour des lâches. Aux yeux de la population, Marcel a d'abord été jugé et ensuite Page 17

Levy Marc - les enfants de la liberté seulement condamné.

Je doute que La Dépêche fasse état de la condamnation arbitraire d'un partisan héroïque. Ils vont annoncer qu'un terroriste a été condamné par un tribunal. Alors jouons avec leurs règles, la ville doit être avec nous, pas contre nous.

Emile a voulu me couper la parole, mais Jan lui a fait signe de me laisser parler. Mon raisonnement était logique, ne me restait plus qu'à trouver les mots justes pour expliquer à mes copains ce que j'avais en tête.

- Imprimons dès demain matin un communiqué annonçant qu'en représailles de la condamnation de Marcel Langer, la Résistance a condamné à mort un officier allemand. Annonçons aussi que la sentence sera appliquée dès l'après-midi. Moi, je m'occupe de l'officier, et vous, au même moment, vous balancez le tract partout. Les gens en prendront connaissance tout de suite, tandis que la nouvelle de l'action mettra beaucoup plus de temps à se répandre en ville. Les journaux n'en parleront que dans l'édition du lendemain, la bonne chronologie des événements sera respectée, en apparence.

Jan consulte tour à tour les membres de la tablée, son regard finit par croiser le mien. Je sais qu'il adhère à mon raisonnement, à un détail près, peut-être : il a un peu tiqué au moment où j'ai lancé dans la foulée que j'abattrais moi-même l'Allemand.

De toute façon, s'il hésite trop, j'ai un argument irréfutable ; après tout, l'idée est de moi, et puis j'ai volé ma bicyclette, je suis en règle avec la brigade.

Jan regarde Emile, Alonso, Robert, puis Catherine qui acquiesce d'un signe de tête. Charles n'a rien perdu de la scène. Il se lève, se dirige sous l'appentis de l'escalier et revient avec une boîte à chaussures. Il me tend un revolver à barillet.

- Ce soir, il soura mieux que ta frèro et tu, dorme là.

Jan s'approche de moi.

- Toi, tu seras le tireur, toi l'Espagnol, dit-il en désignant Alonso, le guetteur, et toi le plus jeune, tu tiendras la bicyclette dans le sens de la fuite.

Voilà. Bien sûr, dit comme ça, c'est anodin, sauf que Jan et Catherine sont repartis vers la nuit, et moi j'avais maintenant un pistolet dans la main avec six balles et mon couillon de petit frère qui voulait voir comment ça marchait. Alonso s'est penché vers moi et m'a demandé comment Jan savait qu'il était espagnol, alors qu'il n'avait pas dit un mot de la soirée. « Et comment savait-il que le tireur ce serait moi ? » ai-je dit en haussant les épaules. Je n'avais pas répondu à sa question mais le silence de mon copain témoignait que ma question avait dû l'emporter sur la sienne.

Ce soir-là, nous avons dormi pour la première fois dans la salle à manger de Charles. Je me suis couché crevé, mais quand même avec un sacré poids sur la poitrine ; d'abord la tête de mon petit frère qui avait pris la sale habitude de s'endormir collé à moi depuis qu'on était séparés des parents, et pire encore, le pistolet à barillet dans la poche gauche de mon veston. Même si les balles n'étaient pas dedans, j'avais peur que dans mon sommeil, il troue la tête de mon petit frère.

Dès que tout le monde s'est endormi pour de vrai, je me suis levé sur la pointe des pieds et je suis sorti dans le jardin à l'arrière de la maison. Charles avait un chien aussi gentil qu'il était con.

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Levy Marc - les enfants de la liberté Je pense à lui parce que cette nuit-là, j'avais rudement besoin de son museau d'épagneul. Je me suis assis sur la chaise sous la corde à linge, j'ai regardé le ciel et j'ai sorti le pétard de ma poche. Le chien est venu renifler le canon, alors je lui ai caressé la tête en lui disant qu'il serait bien le seul qui pourrait de mon vivant renifler le canon de mon arme. J'ai dit ça parce qu'à ce moment j'avais vraiment besoin de me donner une contenance.

Une fin d'après-midi, en volant deux vélos, j'étais entré dans la Résistance, et c'est seulement en entendant le ronflement d'enfant au nez bouché de mon petit frère que je m'en étais rendu compte.

Jeannot, brigade Marcel Langer ; pendant les mois à venir, j'allais faire sauter des trains, des pylônes électriques, saboter des moteurs et des ailes d'avions.

J'ai fait partie d'une bande de copains qui est la seule à avoir réussi à descendre des bombardiers allemands... à bicyclette.

4.

C'est Boris qui nous a réveillés. Le jour se lève à peine, les crampes tenaillent mon estomac mais je ne dois pas écouter sa complainte, nous n'aurons pas de petit déjeuner. Et puis j'ai une mission à remplir.

C'est peut-être la peur, plus que la faim, qui me noue le ventre. Boris prend place à la table, Charles est déjà au travail ; la bicyclette rouge se transforme sous mes yeux, elle a perdu ses poignées en cuir, elles sont maintenant dépareillées, l'une est rouge, l'autre bleue. Tant pis pour l'élégance de mon vélo, je me rends à la raison, l'important est que l'on ne reconnaisse pas les bécanes volées. Pendant que Charles vérifie le mécanisme du dérailleur, Boris me fait signe de le rejoindre.

- Les plans ont changé, dit-il, Jan ne veut pas que vous partiez tous les trois. Vous êtes novices et, en cas de coup dur, il veut qu'un ancien soit là en renfort.

Je ne sais pas si cela signifie que la brigade ne me fait pas encore assez confiance. Alors je ne dis rien et je laisse parler Boris.

- Ton frère restera là. C'est moi qui t'accompa-gnerai, j'assurerai ta fuite. Maintenant écoute-moi bien, voilà comment les choses doivent se dérouler.

Pour descendre un ennemi, il y a une méthode et il est très important de la respecter à la lettre. Tu m'écoutes ?

Je fais oui de la tête, Boris a dû percevoir que l'espace d'un instant mon esprit est ailleurs. Je pense à mon petit frère ; il va faire une de ces têtes, quand il apprendra qu'il est écarté du coup. Et je ne pourrai même pas lui avouer que cela me rassure de savoir que, ce matin, sa vie ne sera pas en danger.

Ce qui me rassure doublement, c'est que Boris est étudiant en troisième année de médecine, alors si je suis blessé à l'action, il pourra peut-être me sauver, même si c'est complètement idiot, parce que, en action, le plus grand risque n'est pas d'être blessé mais de se faire arrêter ou tuer tout simplement, ce qui finalement revient au même dans la plupart des cas.

Tout ça étant dit, j'avoue que Boris n'avait pas tort, j'avais peut-être la tête un peu ailleurs pendant qu'il me parlait; mais, à ma décharge, j'ai toujours eu un fâcheux penchant à la rêverie, déjà mes professeurs disaient que j'étais d'une nature distraite.