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Isacco, au premier rang, presque en contact avec lui, lui murmura entre ses dents : « Prêtre vendu ».

Mercurio feignit de n’avoir pas entendu. Puis il accueillit l’entrée de Benedetta comme s’ils étaient à un rendez-vous mondain, en l’escortant personnellement jusqu’au pupitre.

Benedetta s’avança avec suffisance. En montant au pupitre, elle jeta un regard plein de haine à Giuditta.

« Où avez-vous dit que vous habitiez ? », demanda aussitôt Mercurio.

Benedetta se retourna d’un coup. « Je ne l’ai pas dit », répondit-elle, tendue. Le Saint l’avait mise en garde. Son lien avec le prince Contarini ne devait jamais apparaître.

Le patriarche sursauta sur son siège et se pencha vers Giustiniani : « Vous avez averti cet imbécile que le nom de mon neveu et de ma famille ne doit être cité en aucune manière ? demanda-t-il, alarmé.

— Bien sûr, Patriarche, répondit Giustiniani. Et je ne comprends pas… »

Mercurio se retourna brusquement vers le patriarche, les yeux écarquillés, pour faire croire que le maladroit père Wenceslao, une fois de plus, s’était trompé. Il agita les mains en l’air, bouche ouverte, puis bafouilla, confus : « D’ailleurs, en effet, quelle importance, l’endroit où vous habitez ? » Il regarda Benedetta puis de nouveau le patriarche. « N’ai-je pas raison, Excellence ? »

Les gens rirent encore.

Le patriarche, la mâchoire crispée, ne répondit pas.

« Oui, bien sûr…, balbutia Mercurio. Enfin, non, je voulais dire… Qu’est-ce que je voulais dire ? »

Benedetta haussa le sourcil. « Peut-être vouliez-vous que je pose moi-même les questions ? », suggéra-t-elle, en se tournant vers la salle.

Le public éclata d’un rire bruyant.

Isacco regarda Giuditta. Elle ne lui semblait pas aussi inquiète qu’elle aurait dû l’être. Sa fille gardait la main sur la joue, et sa lèvre avait saigné. Mais Isacco n’avait pas l’impression qu’elle se touchait comme si elle avait mal. On aurait presque cru qu’elle caressait sa peau rougie.

« Ah oui, voilà ! s’exclama Mercurio tout à coup en se donnant une tape sur le front. Voilà, répéta-t-il. Je me demandais, Excellence, dit-il en s’adressant au patriarche, comment on fait pour monter une accusation de sorcellerie… »

Le public s’agita.

« Que voulez-vous dire ? fit le Saint.

— Rien, pour l’amour de Dieu… répondit Mercurio en s’inclinant devant le Saint. C’est juste qu’étant inexpert en matière de procès, comme je vous l’ai dit, j’ai essayé de comprendre comment… comment… Eh bien, je ne sais pas bien expliquer, mais je voudrais demander au témoin… s’il connaît l’accusée, voilà. »

Benedetta le regarda avec un mépris mal dissimulé. « Bien sûr. Elle m’a vendu ses robes ensorcelées.

— Je veux dire, la connaissiez-vous avant ? », demanda Mercurio.

Benedetta haussa les épaules. « Plus ou moins…

— Plus ou moins…, répéta Mercurio, songeur. Par plus ou moins entendez-vous que vous et Giuditta da Negroponte êtes arrivées ensemble à Venise, en voyageant dans le chariot des vivres du capitaine Lanzafame, de retour de la bataille de Marignan, par exemple ? »

Benedetta se raidit. Elle regarda le Saint.

« Quel rapport ? dit le Saint avec arrogance.

— Je ne sais pas s’il y a un rapport… », fit Mercurio, toujours avec son attitude peu assurée, en se tournant vers le patriarche.

Le patriarche regarda la foule. Tous les regards étaient tournés vers lui. Il se rendit compte qu’il n’avait pas le choix. « Eh bien, essayez de le savoir, maudit père Wenceslao ! », s’anima-t-il, feignant de plaisanter.

Le public sourit de la plaisanterie, mais la tension était palpable.

« Je proteste ! », intervint le Saint.

Le patriarche le foudroya du regard. “Trop tard, imbécile !”, maugréa-t-il intérieurement.

« Je me demandais, avait repris entre-temps Mercurio, s’adressant à Benedetta, si vous vous rappelez, chère jeune fille, qu’il y avait avec vous un petit voyou nommé… nommé… Zolfo ! Voilà, Zolfo ! Et s’il est vrai que ce même Zolfo a essayé de poignarder l’accusée Giuditta da Negroponte et…

— Non ! s’exclama Benedetta. Elle ment !

— Sur quel point, exactement ? demanda Mercurio en s’avançant vers le capitaine Lanzafame. Je veux dire… nous avons ici le capitaine, le héros de la bataille de Marignan, qui pourrait confirmer…

— Elle ment en disant que…, intervint Benedetta, qui se sentait le dos au mur.

— En disant que…, reprit Mercurio, qui lui fit signe de continuer.

— Que… que Zolfo était un voyou. C’était juste un jeune garçon…

— Mais il a tenté de la poignarder.

— Peut-être… Je ne me rappelle pas bien… »

Mercurio boita vers le public qui bourdonnait, comprenant qu’il se passait quelque chose de nouveau dans ce procès jusque là à sens unique. « Vous ne vous rappelez pas bien si un de vos amis voulait poignarder une jeune fille qui est à présent enfermée ici dans une cage, accusée d’être une sorcière et…

— C’est une sorcière ! s’écria Benedetta. Elle désigna Giuditta en regardant le public. C’est une sorcière ! »

Mais les gens, cette fois, ne s’enflammèrent pas. Pour la plupart, ils ne se tournèrent même pas vers Giuditta. Tous les yeux étaient fixés sur Benedetta.

« Que voulez-vous démontrer, père Wenceslao ? intervint le Saint.

— C’est justement ce que je cherche à comprendre, frère Amadeo, répondit Mercurio, en tapant son index sur sa tempe. Par exemple… Bon, c’est une chose sur laquelle je dois vous demander conseil. » Il feignit de se concentrer, à la recherche des mots justes. « Pardonnez-moi, Inquisitor, reprit-il, mais ce garçon qui a tenté de poignarder l’accusée, celui qui voyageait avec votre témoin oublieux… s’appelle… Zolfo, comme… » Il fit un pas vers le Saint, ses yeux voilés de cataracte tournés vers le public. « C’est-à-dire, que ce Zolfo, qui a le nom du parfum de Satan, est celui-là même qui habite avec vous et qui vous accompagne dans vos prêches ?

— Quel rapport ? fit le Saint, haussant les épaules comme s’il s’agissait d’une peccadille.

— Rien, pour l’amour de Dieu, dit tout de suite Mercurio. Je cherche seulement à comprendre combien de coïncidences il y a dans cette histoire… »

Le public s’agita.

« Sommes-nous sûrs que le père Wenceslao est un imbécile ? », demanda tout bas le patriarche à Giustiniani.

Celui-ci ne répondit pas. Admiratif, il regardait Mercurio tisser sa trame d’une main sûre.

« Ce n’est qu’une putain ! hurla tout à coup Benedetta. Rien qu’une putain ! Sorcière ! Sorcière ! »

Les gens ne la suivirent pas.

Mercurio attendit que le silence revienne. Un silence lourd de tensions. Puis, d’un pas hésitant, il alla jusqu’au pupitre et monta la première marche. « Pourquoi exactement serait-elle une putain ? », demanda-t-il.

Benedetta secoua la tête. Elle regarda vers le Saint, cherchant de l’aide.

« Parce qu’elle a un homme que vous auriez voulu avoir ? », lui demanda Mercurio.

Les gens dans la salle murmurèrent, surpris.

« C’est elle qui t’a dit ça, curé ? répondit Benedetta, le regard enflammé. C’est des conneries. Elle veut protéger son cul…

— Modérez votre langage, jeune fille ! », intervint le patriarche.

Benedetta, le visage rouge, n’arrivait plus à se contrôler.

Mercurio se tourna vers Giuditta et lui fit un petit signe imperceptible.