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Le bonhomme fut tenté de répliquer mais obéit, lâchant le garçon. Celui-ci s’élança aussitôt pour s’échapper. Mais le capitaine Lanzafame avait prévu la chose : avec une rapidité extraordinaire il se pencha, bras tendu dans une fente de spadassin, et frappa la jambe du gamin, lui faisant ainsi perdre l’équilibre. Le capitaine fut aussitôt sur lui, le prit sous les bras et le souleva d’un coup, sans effort. Puis il le reposa, comme s’il le plantait en terre.

« Ne bouge pas », lui intima-t-il. Sa voix était ferme et autoritaire.

Le petit voleur resta immobile.

« Comment tu t’appelles ? »

Le gamin serra les lèvres et regarda autour de lui.

« Comment tu t’appelles ? répéta le capitaine, d’un ton plus agressif.

— Il s’appelle Zolfo », dit une voix derrière eux.

Puis, du néant, surgit un jeune prêtre, avec une longue soutane noire à boutons rouges et un cœur sanglant couronné d’épines brodé sur la poitrine. Il portait un chapeau noir et brillant qu’il souleva en s’approchant. Derrière lui, une jeune fille, radieuse dans sa robe verte. Le capitaine nota sa peau couleur d’albâtre et ses longs cheveux cuivrés.

« Qui es-tu ? demanda le militaire, voyant que le prêtre était très jeune lui aussi.

— Je m’appelle Mercurio da San Michele », dit-il en venant se mettre sous le nez du capitaine, nullement impressionné. Puis il désigna Zolfo. « Pardonnez-lui, il n’a pas résisté aux affres de la faim. Nous avons marché toute la journée et nous n’avons pas pu trouver d’auberge dans ce brouillard. Nos chevaux et notre voiture nous ont été volés par des brigands, nous sommes vivants par miracle et…

— Tu es prêtre ?

— Non, je suis un novitium saecularis, je suis promis au Christ, notre Seigneur, répondit Mercurio en souriant. Et je suis le secrétaire de son Excellence Révérendissime l’Évêque de Carpi, Monsignor Tommaso Barca di Albissola, qui nous attend à Venise pour rencontrer ces deux malheureux frère et sœur, de la pieuse congrégation des Orphelins de San Michele Arcangelo, auxquels…

— Je ne connais aucun évêque à Venise du nom que tu as dit, fit le capitaine, soupçonneux.

— Parce que c’est à Carpi qu’il réside, répondit promptement Mercurio. Mais actuellement son Excellence est en visite à Venise, et c’est là que nous devons le rejoindre. »

Le capitaine le fixait en silence.

« Nous avons de l’argent pour payer la viande que ce garçon vous a volée », ajouta Mercurio.

Lanzafame ne prêta aucune attention à ce détail. « Et pourquoi ton évêque est-il si pressé de rencontrer ces deux orphelins ? demanda-t-il plutôt.

— Eh bien… c’est une affaire… ecclésiastique. Et privée. »

Le capitaine Lanzafame continua à le fixer.

« Il veut dire que ces deux-là sont les bâtards de l’évêque », dit le cuisinier en éclatant de rire, suivi des autres soldats.

Le capitaine foudroya ses hommes du regard. « Lequel d’entre vous connaît avec certitude son propre père ? Pourtant je ne vous ai jamais appelés bâtards. »

Les soldats baissèrent la tête.

Les yeux bleus du capitaine cherchèrent un instant la jeune fille à la peau d’albâtre.

Benedetta ne lui sourit pas. Mais son regard montrait du respect.

Le capitaine s’adressa de nouveau à Mercurio. Il avait l’air plus détendu. « Il aurait été plus prudent de nous demander de la nourriture. Au pire, vous auriez risqué un refus, mais pas la mort. Vous auriez pu être pris pour des espions ou des ennemis, vous vous en rendez compte ?

— Nous ne savions pas si, dans cette partie du monde, il y avait des personnes vivant dans la crainte de Dieu ou bien des barbares, dit Mercurio.

— Des barbares ? se mit à rire le capitaine. Tu me parais bien perdu, mon garçon. » Puis il se tourna vers le cuisinier. « Donnez-leur à manger. » Il fit mine de partir mais s’arrêta, revint sur ses pas et posa la main sur l’épaule de Mercurio, en l’emmenant à l’écart. « Tu es prêtre ou pas, en conclusion ?

— Pas encore, Excellence.

— Quoi qu’il en soit, mes hommes seront réconfortés d’avoir quelqu’un pour les bénir. Ils sont entre la vie et la mort, et ils voient des fantômes. Ils sont épouvantés, ils sentent le souffle du démon sur leur cou. Bénis-les et absous-les de tous leurs péchés. Tu connais bien quelques prières, non ?

— Oui, Excellence.

— Et cesse avec ton “Excellence”, je suis capitaine de la Sérénissime.

— Oui, capitaine. »

Lanzafame sourit. Ce petit curé lui plaisait. Il se dit qu’un garçon comme celui-là, prêtre, c’était du gâchis. Mais ce n’étaient pas ses affaires. « Donnola ! », cria-t-il, et quand l’autre apparut, il lui ordonna : « Emmène ce prêtre avec toi.

— Venez, mon père… enfin, mon garçon, se corrigea-t-il.

— Appelle-le comme un prêtre, Donnola. Sinon tu vas bientôt l’appeler l’Esprit Saint. »

Les soldats se mirent à rire. Donnola accompagna le jeune homme jusqu’au chariot où Isacco était déjà au travail.

Mercurio s’agenouilla aux côtés de l’homme que le docteur était en train de panser et pria. « Nous te supplions, Saint Michel Archange, que toi et tout le chœur des Archanges et les neuf chœurs des anges, ayez pitié de cet homme dans cette vie présente, et qu’il reste sous ta protection, toi le vainqueur de Satan, qu’il puisse jouir de tes divines bontés, avec toi, dans le Saint Paradis.

— Amen, murmura le blessé, et son visage s’apaisa. Merci, mon père. »

Puis Isacco se leva et alla vers un autre soldat, qui avait perdu connaissance. Mercurio s’agenouilla de nouveau près de lui.

« Tu es fort, mon garçon, murmura Isacco à Mercurio. Mais j’ai l’œil et je sais que tu n’es pas ce que tu dis être. »

Mercurio le regarda d’un air interrogateur, en se raidissant un peu.

« Tu es un imposteur », dit tout doucement Isacco.

Mercurio ne répondit pas. Il continuait de fixer le médecin.

« Mais je ne dirai rien, continua Isacco à mi-voix. Ces malheureux ont besoin d’un prêtre.

— Merci. » Sur le visage de Mercurio apparut un sourire, à peine esquissé. « J’étais dans les bois quand vous vous êtes mis à l’écart pour satisfaire un besoin naturel. »

Il regarda de nouveau Isacco dans les yeux, en silence.

« Et moi non plus, je ne dirai rien. » Le sourire de Mercurio s’élargit. « Ces malheureux ont besoin d’un docteur. »

Isacco le fixa, examina le jeune imposteur. Ce n’était pas une menace de sa part. Juste une manière de signifier, avec une grande efficacité, qu’il était loin d’être bête. Isacco éclata de rire.

Et Mercurio rit avec lui.

« Qu’y a-t-il à rire ? », demanda Donnola.

Isacco et Mercurio ne répondirent pas. Ils se regardaient dans les yeux et se reconnaissaient, amusés.

« Allons, faisons notre travail, dit enfin Isacco.

— Oui, dit Mercurio. Faisons notre travail. »

10

Benedetta et Zolfo avaient été emmenés au chariot des vivres.

« N’allez pas vous promener dans le camp », avait dit le capitaine Lanzafame, en regardant uniquement Benedetta.

Le chariot ressemblait à une petite maison à lui tout seul. Partout s’entassaient des barils noirs et des caisses. Au milieu, une jarre gigantesque en terre cuite était immobilisée par quatre cordes, nouées à des poteaux fixés au plancher et au toit. En temps de guerre, on protège plus le vin que la nourriture.