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— Mais comment tu fais pour croire à toutes ces bêtises ? dit Isacco en riant.

— Moi, j’y crois, intervint Giuditta. Père, tu ne vois pas que Ha-Shem nous bénit, qu’il nous envoie un signe ? dit-elle avec un sourire. Peut-être que c’est le dernier Qalonimus qui reste… et il me parlera de toi. Maintenant je suis sûre que tu seras avec moi. »

Isacco l’embrassa et sourit. « Comme c’est bizarre… Mais laisse Ha-Shem en dehors de ça, dit-il, d’un ton bonhomme. Je ne voudrais pas qu’il se rappelle que je suis un filou », ajouta-t-il à son oreille.

Zuan, pendant ce temps, avait passé au cou de Mercurio l’amulette qui avait enrichi Isacco autrefois.

« Ça pue… », dit Mercurio.

Isacco éclata de rire. « Ça doit être les crottes de chèvre. »

Giuditta lui envoya un coup de coude.

Puis, tout à coup, un grand silence tomba. Le soleil se couchait derrière les toits de Venise. Tout le monde baissa la tête. Il n’y eut plus un mot. Plus un sourire.

Le temps était venu.

« Vous devez y aller, fit Anna del Mercato. Bientôt il fera nuit. »

Mercurio la regarda, les yeux voilés de larmes.

Anna alla près de lui, lui passa le doigt sur les sourcils et l’embrassa. « Je suis fière de toi… père Wenceslao da Ugovizza. » Puis elle alla jusqu’à l’échelle et fut la première à descendre à terre.

Isacco la suivit, en silence.

« Docteur, dit Mercurio, faites-vous donner de l’argent par Isaia Saraval, l’usurier de Mestre. Il m’en doit. Utilisez-le pour l’hôpital. »

Isacco acquiesça. Mais une pensée encore le tourmentait.

Il fit demi-tour et se précipita vers Giuditta, la saisit aux épaules. « Je n’ai pas mal fait de t’emmener à Venise, n’est-ce pas ? »

Giuditta se tourna vers Mercurio. « Non, père. Au contraire.

— Ta mère serait fière de toi.

— Et elle est fière de toi, père », répondit Giuditta.

Alors Isacco l’embrassa une dernière fois, descendit à terre et rejoignit Anna del Mercato. À côté d’eux, les femmes des marins de Zuan. Elles étaient toutes vieilles et savaient qu’elles ne reverraient pas leur mari. Mais c’est une chose à laquelle toutes les femmes de marin sont préparées.

La caraque se détacha lentement du quai.

La chiourme de Zuan hissa les voiles.

Les bonevoglies, au rythme scandé par Tonio et Berto, plongèrent les rames dans l’eau de la lagune.

Zuan se mit au gouvernail.

Lanzafame se déplaça à tribord. Mosè, fou de joie, se mit à courir en rond sur le pont du navire en aboyant.

« Arrête, couillon ! », cria Zuan.

Puis, en craquant, comme les vieux os de son équipage, la caraque Shira prit le large et pointa vers la mer.

Aucun de ceux qui étaient à bord ne savait ce qui les attendait. Aucun ne connaissait le Nouveau Monde, ne savait s’ils y arriveraient ni ce qu’ils y trouveraient. Mais c’étaient des marins, et ils ne seraient pas morts contents s’ils n’avaient pas essayé.

Giuditta, quand on ne vit plus le squero de Zuan, à la poupe, prit une cuvette avec de l’eau, un linge et s’assit à côté de Mercurio. « Que tu es vilain, mon amour », lui dit-elle. Et elle commença à lui enlever doucement son maquillage.

Mercurio sourit, fatigué. Il avait les yeux brillants de fièvre.

« Pendant quelque temps, j’aimerais te reconnaître, dit Giuditta. Plus de déguisements. Promis ?

— Promis… »

Giuditta le regarda. « Tu m’as sauvé la vie. »

Mercurio la fixait en silence.

« Et tu me donnes une vie que je n’aurais jamais pu avoir. Tu es vraiment un filou… »

Mercurio lui prit la main, à grand-peine. La serra. Si faiblement qu’elle s’en émut.

Alors, pour ne pas pleurer, Giuditta regarda devant elle, au-delà de la proue du navire. Elle se rappela son arrivée à Venise. Quand son père et elle avaient débarqué de la galéasse macédonienne, à l’embouchure du Pô. Elle se rappela le fleuve qui s’était ouvert devant eux, mystérieux comme leur avenir. Elle se souvint d’avoir pensé que leur vie passée était terminée et qu’une nouvelle vie commençait. Avec de nouvelles règles.

Jamais elle n’aurait cru éprouver de nouveau ces sensations, et en si peu de temps.

Dans l’obscurité de la nuit elle regardait la mer en face d’elle, mystérieuse comme son avenir. Un moment, elle eut peur. Puis elle baissa les yeux sur Mercurio, qui dormait, une expression heureuse sur le visage, serrant encore sa main pour lui faire comprendre qu’ils allaient y arriver.

Alors Giuditta se sentit en sécurité.

Elle leva les yeux vers le ciel et la nuit, pointa le doigt vers la seule étoile qu’elle connaissait depuis l’enfance et dit : « Guide-nous ».