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– Je vous remercie, mylord, il faudra bien se résigner. Mais, on peut le dire, voilà une aventure extraordinaire, et il n’y a qu’à moi que ces choses arrivent. Et ma cabine qui est retenue à bord du Scotia!

– Ah! Quant au Scotia, je vous engage à y renoncer provisoirement.

– Mais, dit Paganel, après avoir examiné de nouveau le navire, le Duncan est un yacht de plaisance?

– Oui, monsieur, répondit John Mangles, et il appartient à son honneur lord Glenarvan.

– Qui vous prie d’user largement de son hospitalité, dit Glenarvan.

– Mille grâces, mylord, répondit Paganel; je suis vraiment sensible à votre courtoisie; mais permettez-moi une simple observation: c’est un beau pays que l’Inde; il offre aux voyageurs des surprises merveilleuses; les dames ne le connaissent pas sans doute… Eh bien, l’homme de la barre n’aurait qu’à donner un tour de roue, et le yacht le Duncan voguerait aussi facilement vers Calcutta que vers Concepcion; or, puisqu’il fait un voyage d’agrément…»

Les hochements de tête qui accueillirent la proposition de Paganel ne lui permirent pas d’en continuer le développement. Il s’arrêta court.

«Monsieur Paganel, dit alors lady Helena, s’il ne s’agissait que d’un voyage d’agrément, je vous répondrais: Allons tous ensemble aux grandes-Indes, et lord Glenarvan ne me désapprouverait pas. Mais le Duncan va rapatrier des naufragés abandonnés sur la côte de la Patagonie, et il ne peut changer une si humaine destination…»

En quelques minutes, le voyageur français fut mis au courant de la situation; il apprit, non sans émotion, la providentielle rencontre des documents, l’histoire du capitaine Grant, la généreuse proposition de lady Helena.

«Madame, dit-il, permettez-moi d’admirer votre conduite en tout ceci, et de l’admirer sans réserve. Que votre yacht continue sa route, je me reprocherais de le retarder d’un seul jour.

– Voulez-vous donc vous associer à nos recherches? demanda lady Helena.

– C’est impossible, madame, il faut que je remplisse ma mission. Je débarquerai à votre prochaine relâche…

– À Madère alors, dit John Mangles.

– À Madère, soit. Je ne serai qu’à cent quatre-vingts lieues de Lisbonne, et j’attendrai là des moyens de transport.

– Eh bien, Monsieur Paganel, dit Glenarvan, il sera fait suivant votre désir, et pour mon compte, je suis heureux de pouvoir vous offrir pendant quelques jours l’hospitalité à mon bord. Puissiez-vous ne pas trop vous ennuyer dans notre compagnie!

– Oh! Mylord, s’écria le savant, je suis encore trop heureux de m’être trompé d’une si agréable façon! Néanmoins, c’est une situation fort ridicule que celle d’un homme qui s’embarque pour les Indes et fait voile pour l’Amérique!»

Malgré cette réflexion mélancolique, Paganel prit son parti d’un retard qu’il ne pouvait empêcher.

Il se montra aimable, gai et même distrait; il enchanta les dames par sa bonne humeur; avant la fin de la journée, il était l’ami de tout le monde. Sur sa demande, le fameux document lui fut communiqué. Il l’étudia avec soin, longuement, minutieusement. Aucune autre interprétation ne lui parut possible. Mary Grant et son frère lui inspirèrent le plus vif intérêt.

Il leur donna bon espoir. Sa façon d’entrevoir les événements et le succès indiscutable qu’il prédit au Duncan arrachèrent un sourire à la jeune fille. Vraiment, sans sa mission, il se serait lancé à la recherche du capitaine Grant!

En ce qui concerne lady Helena, quand il apprit qu’elle était fille de William Tuffnel, ce fut une explosion d’interjections admiratives. Il avait connu son père. Quel savant audacieux! Que de lettres ils échangèrent, quand William Tuffnel fut membre correspondant de la société! C’était lui, lui-même, qui l’avait présenté avec M Malte-Brun! Quelle rencontre, et quel plaisir de voyager avec la fille de William Tuffnel!

Finalement, il demanda à lady Helena la permission de l’embrasser. À quoi consentit lady Glenarvan quoique de fût peut-être un peu «improper.»

Chapitre VIII Un brave homme de plus à bord du «Duncan»

Cependant le yacht, favorisé par les courants du nord de l’Afrique, marchait rapidement vers l’équateur. Le 30 août, on eut connaissance du groupe de Madère. Glenarvan, fidèle à sa promesse, offrit à son nouvel hôte de relâcher pour le mettre à terre.

«Mon cher lord, répondit Paganel, je ne ferai point de cérémonies avec vous. Avant mon arrivée à bord, aviez-vous l’intention de vous arrêter à Madère?

– Non, dit Glenarvan.

– Eh bien, permettez-moi de mettre à profit les conséquences de ma malencontreuse distraction. Madère est une île trop connue. Elle n’offre plus rien d’intéressant à un géographe. On a tout dit, tout écrit sur ce groupe, qui est, d’ailleurs, en pleine décadence au point de vue de la viticulture. Imaginez-vous qu’il n’y a plus de vignes à Madère! La récolte de vin qui, en 1813, s’élevait à vingt-deux mille pipes, est tombée, en 1845, à deux mille six cent soixante-neuf. Aujourd’hui, elle ne va pas à cinq cents! C’est un affligeant spectacle. Si donc il vous est indifférent de relâcher aux Canaries?…

– Relâchons aux Canaries, répondit Glenarvan. Cela ne nous écarte pas de notre route.

– Je le sais, mon cher lord. Aux Canaries, voyez-vous, il y a trois groupes à étudier, sans parler du pic de Ténériffe, que j’ai toujours désiré voir. C’est une occasion. J’en profite, et, en attendant le passage d’un navire qui me ramène en Europe, je ferai l’ascension de cette montagne célèbre.

– Comme il vous plaira, mon cher Paganel», répondit lord Glenarvan, qui ne put s’empêcher de sourire.

Et il avait raison de sourire.

Les Canaries sont peu éloignées de Madère. Deux cent cinquante milles à peine séparent les deux groupes, distance insignifiante pour un aussi bon marcheur que le Duncan.

Le 31 août, à deux heures du soir, John Mangles et Paganel se promenaient sur la dunette. Le français pressait son compagnon de vives questions sur le Chili; tout à coup le capitaine l’interrompit, et montrant dans le sud un point de l’horizon:

«Monsieur Paganel? dit-il.

– Mon cher capitaine, répondit le savant.

– Veuillez porter vos regards de ce côté. Ne voyez-vous rien?

– Rien.

– Vous ne regardez pas où il faut. Ce n’est pas à l’horizon, mais au-dessus, dans les nuages.

– Dans les nuages? J’ai beau chercher…

– Tenez, maintenant, par le bout-dehors de beaupré.

– Je ne vois rien.

– C’est que vous ne voulez pas voir. Quoi qu’il en soit, et bien que nous en soyons à quarante milles, vous m’entendez, le pic de Ténériffe est parfaitement visible au-dessus de l’horizon.»

Que Paganel voulût voir ou non, il dut se rendre à l’évidence quelques heures plus tard, à moins de s’avouer aveugle.

«Vous l’apercevez enfin? lui dit John Mangles.