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«Fermez le robinet!» cria le major, qui, aidé des deux matelots, accourut et combla le trou de débris ponceux, tandis que Paganel, considérant d’un air singulier ce phénomène, murmurait ces mots:

«Tiens! Tiens! Hé! Hé! Pourquoi pas?

– Vous n’êtes pas blessé? demanda Mac Nabbs à Olbinett.

– Non, Monsieur Mac Nabbs, répondit le stewart, mais je ne m’attendais guère…

– À tant de bienfaits du ciel! s’écria Paganel d’un ton enjoué. Après l’eau et les vivres de Kara-Tété, le feu de la terre! Mais c’est un paradis que cette montagne! Je propose d’y fonder une colonie, de la cultiver, de nous y établir pour le reste de nos jours! Nous serons les Robinsons du Maunganamu! En vérité, je cherche vainement ce qui nous manque sur ce confortable cône!

– Rien, s’il est solide, répondit John Mangles.

– Bon! Il n’est pas fait d’hier, dit Paganel. Depuis longtemps il résiste à l’action des feux intérieurs, et il tiendra bien jusqu’à notre départ.

– Le déjeuner est servi», annonça Mr Olbinett, aussi gravement que s’il eût été dans l’exercice de ses fonctions au château de Malcolm.

Aussitôt les fugitifs, assis près de la palissade, commencèrent un de ces repas que depuis quelque temps la providence leur envoyait si exactement dans les plus graves conjonctures.

On ne se montra pas difficile sur le choix des aliments, mais les avis furent partagés touchant la racine de fougère comestible. Les uns lui trouvèrent une saveur douce et agréable, les autres un goût mucilagineux, parfaitement insipide, et une remarquable coriacité. Les patates douces, cuites dans le sol brûlant, étaient excellentes. Le géographe fit observer que Kara-Tété n’était point à plaindre.

Puis, la faim rassasiée, Glenarvan proposa de discuter sans retard, un plan d’évasion.

«Déjà! dit Paganel, d’un ton véritablement piteux. Comment, vous songez déjà à quitter ce lieu de délices?

– Mais, Monsieur Paganel, répondit lady Helena, en admettant que nous soyons à Capoue, vous savez qu’il ne faut pas imiter Annibal!

– Madame, répondit Paganel, je ne me permettrai point de vous contredire, et puisque vous voulez discuter, discutons.

– Je pense tout d’abord, dit Glenarvan, que nous devons tenter une évasion avant d’y être poussés par la famine. Les forces ne nous manquent pas, et il faut en profiter. La nuit prochaine, nous essayerons de gagner les vallées de l’est en traversant le cercle des indigènes à la faveur des ténèbres.

– Parfait, répondit Paganel, si les maoris nous laissent passer.

– Et s’ils nous en empêchent? dit John Mangles.

– Alors, nous emploierons les grands moyens, répondit Paganel.

– Vous avez donc de grands moyens? demanda le major.

– À n’en savoir que faire!» répliqua Paganel sans s’expliquer davantage.

Il ne restait plus qu’à attendre la nuit pour essayer de franchir la ligne des indigènes.

Ceux-ci n’avaient pas quitté la place. Leurs rangs semblaient même s’être grossis des retardataires de la tribu.

Çà et là, des foyers allumés formaient une ceinture de feux à la base du cône. Quand les ténèbres envahirent les vallées environnantes, le Maunganamu parut sortir d’un vaste brasier, tandis que son sommet se perdait dans une ombre épaisse.

On entendait à six cents pieds plus bas l’agitation, les cris, le murmure du bivouac ennemi.

À neuf heures, par une nuit très noire, Glenarvan et John Mangles résolurent d’opérer une reconnaissance, avant d’entraîner leurs compagnons sur cette périlleuse route. Ils descendirent sans bruit, pendant dix minutes environ, et s’engagèrent sur l’étroite arête qui traversait la ligne indigène, à cinquante pieds au-dessus du campement.

Tout allait bien jusqu’alors. Les maoris, étendus près de leurs brasiers, ne semblaient pas apercevoir les deux fugitifs, qui firent encore quelques pas.

Mais soudain, à gauche et à droite de la crête, une double fusillade éclata.

«En arrière! dit Glenarvan, ces bandits ont des yeux de chat et des fusils de riflemen!»

John Mangles et lui remontèrent aussitôt les roides talus du mont, et vinrent promptement rassurer leurs amis effrayés par les détonations.

Le chapeau de Glenarvan avait été traversé de deux balles. Il était donc impossible de s’aventurer sur l’interminable crête entre ces deux rangs de tirailleurs.

«À demain, dit Paganel, et puisque nous ne pouvons tromper la vigilance de ces indigènes, vous me permettrez de leur servir un plat de ma façon!»

La température était assez froide. Heureusement, Kara-Tété avait emporté dans sa tombe ses meilleures robes de nuit, de chaudes couvertures de phormium dont chacun s’enveloppa sans scrupule, et bientôt les fugitifs, gardés par la superstition indigène, dormaient tranquillement à l’abri des palissades, sur ce sol tiède et tout frissonnant de bouillonnements intérieurs.

Chapitre XV Les grands moyens de Paganel

Le lendemain, 17 février, le soleil levant réveilla de ses premiers rayons les dormeurs du Maunganamu. Les maoris, depuis longtemps déjà, allaient et venaient au pied du cône, sans s’écarter de leur ligne d’observation. De furieuses clameurs saluèrent l’apparition des européens qui sortaient de l’enceinte profanée.

Chacun jeta son premier coup d’œil aux montagnes environnantes, aux vallées profondes encore noyées de brumes, à la surface du lac Taupo, que le vent du matin ridait légèrement.

Puis tous, avides de connaître les nouveaux projets de Paganel, se réunirent autour de lui, et l’interrogèrent des yeux.

Paganel répondit aussitôt à l’inquiète curiosité de ses compagnons.

«Mes amis, dit-il, mon projet a cela d’excellent que, s’il ne produit pas tout l’effet que j’en attends, s’il échoue même, notre situation ne sera pas empirée. Mais il doit réussir, il réussira.

– Et ce projet? demanda Mac Nabbs.

– Le voici, répondit Paganel. La superstition des indigènes a fait de cette montagne un lieu d’asile, il faut que la superstition nous aide à en sortir.

Si je parviens à persuader à Kai-Koumou que nous avons été victimes de notre profanation, que le courroux céleste nous a frappés, en un mot, que nous sommes morts et d’une mort terrible, croyez-vous qu’il abandonne ce plateau du Maunganamu pour retourner à son village?

– Cela n’est pas douteux, dit Glenarvan.

– Et de quelle mort horrible nous menacez-vous? demanda lady Helena.

– De la mort des sacrilèges, mes amis, répondit Paganel. Les flammes vengeresses sont sous nos pieds. Ouvrons-leur passage!

– Quoi! Vous voulez faire un volcan! s’écria John Mangles.

– Oui, un volcan factice, un volcan improvisé, dont nous dirigerons les fureurs! Il y a là toute une provision de vapeurs et de feux souterrains qui ne demandent qu’à sortir! Organisons une éruption artificielle à notre profit!