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«Maintenant, Paganel, dit Glenarvan, me direz-vous pourquoi, depuis deux mois environ, vous avez tenu cette interprétation secrète?

– Parce que je ne voulais pas vous donner encore de vaines espérances. D’ailleurs, nous allions à Auckland, précisément au point indiqué par la latitude du document.

– Mais depuis lors, quand nous avons été entraînés hors de cette route, pourquoi n’avoir pas parlé?

– C’est que, si juste que soit cette interprétation, elle ne peut contribuer au salut du capitaine.

– Pour quelle raison, Paganel?

– Parce que, l’hypothèse étant admise que le capitaine Harry Grant s’est échoué à la Nouvelle-Zélande, du moment que deux ans se sont passés sans qu’il ait reparu, c’est qu’il a été victime du naufrage ou des zélandais.

– Ainsi, votre opinion est?… Demanda Glenarvan.

– Que l’on pourrait peut-être retrouver quelques vestiges du naufrage, mais que les naufragés du Britannia sont irrévocablement perdus!

– Silence sur tout ceci, mes amis, dit Glenarvan, et laissez-moi choisir le moment où j’apprendrai cette triste nouvelle aux enfants du capitaine Grant!»

Chapitre XX Un cri dans la nuit

L’équipage sut bientôt que la mystérieuse situation du capitaine Grant n’avait pas été éclaircie par les révélations d’Ayrton. Le découragement fut profond à bord, car on avait compté sur le quartier-maître, et le quartier-maître ne savait rien qui pût mettre le Duncan sur les traces du Britannia!

La route du yacht fut donc maintenue. Restait à choisir l’île dans laquelle Ayrton devait être abandonné.

Paganel et John Mangles consultèrent les cartes du bord. Précisément, sur ce trente-septième parallèle, figurait un îlot isolé connu sous le nom de Maria-Thérésa, rocher perdu en plein océan Pacifique relégué à trois mille cinq cents milles de la côte américaine et à quinze cents milles de la Nouvelle-Zélande. Au nord, les terres les plus rapprochées formaient l’archipel des Pomotou, sous le protectorat français. Au sud, rien jusqu’à la banquise éternellement glacée du pôle austral. Nul navire ne venait prendre connaissance de cette île solitaire. Aucun écho du monde n’arrivait jusqu’à elle. Seuls, les oiseaux des tempêtes s’y reposaient pendant leurs longues traversées, et beaucoup de cartes ne signalaient même pas ce roc battu par les flots du Pacifique.

Si jamais l’isolement absolu devait se rencontrer sur la terre, c’était dans cette île jetée en dehors des routes humaines. On fit connaître sa situation à Ayrton. Ayrton accepta d’y vivre loin de ses semblables, et le cap fut mis sur Maria-Thérésa. En ce moment, une ligne rigoureusement droite eût passé par l’axe du Duncan, l’île et la baie de Talcahuano.

Deux jours plus tard, à deux heures, la vigie signala une terre à l’horizon. C’était Maria-Thérésa, basse, allongée, à peine émergée des flots, qui apparaissait comme un énorme cétacé.

Trente milles la séparaient encore du yacht, dont l’étrave tranchait les lames avec une rapidité de seize nœuds à l’heure.

Peu à peu, le profil de l’îlot s’accusa sur l’horizon. Le soleil, s’abaissant vers l’ouest, découpait en pleine lumière sa capricieuse silhouette. Quelques sommets peu élevés se détachaient çà et là, piqués par les rayons de l’astre du jour.

À cinq heures, John Mangles crut distinguer une fumée légère qui montait vers le ciel.

«Est-ce un volcan? demanda-t-il à Paganel, qui, la longue-vue aux yeux, observait cette terre nouvelle.

– Je ne sais que penser, répondit le géographe. Maria-Thérésa est un point peu connu. Cependant, il ne faudrait pas s’étonner si son origine était due à quelque soulèvement sous-marin, et, par conséquent, volcanique.

– Mais alors, dit Glenarvan, si une éruption l’a produite, ne peut-on craindre qu’une éruption ne l’emporte?

– C’est peu probable, répondit Paganel. On connaît son existence depuis plusieurs siècles, ce qui est une garantie. Lorsque l’île Julia émergea de la Méditerranée, elle ne demeura pas longtemps hors des flots et disparut quelques mois après sa naissance.

– Bien, dit Glenarvan. Penses-tu, John, que nous puissions atterrir avant la nuit?

– Non, votre honneur. Je ne dois pas risquer le Duncan au milieu des ténèbres, sur une côte qui ne m’est pas connue. Je me tiendrai sous faible pression en courant de petits bords, et demain, au point du jour, nous enverrons une embarcation à terre.»

À huit heures du soir, Maria-Thérésa, quoique à cinq milles au vent, n’apparaissait plus que comme une ombre allongée, à peine visible. Le Duncan s’en rapprochait toujours.

À neuf heures, une lueur assez vive, un feu brilla dans l’obscurité. Il était immobile et continu.

«Voilà qui confirmerait le volcan, dit Paganel, en observant avec attention.

– Cependant, répondit John Mangles, à cette distance, nous devrions entendre les fracas qui accompagnent toujours une éruption, et le vent d’est n’apporte aucun bruit à notre oreille.

– En effet, dit Paganel, ce volcan brille, mais ne parle pas. On dirait, de plus, qu’il a des intermittences comme un phare à éclat.

– Vous avez raison, reprit John Mangles, et pourtant nous ne sommes pas sur une côte éclairée. Ah! s’écria-t-il, un autre feu! Sur la plage cette fois! Voyez! Il s’agite! Il change de place!»

John ne se trompait pas. Un nouveau feu avait apparu, qui semblait s’éteindre parfois et se ranimait tout à coup.

«L’île est donc habitée? dit Glenarvan.

– Par des sauvages, évidemment, répondit Paganel.

– Mais alors, nous ne pouvons y abandonner le quartier-maître.

– Non, répondit le major, ce serait faire un trop mauvais cadeau, même à des sauvages.

– Nous chercherons quelque autre île déserte, dit Glenarvan, qui ne put s’empêcher de sourire de «la délicatesse» de Mac Nabbs. J’ai promis la vie sauve à Ayrton, et je veux tenir ma promesse.

– En tout cas, défions-nous, ajouta Paganel. Les zélandais ont la barbare coutume de tromper les navires avec des feux mouvants, comme autrefois les habitants de Cornouailles. Or, les indigènes de Maria-Thérésa peuvent connaître ce procédé.

– Laisse arriver d’un quart, cria John au matelot du gouvernail. Demain, au soleil levant, nous saurons à quoi nous en tenir.»

À onze heures, les passagers et John Mangles regagnèrent leurs cabines. À l’avant, la bordée de quart se promenait sur le pont du yacht. À l’arrière, l’homme de barre était seul à son poste.

En ce moment, Mary Grant et Robert montèrent sur la dunette.

Les deux enfants du capitaine, accoudés sur la lisse, regardaient tristement la mer phosphorescente et le sillage lumineux du Duncan. Mary songeait à l’avenir de Robert; Robert songeait à l’avenir de sa sœur. Tous deux pensaient à leur père.

Existait-il encore, ce père adoré? Fallait-il donc renoncer? Mais non, sans lui, que serait la vie? Sans lui que deviendraient-ils? Que seraient-ils devenus déjà sans lord Glenarvan, sans lady Helena?